Vu le film Mémoires d’un Escargot de Adam Elliot (2024) avec les voix de Sarah Snook Jackie Weawer Kodi Smith-McPhee Dominique Pinon Eric Bana Adam Elliot Nick Cave
En Australie, la jeune Grace Pudel est séparée de son frère jumeau à la mort de leur père. Placée dans une famille d'accueil gentille mais distante, et impuissante d'aider son frère placé chez des religieux intégristes, elle se renferme sur sa passion pour la lecture et les escargots mais se lie d'amitié avec Pinky, une vieille dame farfelue qui va lui redonner goût à la vie.
Le cinéma d’animation, souvent réduit aux productions formatées des grands studios américains, retrouve avec Mémoires d’un Escargot un élément vital une vitalité, une sincérité et une ambition narrative que l’on ne croise plus guère ailleurs que dans les marges. Réalisé par l’Australien Adam Elliot, maître du stop-motion intimiste et déjà auteur du chef-d’œuvre Mary et Max (2009), ce nouveau film confirme que l’animation en pâte à modeler peut non seulement toucher au sublime plastique, mais aussi aborder les tréfonds les plus sombres et humains de l’âme.
Le film retrace la vie de Grace Puddle, une femme aussi discrète qu’obstinée, racontée à travers le regard tendre et lucide de son frère Gavin, surnommé « l’escargot » pour sa lenteur, son silence et son tempérament effacé. Cette narration à rebours — constituée d’un enchaînement de souvenirs fragmentaires, de petits riens, de drames quotidiens — donne au récit une texture de journal intime, poétique et mélancolique. L’univers visuel est à l’image de ses personnages : cabossé, asymétrique, modeste, mais bouleversant de vérité. Chaque visage, chaque décor, chaque geste semble patiemment modelé à la main, chargé d’humanité et de souffrance.
La grande force de Mémoires d’un Escargot, c’est d’assumer son ton grave et mélodramatique tout en évitant l’écueil du pathos. Oui, ce film est une succession de malheurs : la pauvreté, la maladie mentale, la marginalisation, le deuil… Comme un écho contemporain aux mélos du muet — on pense effectivement à D.W. Griffith ou à Les Deux Orphelines de Gance —, chaque séquence creuse davantage le puits du désespoir. Mais là où un certain misérabilisme aurait pu guetter, Elliot injecte de la tendresse, un humour doux-amer, et surtout une lucidité désarmante. Ses personnages, loin d’être des archétypes tragiques, sont faits de contradictions, de maladresses, de petits gestes d’amour étouffés par la vie.
La scène où Grace montre à Gavin le film de sa vie est l’un des sommets d’émotion du film. D’une simplicité confondante — une boîte en carton, quelques diapositives animées maladroitement, une lumière vacillante —, elle fait surgir une vérité bouleversante : malgré la souffrance, malgré l’oubli, chaque existence a sa beauté secrète, ses fulgurances. C’est une séquence d’une audace rare, à la fois méta-cinématographique et profondément humaine. Elle nous invite à reconsidérer ce que signifie vivre, aimer, et laisser une trace.
Techniquement, le film est un bijou. L’animation en stop-motion, réalisée avec un soin artisanal presque maniaque, donne au moindre mouvement une gravité, une lenteur émotive. Les couleurs sont sobres, souvent ternes, mais justement choisies pour accentuer le poids du réel. La voix-off, très présente, participe de cette ambiance introspective, comme un long poème murmuré au creux de l’oreille. La musique, discrète et mélodique, soutient sans jamais alourdir.
Ce qui frappe enfin, c’est la cohérence thématique entre ce Mémoires d’un Escargot et Mary et Max. Chez Adam Elliot, les marginaux ne sont pas des figures comiques ni des faire-valoir : ils sont le cœur battant du monde, ceux qui observent en silence pendant que les autres s’agitent. Et si la vie est une vallée de larmes, elle mérite pourtant d’être racontée. C’est là, dans ce fil fragile tendu entre tristesse et consolation, que réside toute la beauté du film.
Et puis il y a cette fin, inattendue, presque lumineuse — pas tant parce qu’elle résout tout, mais parce qu’elle offre une respiration. On n’y croyait plus, tant le film semblait s’enfoncer dans le désespoir. Mais comme un escargot qui avance malgré la pluie, Mémoires d’un Escargot finit par tracer un chemin vers la paix, vers une forme de sérénité. On quitte la salle les yeux humides, le cœur serré, mais reconnaissant. Oui, il y a des films qui parlent doucement et qui disent tout.
NOTE : 13.10
FICHE TECHNIQUE
Réalisation et scénario : Adam Elliot Directeur artistique : Bob Shea Photographie : Gerald Thompson Production : Liz Kearne Production exécutive : Robert Connolly et Robert Patterson Sociétés de production : Arenamedia et Snails Pace Films Sociétés de distribution : Madman Entertainment (Australie) ; Wild Bunch (France)
DISTRIBUTION - VOIX
- Sarah Snook : Grace Pudel
- Jacki Weaver : Pinky
- Kodi Smit-McPhee : Gilbert
- Dominique Pinon : Percy Pudel
- Magda Szubanski : Ruth
- Eric Bana : James The Magistrate
- Adam Elliot : Denise Floyd
- Nick Cave : Bill Clarke

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