Vu le film Rumours Nuit Blanche au Sommet de Guy Maddin et Evan et Galen Johnson,(2024) avec Cate Blanchett Alicia Vikander Denis Menochet Nikki Amuka-Bird Charles Dance Roy Dupuis Zltako Buric Rolando Ravello Takehiro Hira
Lors d'une réunion du G7, les dirigeants se perdent en forêt alors qu'ils doivent réagir à une crise mondiale.
Un sommet de rien, ou comment l’absurde finit par s’évaporer dans le vide.
La promesse de Rumours était pourtant alléchante : une satire politique grinçante sur fond d’étrangeté surnaturelle, avec pour décor un sommet du G7 transformé en huis clos existentiel. Un scénario qui évoque un improbable mélange entre Dr. Strangelove, Triangle of Sadness, et The Shining. Trois influences qui font rêver sur le papier. Surtout lorsqu’on connaît la patte visuelle et baroque de Guy Maddin, cinéaste marginal et magicien du bizarre. Et pourtant… la magie n’opère pas.
Le film s’ouvre sur les retrouvailles feutrées et guindées des leaders des pays les plus puissants du monde, réunis pour leur sommet annuel dans un manoir isolé en forêt. Les dialogues sont truffés d’ironie et d’un ridicule délicieux : les personnages sont des doubles à peine voilés de nos dirigeants contemporains, plus préoccupés par leurs tenues que par les enjeux mondiaux. Cette première demi-heure fonctionne : on rit (jaune), on savoure les piques, et on s’attend à une montée en puissance.
Puis, tout bascule. Littéralement, puisque les dirigeants découvrent qu’ils sont seuls dans ce lieu, coupés du reste du monde, sans communication, sans personnel. Le manoir devient labyrinthique, les repas se répètent, les souvenirs s’embrouillent. L’ambiance vire au surréalisme, voire à l’horreur psychologique. Une mystérieuse présence semble rôder. Mais voilà : à partir de là, le film s’enlise.
Car le scénario, au lieu de pousser jusqu’au bout l’un ou l’autre des registres (la satire acide ou le fantastique oppressant), choisit de rester entre deux eaux. Résultat : un film suspendu, constamment dans l’attente d’un événement qui ne vient jamais vraiment. Les personnages, pourtant caricaturaux à dessein, deviennent des coquilles vides. Ils errent, marmonnent, se perdent… et nous avec eux. La mise en scène, malgré quelques belles idées de décors brumeux et d’éclairages expressionnistes, finit par tourner en rond. Le huis clos devient un cercle mou.
On sent pourtant, derrière cette construction volontairement déroutante, une critique du pouvoir politique : ces dirigeants sont présentés comme inaptes, ridicules, déconnectés du réel. L’apocalypse ici n’est pas extérieure – elle est intérieure, symbolique. Ils sont incapables d’agir sans protocole, de penser sans comité. Mais cette idée, pertinente, n’est jamais réellement développée. Elle flotte, comme le reste. Et le film semble le subir lui-même.
Le casting est à la hauteur, pourtant : Cate Blanchett, Alicia Vikander, Roy Dupuis… Tous jouent le jeu, certains dans un second degré réjouissant, d’autres avec une gravité déplacée qui ajoute à l’étrangeté ambiante. Denis Ménochet, représentant de la France, tire son épingle du jeu avec un mélange de débonnaire et de panique rentrée. Il est drôle, humain, déconcerté, et aurait mérité un film plus net autour de lui.
Visuellement, Rumours tente des choses : caméra flottante, scènes répétées comme dans un cauchemar, musique désaccordée, symboles qui ne veulent rien dire. Il y a là une volonté manifeste de faire du Maddin – du faux muet expressionniste, du grotesque intelligent, du théâtre de l’absurde. Mais les Johnson (Evan et Galen), coréalisateurs avec lui, semblent avoir dilué cette folie dans une contemplation creuse.
On attend une percée narrative, un surgissement d’horreur, une vraie charge politique : rien. On tourne en rond dans les couloirs du pouvoir, mais le spectateur, lui, n’est pas invité à participer à ce labyrinthe. On observe sans affect. Et c’est bien là le problème. Le film, censé dénoncer la vacuité du discours politique, tombe dans le piège de son propre message : il ne propose rien.
Rumours est donc une œuvre frustrante. Elle aurait pu être un brûlot politique, ou un pur film de genre, ou même un poème absurde à la Buñuel. Mais faute de choisir, elle s’effondre dans l’attente et l’immobilisme, exactement comme ses personnages. À méditer, certes… mais surtout à oublier, malgré sa superbe affiche et son potentiel.
NOTE : 11.40
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Guy Maddin et Evan et Galen Johnson
- Scénario : Evan Johnson
- Musique : Kristian Eidnes Andersen
- Direction artistique : John O'Regan
- Photographie : Stefan Ciupek
- Production : Liz Jarvis, Lars Knudsen, Philipp Kreuser
- Sociétés de production : Buffalo Gall Pictures, Square Peg, Maze Pictures
- Pays de production :
Canada,
Allemagne,
Hongrie et
États-Unis
- Alicia Vikander : Celestine Sproul, la présidente de la Commission européenne
- Cate Blanchett (VQ : Nathalie Coupal) : Hilda Ortmann, la chancelière allemande
- Charles Dance (VQ : Jean-Marie Moncelet) : Edison Wolcott, le président des États-Unis
- Nikki Amuka-Bird (VQ : Marie-Evelyne Lessard) : Cardosa Dewindt, la première ministre britannique
- Denis Ménochet (VQ : lui-même) : Sylvain Broulez, le président de la République française
- Roy Dupuis (VQ : lui-même) : Maxime Laplace, le premier ministre du Canada
- Zlatko Burić (VQ : Manuel Tadros) : Jonas Glob, le président du Conseil européen
- Rolando Ravello (VQ : François Caffiaux) : Antonio Lamorte, le premier ministre italien
- Takehiro Hira (VQ : Éloi Archambaudoin) : Tatsuro Iwasaki, le premier ministre japonais

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