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mercredi 14 mai 2025

11.30 - MON AVIS SUR LE FILM LA FIN DU MONDE DE ABEL GANCE (1931)

 


Vu le film La fin du Monde de Abel Gance (1931) avec Abel Gance Victor Francen Sylvie Gance Georges Colin Colette Darfeuil Samsom Fainsilber Jeanne Brindeau Jean d’Yd 

Oui des Voisins qui attendent dans les immeubles la fin du Monde aux fenêtres à l’arrivée de la comète 

Les deux frères Novalic symbolisent l'un, le rêve, l'autre, l'action. Jean Novalic, véritable prophète, voudrait sauver l'humanité. Son frère Martial, astronome réaliste et actif, découvre qu'une comète se précipite à la rencontre de la Terre. Le risque de la catastrophe révélé bouleverse la vie des hommes. Les uns s'adonnent aux plaisirs et à la débauche, les autres tentent de se ressaisir. Mais la comète qui vient d'effleurer la Terre s'éloigne. 

La Fin du monde (1931) d’Abel Gance est un film profondément inclassable, et à bien des égards déroutants. C’est un objet filmique hybride, grandiose et déconcertant, qui témoigne à la fois de l’ambition démesurée de son auteur et de son désarroi face aux mutations techniques et idéologiques du cinéma à l’aube des années 30. Prétendument son premier film parlant, La Fin du monde souffre en effet cruellement de cette transition. Les voix peinent à se fondre dans le drame, les comédiens — à commencer par Gance lui-même — surjouent dans un registre emphatique, lourdement hérité du muet, et les dialogues récités, souvent pompeux, contribuent à l’étrangeté de l’ensemble. 

Mais résumer le film à ses maladresses formelles serait injuste. La Fin du monde est aussi une œuvre de visionnaire. Gance, hanté par l’ombre de la Grande Guerre et déjà témoin des tensions croissantes entre nations, imagine une catastrophe cosmique — la collision imminente d’une comète avec la Terre — pour interroger le destin de l’humanité. Le film s’ouvre sur la découverte d’un astre errant par les frères Novalic, scientifiques idéalistes qui tentent de prévenir le monde du danger imminent. Mais leur message, loin d’unir les peuples, provoque au contraire panique, scepticisme, instrumentalisation politique et fanatisme. Ce constat amer sur l’égoïsme humain, son incapacité à se rassembler même à l’approche d’un péril universel, est au cœur du projet gancien. 

Le film, dans sa forme mutilée — deux heures seulement nous sont parvenues, contre les trois initialement prévues —, paraît déséquilibré. Le montage, abrupt, morcelle le récit et altère la cohérence de la fresque cosmique imaginée par Gance. Cette perte est dramatique, car elle nous prive de la véritable ampleur de l’œuvre, de sa structure cyclique, mystique et politique. Gance avait conçu le film comme une transposition moderne de la Passion du Christ : Jean Novalic, inspiré par Jésus, est incompris, humilié, accusé à tort, puis célébré trop tard. Il devient le martyr d’un monde aveugle, incarnant l’idéal sacrificiel d’une humanité qui refuse de se sauver. 

L’articulation entre l’intime et le cosmique est certes ambitieuse, mais rarement convaincante. Les scènes de panique planétaire voisinent sans transition avec des dialogues mystiques, voire des passages ésotériques presque surréalistes. Il y a quelque chose d’involontairement lunaire, parfois absurde, dans ce mélange de naïveté évangélique et de déclamations politico-scientifiques. On passe d’une vision apocalyptique à un prêche new âge sans crier gare. Le film oscille entre le prophétique et le kitsch. 

Abel Gance lui-même incarne Victor Novalic, figure autoritaire et intransigeante, père du scientifique idéaliste, et son interprétation, raide, pontifiante, plombe certaines scènes qui auraient pu gagner en émotion. Le cinéaste, malgré tout son génie visuel passé (J'accuse, Napoléon), semble ici dépassé par son propre dispositif : le son l’entrave, le montage le trahit, et la mise en scène — parfois saisissante dans ses visions cosmiques — paraît figée dès qu’il s’agit de filmer les hommes. 

Cependant, le film n’est pas à rejeter. Il possède une force plastique indéniable, notamment dans les séquences de visions apocalyptiques où la comète traverse les cieux et déclenche des visions de ruines, de peuples en fuite, de temples qui s’écroulent. Gance reste un expérimentateur visuel, même en son époque la plus contrainte. L’univers de La Fin du monde convoque des références mystiques, christiques, mythologiques, dans une tentative de dialogue entre science et spiritualité. Cela confère au film une texture unique, presque anachronique, et souvent fascinante. 

À l’époque, le film fut un échec, tant critique que public, ce qui força Gance à remanier son montage, à couper, simplifier, et céder aux exigences de ses producteurs. Le résultat, c’est ce film bancal, parfois ridicule, mais jamais indifférent. On y devine les traces d’un chef-d’œuvre sacrifié. On y entend les soupirs d’un cinéma qui cherche encore sa langue. 

À voir donc, non pas comme un film achevé, mais comme une œuvre blessée, à la fois testament mystique et tragédie de l’homme moderne, visionnaire et déjà perdu. 

NOTE : 11.30

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION



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