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samedi 31 mai 2025

17.10 - MON AVIS SUR LE FILM SINNERS DE RYAN COOGLER (2025)


 Vu le film Sinners de Ryan Coogler (2025) avec Michael B.Jordan Hailee Stanfield Delroy Lindo Jack O’Connell Jayme Lawson Wummi Mosaku Omar Benson Miller Lin Jun Li  

Alors qu’ils cherchent à s’affranchir d’un lourd passé, deux frères jumeaux reviennent dans leur ville natale pour repartir à zéro. Mais ils comprennent qu’une puissance maléfique bien plus redoutable guette leur retour avec impatience… 

« À force de danser avec le diable, un beau jour, il viendra te chercher chez toi. 

Avec Sinners, Ryan Coogler revient en pleine forme après un Creed trop lisse, trop calibré à mon goût — et il me donne raison. Car ici, dès les premières minutes, c’est une claque visuelle, narrative et sensorielle. L’action se situe dans le sud des États-Unis, à la fin du XIXe siècle, une époque étouffée par le racisme, les lois Jim Crow, les violences du Ku Klux Klan, et une Amérique où les Noirs, même affranchis, restent des cibles permanentes. Coogler, à l’instar de Fruitvale Station, filme d’abord cette réalité-là, sans filtre, avec une caméra mobile mais jamais tape-à-l’œil, une photographie signée Autumn Durald Arkapaw qui baigne les scènes dans un clair-obscur magnifique — des terres brûlées de poussière rouge aux nuits bleues où le blues pleure. 

On y suit deux frères, Ezekiel et Amos (Michael B. Jordan dans un double rôle bluffant), vivant dans une petite communauté noire de Géorgie. Ezekiel, prédicateur revenu de la guerre, tente d’apaiser les tensions dans sa paroisse ; Amos, plus sombre, boxeur clandestin et tueur à gages à la solde de petits barons blancs, disparaît mystérieusement après une rixe. La musique est omniprésente — du blues, des spirituals, des guitares slide pleurant l’âme d’un peuple — et participe à l’installation d’une ambiance moite et hantée. Mais là où Coogler frappe très fort, c’est dans la bascule, aussi soudaine que maîtrisée. 

Sans prévenir, le récit glisse dans une dimension fantastique (sans rappeler Une Nuit en Enfer de Tarantino) : Amos revient, changé. Le Ku Klux Klan, qu’on croyait simple menace humaine, semble lié à une malédiction ancienne. Des corps se lèvent. Les tombes s’ouvrent. Les anciens du village chuchotent des histoires de pactes sanglants. Le film devient alors un western gothique, à la croisée de Get Out, Vampires de Carpenter et Abraham Lincoln : Vampire Hunter, mais en infiniment plus élégant, plus politique, plus sensible. Le sang versé rejoint celui de l’histoire. 

La scène dans le saloon est un sommet : d’un groupe de bluesmen qui entonne un morceau lent et habité, la musique explose en rock fiévreux, puis dérive dans une gigue irlandaise rythmée par des claquettes frénétiques. C’est un moment de pure joie, de fusion musicale et cinématographique, où les styles se rencontrent comme les genres du film. Coogler ose tout — et ça passe. Il fait du western un théâtre d’exorcisme collectif, du film d’horreur une parabole sur la mémoire des corps noirs sacrifiés, et de la série B une grande fresque historique et politique. 

Michael B. Jordan, qu’on a vu bon, très bon, mais jamais aussi transcendant, compose ici deux personnages qui s’opposent, se reflètent, se contaminent — Ezekiel, tendu, mystique, presque christique ; Amos, bestial, vampirique, mais profondément blessé. Le duel entre les deux devient le cœur battant du film, jusqu’à un final dantesque où la frontière entre le Bien et le Mal se brouille dans une orgie de flammes, de prières et de riffs électriques. 

