Vu le film On Murmure dans la Ville de Joseph Mankiewicz (1951) avec Cary Grant Jeanne Crain Walter Slezak Finlay Currie Hume Cronyn Sidney Klamer Basil Ryusdeal
Enseignant à la faculté de médecine, le docteur Noah Praetorius n'est pas un médecin comme les autres. Humaniste, généreux, il s'attire la sympathie du plus grand nombre. Comme tous les hommes très aimés, il s'attire aussi les jalousies. Un de ses collègues, le professeur Elwell, esprit mesquin qui se croit bien renseigné sur le passé de Praetorius, va tenter de le discréditer.
On murmure dans la ville est une œuvre singulière dans la filmographie de Joseph L. Mankiewicz, moins célèbre que Ève ou L'Aventure de Madame Muir, mais tout aussi fine, audacieuse et brillante. Il y aborde les thèmes qui lui sont chers – l'intelligence, la duplicité, les masques sociaux – dans le cadre inattendu d’une école de médecine. C’est à la fois une satire, un drame moral et une comédie romantique décalée, portée par un Cary Grant en état de grâce.
L’histoire tourne autour du Dr. Noah Praetorius (Grant), professeur de médecine admiré de ses étudiants mais dont les méthodes non conventionnelles et l’humanisme affiché suscitent la méfiance de ses collègues. À la fois médecin et philosophe, presque démiurge, il soigne autant les âmes que les corps, refusant la froide technicité de la médecine pour y insuffler chaleur humaine et compréhension. Sa proximité avec un mystérieux assistant muet, Mr. Shunderson (joué par Finlay Currie), suscite également la rumeur.
Lorsqu’il s’éprend de Deborah (Jeanne Crain), une jeune patiente enceinte et célibataire, sa bienveillance est mise à l’épreuve. Leur histoire d’amour, traitée avec pudeur et respect, devient le point d’orgue d’un récit où l’intimité et l’éthique se confrontent aux regards extérieurs et aux normes conservatrices. Les tensions culminent dans un procès universitaire, métaphore à peine voilée de la chasse aux sorcières maccarthyste – Mankiewicz plaide ici pour une médecine (et une société) fondée sur la confiance et la compassion, et non sur la peur et le jugement.
Cary Grant, souvent cantonné aux rôles de charmeur ou de comédien de comédie légère, trouve ici un personnage à sa mesure. Le Dr. Praetorius est à la fois arrogant et généreux, manipulateur et sincère, charismatique sans être écrasant. Grant joue avec ces contradictions avec une subtilité rare. Il incarne un homme qui fascine autant qu’il irrite, un médecin presque trop parfait pour être vrai – et c’est précisément ce doute que Mankiewicz exploite pour faire avancer le récit. C’est l’un de ses rôles les plus nuancés et les plus modernes.
Jeanne Crain apporte quant à elle une fragilité touchante à son rôle de jeune femme en détresse, qui évolue vers une figure de courage et de sensibilité. Sa relation avec Praetorius évite le piège du mélodrame, pour offrir quelque chose de profondément humain. Le personnage de Shunderson, quant à lui, apporte une touche de mystère gothique inattendue. Son passé trouble, révélé tardivement, agit comme un miroir moral du héros – lui aussi victime des jugements hâtifs et de l’intolérance sociale.
L’un des points forts du film réside dans ses dialogues, d’une précision chirurgicale, comme toujours chez Mankiewicz. Chaque ligne semble écrite au scalpel, entre ironie mordante et tendresse. Le film est rempli de joutes verbales brillantes, notamment entre Praetorius et ses détracteurs, où s’exprime tout le talent du réalisateur-scénariste pour la dialectique et les tirades pleines d’esprit.
Mais On murmure dans la ville n’est pas qu’un exercice de style. C’est un film profondément engagé, qui croit en l’intelligence du spectateur. Derrière sa façade légère se cache une critique virulente des hypocrisies morales, de l’aveuglement bureaucratique, et de l’arrogance scientifique. En filigrane, Mankiewicz adresse un plaidoyer humaniste : la vraie science doit être au service de l’homme, non l’inverse. Le personnage de Praetorius incarne cette utopie, et malgré les épreuves, il sort grandi par sa foi dans le pardon et la bonté.
Visuellement sobre, le film repose sur une mise en scène fluide et élégante, où la caméra sait se faire oublier pour mieux écouter ses personnages. La musique de Alfred Newman accompagne discrètement l’évolution des sentiments. L’ensemble laisse une impression de grâce et de légèreté, sans jamais trahir la profondeur du propos.
On murmure dans la ville est donc une œuvre rare : à la fois brillante et émouvante, intellectuelle et généreuse. Un film où l'on rit, on réfléchit, et on sort le cœur un peu plus grand qu’en y entrant. Chez Mankiewicz, comme chez Capra, l’intelligence ne s’oppose jamais à l’émotion – elle la guide, la magnifie. Ce film mérite amplement sa redécouverte et sa place dans un panthéon personnel
NOTE : 13.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et scénario : Joseph L. Mankiewicz (d'après la pièce Dr Praetorius de Curt Goetz)
- Photographie : Milton R. Krasner
- Montage : Barbara McLean
- Direction artistique : George W. Davis et Lyle Wheeler
- Costumes : Charles Le Maire
- Production : Darryl F. Zanuck, pour la Twentieth Century Fox
- Pays de production :
États-Unis
- Cary Grant (V.F : Jean Martinelli) : le docteur Noah Praetorius
- Jeanne Crain (V.F : Sylvie Deniau) : Déborah Higgins
- Finlay Currie (V.F : Jean Toulout) : Monsieur Shunderson
- Hume Cronyn : le professeur Rodney Ellwell
- Walter Slezak (V.F : Camille Guerini) : le professeur Barker
- Sidney Blackmer (V.F : Raymond Rognoni) : Arthur Higgins
- Basil Ruysdael : Dean Lyman Brockwell
- Katherine Locke : Mademoiselle James
Acteurs non crédités :
- Billy Mauch : un étudiant
- Carleton Young : le docteur Beecham
- Billy House (V.F : Pierre Morin) : le sergent Coonan
- Margaret Hamilton : la gouvernante Mademoiselle Sarah Piggett
- John Davidson et Stuart Holmes : Membres du conseil de la faculté
- Will Wright : John Higgins
- Parley Baer : vendeur dans le magasin de jouets
- Bess Flowers : membre de l'auditoire au concert
- Jack Kelly : un étudiant dans la salle de classe
- Lawrence Dobkin : chef d'entreprise
- William Bryant : chef des étudiants
- Julia Dean : vieille femme
- Ray Montgomery (en) : docteur

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