Vu le film Le Poison de Billy Wilder (1946) avec Ray Milland Jane Wyman Philip Terry Howard da Silva Doris Dowling Frank Faylen Mary Young Lilian Fontaine
Don Birnam, incapable de percer malgré des débuts d'écrivain prometteur alors qu'il était étudiant, s'est enfermé dans l'alcool. Voilà dix jours, cependant, qu'il n'a pas touché à une goutte d'alcool et il semble sur la bonne voie.
Les voisins de son logement (sa logeuse en autre) qui s’indiffère de son état
S'arrangeant pour ne pas passer le week-end à la campagne avec son frère qui l'entretient financièrement et moralement et sa petite amie, il se retrouve seul et repense à son passé souvent gâché par la bouteille. Mais il replonge et cherche par tous les moyens de l'argent pour sa consommation en tentant de mettre en gage sa machine à écrire, en volant de l'argent dans le sac à main d'une dame dans un restaurant, en mendiant de l'argent à une connaissance et un verre à un barman. Cette descente aux enfers l'emmène, après une chute, à l'hôpital où se trouvent d'autres alcooliques.
Le Poison, réalisé en 1945 par Billy Wilder, est l’un de ces films à la fois audacieux et inoubliables, qui osent s’aventurer là où Hollywood préfère souvent détourner les yeux. À une époque où le cinéma américain idéalisait volontiers ses héros, Wilder brosse le portrait tragique d’un homme en déchéance, rongé par une addiction sans fard : l’alcoolisme. Ici, le poison n’est pas métaphorique. Il est liquide, transparent, versé dans un verre de whisky ou de gin, et avalé comme un remède illusoire aux blessures invisibles.
Le film suit Don Birnam, incarné avec une intensité saisissante par Ray Milland, écrivain raté, velléitaire, qui n’a jamais su transformer le potentiel de ses idées en œuvre concrète. Les pages blanches s’accumulent, les jours passent, et Don, incapable d’affronter son échec, trouve dans l’alcool un refuge toxique. Lors d’un week-end qui devait être une tentative de rémission, il replonge, plus profondément que jamais. C’est la chronique d’une chute, une lente noyade dans l’éthanol, ponctuée de mensonges, de vols mesquins, d’humiliations publiques et d’hallucinations terrifiantes.
Wilder, qu’on associe volontiers à ses comédies brillantes (Certains l’aiment chaud, La Garçonnière), signe ici un film aux antipodes de la légèreté. Avec son scénariste habituel, Charles Brackett, il adapte un roman de Charles R. Jackson, qui puise lui-même dans son vécu. Le résultat est un drame d’une modernité stupéfiante pour l’époque. Pas de morale de pacotille, pas de happy end rédempteur plaqué. Juste l’exploration, presque clinique mais toujours humaine, d’un homme en train de perdre sa dignité.
Le noir et blanc de John F. Seitz, avec ses jeux d’ombre marqués, ses éclairages contrastés et ses plongées vertigineuses dans la psyché de Don, rapproche Le Poison du film noir. À plusieurs moments, l’ambiance bascule dans le cauchemar : on songe à l’hôpital psychiatrique, à la scène avec la chauve-souris et le rat, ou encore à cette errance hallucinée dans les rues de New York. La musique de Miklós Rózsa, avec ses étranges ondes Martenot, ajoute à cette atmosphère anxiogène, presque expressionniste.
Ray Milland, jusque-là habitué à des rôles plus légers ou secondaires, trouve ici le rôle de sa vie. Il est à la fois pathétique, effrayant et bouleversant. Son regard hagard, sa diction vacillante, sa gestuelle maladroite composent un personnage qui ne triche jamais. L’Oscar du meilleur acteur qu’il reçoit est amplement mérité. D’ailleurs, le film remportera quatre Oscars au total : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur et meilleur scénario. Il sera également lauréat du Grand Prix à Cannes en 1946, preuve de son retentissement international.
Ce qui frappe dans Le Poison, c’est que personne ne vient vraiment sauver Don. Sa compagne Helen (jouée par Jane Wyman) tente bien de l’aider, mais Don est seul, irrémédiablement seul, face à ses démons. Il faut attendre la toute dernière scène – un mince souffle d’espoir, ambigu – pour entrevoir une lueur de possible rédemption. Mais rien n’est certain. Wilder laisse planer le doute : l’homme qui promet d’écrire pourrait tout aussi bien replonger. C’est cette sincérité, cette absence de compromission, qui rend le film si puissant.
Dans le cinéma américain des années 40, aborder frontalement le thème de l’alcoolisme chronique était presque tabou. Le Poison le fait avec un courage rare. Il parle d’un mal invisible, qui ne fait pas de bruit, qui ne tue pas immédiatement mais qui érode lentement la vie. Aujourd’hui encore, le film conserve toute sa force, toute sa pertinence. Il fait partie de ces œuvres qui ne vieillissent pas, parce qu’elles parlent de failles humaines fondamentales : la peur de l’échec, la solitude, la dépendance, la honte.
Le Poison n’est pas un film aimable. C’est un miroir tendu à ceux qui fuient. Mais c’est aussi une œuvre magistrale, un sommet de cinéma adulte, intelligent, viscéral. Wilder, en changeant de registre, démontre une fois encore qu’il peut tout faire, avec maîtrise, audace et humanité.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Billy Wilder
- Scénario : Charles Brackett et Billy Wilder, tiré d'un roman de Charles R. Jackson
- Photographie : John F. Seitz
- Montage : Doane Harrison
- Musique : Miklos Rozsa, Giuseppe Verdi (La traviata)
- Effets spéciaux : Collaborateurs divers, dont Gordon Jennings, Harry Perry et Loyal Griggs
- Producteur : Charles Brackett
- Société de production : Paramount Pictures
- Société de distribution : Paramount Pictures
- Ray Milland (V.F : Jean Davy) : Don Birnam
- Jane Wyman (V.F : Claire Guibert) : Helen St. James
- Phillip Terry (V.F : Maurice Dorléac) : Wick Birnam
- Howard Da Silva (V.F : Robert Dalban) : Nat, le barman
- Doris Dowling : Gloria
- Frank Faylen (V.F : Claude Péran) : 'Bim' Nolan, l'infirmier
- Mary Young : Mme Deveridge
- Anita Sharp-Bolster : Mme Foley
- Lillian Fontaine (V.F : Henriette Marion) : Mme St. James
- Lewis L. Russell (V.F : Léon Larive) : Mr. St. James
- Frank Orth (V.F : Jean Lemarguy) : le préposé au vestiaire de l'Opéra
- Acteurs non crédités
- Walter Baldwin (V.F : Georges Hubert) : l'homme venant d'Albany
- Byron Foulger : un commerçant
- Emmett Vogan : un médecin
- Ernest Whitman : l'homme noir se parlant à lui-même

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