Vu le film Toni de Jean Renoir (1935) avec Charles Blavette Jenny Hélia Celia Montalvan Paul Bozzi Max Dalban Jacques Levert Edouard Delmont Mihailo Kovacevic
Immigré italien, Antonio, dit `Toni', a trouvé du travail à Martigues. Il y vit d'abord auprès de Marie, mais il tombe amoureux de la belle Josépha, d'origine espagnole, dont l'oncle est un petit propriétaire prospère. Josépha se marie avec un Parisien, Albert, qui a surtout des vues sur la fortune de l'oncle.
Toni (1935) est un film singulier dans l’œuvre de Jean Renoir, souvent salué comme l’un des premiers jalons du néo-réalisme avant l’heure, et qui, malgré ses qualités indéniables, laisse aussi un goût d’inabouti. C’est un film à la fois fascinant par son contexte, sa volonté de vérité, ses partis-pris de mise en scène très modernes pour l’époque — et un peu frustrant dans son exécution dramatique. On y sent tout le talent de Renoir, mais aussi ses tâtonnements. On devine ce que le film veut être, sans toujours parvenir à l’être pleinement.
L’histoire, inspirée d’un fait divers réel, se déroule dans le sud de la France, près de Martigues. Toni (Charles Blavette), un immigré italien, travaille dans une carrière. Il est hébergé chez Marie, une Française qui l’aime, mais il tombe amoureux de Josefa, une jeune Espagnole. Celle-ci est mariée de force à Albert, un contremaître brutal. Des années plus tard, Toni est ruiné, mal marié, et Josefa est prisonnière d’un mari violent. Dans un geste désespéré, Toni tue Albert pour délivrer Josefa. C’est le drame d’un homme qui, ayant fui la misère pour la France, y retrouve l’humiliation, la solitude, et la tragédie.
Tourné en décors naturels, avec des acteurs non professionnels, dans un langage très quotidien, Toni est un film pionnier. Renoir s’y essaie à une esthétique quasi-documentaire, sans maquillage ni fard, pour capter le réel des travailleurs immigrés, leur condition, leurs drames ordinaires. C’est là que le film impressionne : par son authenticité, par ses paysages vrais, par la poussière, le mistral, les silences, les regards. La photographie de Claude Renoir donne au sud une teinte âpre et mélancolique, très loin du folklore provençal. Le réalisme est voulu, assumé, profond.
Mais voilà : ce que Pagnol, quelques années plus tôt ou plus tard, parvient à transcender par le verbe, l’humour, la tendresse, Renoir ne l’atteint ici que par moments. Le film souffre d’un certain mutisme. On perçoit la mélancolie, oui, mais elle semble se diluer dans une mise en scène parfois trop neutre. Les dialogues, rares et parfois plats, peinent à installer une véritable tension dramatique. La mécanique du récit reste visible, et les acteurs, pour la plupart non professionnels, manquent de souffle pour incarner des passions aussi fortes.
Charles Blavette, dans le rôle-titre, a un physique émouvant, une gueule de labeur et de fatigue, mais son jeu reste souvent intérieur, presque atone. Cela crée une pudeur intéressante, mais il manque un peu de feu, d’élan tragique. Il en va de même pour Celia Montalvan (Josefa), dont la présence est plus fragile que magnétique. Le film aurait gagné à oser plus dans l’émotion, à forcer parfois le trait — comme le fera plus tard Visconti dans Ossessione, très redevable à Toni.
Cela dit, il serait injuste de sous-estimer la modernité du film, son attention aux laissés-pour-compte, aux exilés de l’intérieur, aux petites gens dont les désirs se heurtent à la fatalité sociale. Toni est un film profondément politique sans être militant, un film sur la violence sociale, la misère sentimentale, les chemins de l’échec. Il touche là une vérité rarement explorée à l’époque. La fin, avec ce meurtre au bord du canal, cette tension silencieuse, cette résignation tragique, est l’un des grands moments du film — une épure remarquable, tout en pudeur.
On sort de Toni avec une impression de sincérité brute, d’esquisse puissante mais incomplète. Il ne manque pas grand-chose pour que le film devienne bouleversant, mais ce petit « pas de côté » — un jeu plus incarné, un récit un peu plus nourri — l’aurait hissé à la hauteur de ses ambitions. Renoir y est déjà immense dans sa manière de filmer l’humanité sans jugement, mais pas encore au sommet de son art. Toni reste un film important, mais plus pour ce qu’il annonce que pour ce qu’il accomplit pleinement.
Un film précieux, donc, mais un film de transition. Un brouillon de génie.
NOTE : 13.00
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Jean Renoir
- Assistants à la réalisation : Luchino Visconti, Georges Darnoux, Antonio Canor
- Scénario : Jean Renoir, Carl Einstein d’après une idée de Jacques Levert[1] inspirée d’un fait-divers local
- Dialogues : Jean Renoir, Carl Einstein
- Musique : Paul Bozzi
- Décors : Léon Bourrely
- Photographie : Claude Renoir
- Son : Merguir Bardisbanian, René Sarazin
- Montage : Marguerite Renoir, Suzanne de Troye
- Scripte : Suzanne de Troye
- Production : Marcel Pagnol
- Société de production : Les Films d'aujourd'hui
- Sociétés de distribution : Les Films Marcel Pagnol (distributeur d'origine, France), Télédis (racheté par Gaumont)
- Charles Blavette : Antonio Canova dit « Toni »
- Celia Montalván : Josefa
- Jenny Hélia : Marie
- Édouard Delmont : Fernand
- Max Dalban : Albert
- Andrex : Gabi, le cousin de Josefa
- Michel Kovachevitch : Sébastian, l'oncle de Josefa
- Paul Bozzi : Primo, le guitariste
- Vincent Florio : un enfant de chœur[]
Avec le concours d'agents de police de la région.

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