D’un point de vue purement formel, Sinners témoigne d’un Ryan Coogler à son sommet. La mise en scène est ample, habitée, parfois même opératique, mais toujours au service du récit. Coogler maîtrise l’espace — celui du western, du village, de la forêt, du bayou — avec une précision d’orfèvre : chaque travelling semble dialoguer avec le souffle du vent ou le crissement d’une corde de guitare. L’utilisation du scope renforce la grandeur tragique des paysages, tout en capturant l’intimité des regards. 

La photographie d’Autumn Durald Arkapaw est somptueuse. Elle épouse la dualité du film : d’un côté, la lumière ocre des terres arides et la douceur des intérieurs éclairés à la bougie ; de l’autre, dès l’irruption du surnaturel, une palette plus froide, iridescente, parfois saturée, qui rappelle les toiles de Jérôme Bosch ou certains tableaux de Goya. Le jeu sur les contrastes, entre ombre et lumière, terre et feu, est saisissant. 

La musique — un autre pilier du film — est un patchwork vivant d’influences. Terrence Blanchard compose une partition originale à base de blues, de gospel, de rock sudiste et de percussions tribales. Les morceaux ne se contentent pas d’accompagner : ils agissent, possèdent presque les personnages. Certaines scènes semblent chorégraphiées sur les guitares slide ou les riffs endiablés. L'orchestre dialogue avec les personnages, comme dans le saloon où le montage devient presque musical. Ce moment fusionnel entre blues, rock et tap irlandais est un petit miracle de rythme et d’audace. 

Côté effets spéciaux, Coogler a l’intelligence de ne jamais en faire trop. Les effets numériques sont discrets, organiques, et renforcent la dimension poétique ou cauchemardesque sans écraser le film sous la technique. Les transformations vampiriques, les résurrections, les scènes d’affrontements surnaturels sont stylisées mais jamais grotesques. On pense parfois à Brotherhood of the Wolf ou à Sleepy Hollow, mais avec plus de retenue et de chair. 

La bande originale du film, supervisée par le compositeur Ludwig Göransson, intègre également des morceaux de divers artistes, tels que Rod Wave, Brittany Howard, James Blake, Don Toliver, Rhiannon Giddens, Cedric Burnside, Eric Gales, ChristoneKingfish” Ingram, Jerry Cantrell, Iarla Ó Lionáird, Lola Kirke, Bobby Rush, Peter Dreams, OG DAYV, Jack O’Connell, Sharde Thomas-Mallory, et d'autres. 

Et puis pour notre bonheur on a Buddy Holly sur le générique, que demande le peuple 

 

Sinners est un film généreux, dense, hybride, parfois déséquilibré mais toujours habité. Il mêle western, film social, horreur et spiritualité sans perdre son fil. Il touche, fait rire, fait peur, interroge, griffe. Il est politique sans thèse, stylisé sans frime, inventif sans prétention. Un trip viscéral de 140 minutes où Ryan Coogler semble enfin libre, déchaîné, enragé, et ça fait un bien fou. 

Une œuvre coup-de-poing, coup-de-cœur, coup-de-sang. 

NOTE : 17.10

FICHE TECHNIQUE

  • Musique : Ludwig Göransson
  • Réalisation et scénario : Ryan Coogler
  • Direction artistique : Jonathan Cappel et Timotheus Davis
  • Décors : Hannah Beachler
  • Costumes : Ruth E. Carter
  • Photographie : Autumn Durald Arkapaw
  • Montage : Michael P. Shawver
  • Production : Ryan Coogler, Zinzi Coogler et Sev Ohanian
    • Production exécutive : Rebecca Cho, Ludwig Göransson et Will Greenfield
    • Coproduction : Kenneth Yu
  • Sociétés de production : Proximity Media, en coproduction avec Domain Entertainment
  • Société de distribution : Warner Bros. Pictures
  • Budget : entre 90 et 100 millions

DISTRIBUTION

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