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lundi 19 mai 2025

16.20 - MON AVIS SUR LE FILM JE SUIS TOUJOURS LA DE WALTER SALLES (2024)

 


Vu le Film Je suis Toujours là de Walter Salles (2024) avec Fernanda Torres Valentina Herszage Fernanda Montenegro Selton Mello Barbara Luz Olvia Torres Luiza Kosovski Maite Padihla 

 

Rio, 1971, sous la dictature militaire. La grande maison des Paiva, près de la plage, est un havre de vie, de paroles partagées, de jeux, de rencontres. Jusqu’au jour où des hommes du régime viennent arrêter Rubens, le père de famille, qui disparait sans laisser de traces. Sa femme Eunice et ses cinq enfants mèneront alors un combat acharné pour la recherche de la vérité... 

Un Cri de Douleur et de Dignité  

Quand Je suis toujours là (Estou Aqui, titre original) a remporté la Palme d’or, certains ont été surpris qu’il dépasse Emilia Perez, la proposition spectaculaire et audacieuse de Jacques Audiard. Je faisais partie de ceux qui s’étonnaient. Et puis je l’ai vu. Et l’étonnement a disparu. Le film de Walter Salles n’est pas seulement un grand film : c’est une œuvre déchirante, humaine, politique, universelle, bouleversante sans être mélodramatique. Un film plus puissant, plus profond, plus dur que celui d’Audiard — malgré toute l'inventivité de ce dernier. 

Et Fernanda Torres… Quel rôle ! Quelle actrice ! Elle tient le film d’un bout à l’autre, traversant les décennies avec la même intensité, la même justesse, la même douleur contenue. Elle ne joue pas Eunice Palva : elle est Eunice Palva. Elle méritait l’Oscar, et plus encore. 

L’histoire, inspirée de faits réels, commence dans les années 1970 au Brésil, sous la dictature militaire. Eunice est une jeune mère, mariée, amoureuse, heureuse dans une simplicité modeste. Un jour, son mari disparaît sans laisser de trace, enlevé comme tant d’autres par le régime, pour des raisons politiques. Elle reste seule avec ses enfants, sans réponse, sans corps, sans sépulture. Et c’est là que commence le vrai combat. Car Eunice ne baisse jamais les bras. Pendant des décennies, elle mène une enquête solitaire et acharnée, dans l’indifférence générale. Ni veuve, ni épouse : une femme suspendue dans le vide d’un non-deuil. Une vivante parmi les fantômes. 

Walter Salles, que l’on connaît notamment pour Carnets de voyage ou Central do Brasil, revient ici à son cinéma le plus intime et le plus politique. Avec pudeur et puissance, il raconte non seulement l’histoire d’Eunice, mais celle de tout un peuple marqué par la violence d’État, par le silence, par l’absence. Il y a des scènes d’une simplicité foudroyante : une porte qui reste fermée, une liste de noms affichée sur un mur, un regard porté vers la mer. Sans pathos, sans effets de manche. Tout est là, dans les silences, dans les visages, dans l’attente. 

Le film suit Eunice sur quarante ans, des années de plomb jusqu’aux tentatives contemporaines de reconnaissance des crimes d’État. Fernanda Torres incarne toutes ces étapes : la jeunesse pleine d’espoir, la mère blessée, la militante obstinée, la vieille femme lasse mais toujours debout. Son interprétation est un modèle de retenue et de force. Ce n’est pas une performance : c’est une incarnation. Elle n’a pas besoin de cris, de discours : ses yeux parlent. Sa douleur traverse l’écran. 

Autour d’elle, une mise en scène d’une sobriété remarquable, sans jamais verser dans le larmoyant. Le travail de reconstitution est précis, élégant, jamais pesant. La musique, discrète, accompagne sans souligner. La lumière, souvent naturelle, épouse les visages et les corps. Walter Salles signe un film grave, beau, nécessaire. 

Je suis toujours là dépasse le simple cadre brésilien. Il évoque l’Argentine, le Chili, l’Uruguay… Tous ces pays où des milliers de familles ont été brisées par les dictatures, où des femmes — mères, épouses, sœurs — ont passé leur vie à chercher un nom, un corps, une vérité. Le film rend hommage à ces résistances silencieuses. Il rappelle que l’Histoire ne se referme pas avec le temps, qu’il y a des plaies qui continuent de saigner, même cinquante ans plus tard. 

Et il parle aussi d’aujourd’hui. À une époque où le révisionnisme gagne du terrain, où les discours autoritaires reviennent, où l’anonymat numérique cache de nouvelles formes de violence, Je suis toujours là réaffirme avec dignité : ne jamais oublier. 

C’est un film qui fait mal, oui. Mais c’est aussi un film qui élève, qui donne envie de rester debout. Eunice ne baisse jamais les yeux. Elle ne se résigne pas. Elle continue. Et le spectateur, à la fin, a les larmes aux yeux, mais aussi le sentiment d’avoir vu quelque chose d’essentiel. 

Un film majeur. Un film qui, avec la grâce et la douleur de Fernanda Torres, s’inscrit dans la mémoire du cinéma et dans celle des luttes humaines.

NOTE : 16.20

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