Vu le film La Folle de Chaillot de Bryan Forbes (1968) avec Edwige Feuillère Donald Pleasance Yul Brynner Edith Evans Charles Boyer Giulietta Massina Paul Henreid John Gavin Dany Kaye Richard Chamberlain Claude Dauphin Henri Virlojeux Fernand Gravey Henri Cogan
Dans le Paris des années 1960, un groupe d'agent internationaux ambitionne de forer les sous-sols de la ville dans le but hautement improbable de trouver du pétrole mais une vieille dame excentrique du quartier de Chaillot, s'imaginant vivre à la Belle Époque, va contrecarrer leur projet.
Sur le papier, La Folle de Chaillot est un rêve de cinéma : une pièce culte de Jean Giraudoux, un casting royal (Katharine Hepburn, Danny Kaye, Charles Boyer, Giulietta Masina, Donald Pleasence), un Paris magnifié, un sujet toujours brûlant (l’argent contre la poésie). Et pourtant, le film est un échec. Un échec intrigant, frustrant, parfois fascinant dans sa manière de rater l’essentiel.
Dès les premières minutes, quelque chose cloche. La scène d’exposition, censée introduire la menace des puissants, est d’une lourdeur caricaturale : des agents secrets ridicules, des hommes d’affaires grimaçants, des dialogues forcés, un ballet de camelots envahissants — tout semble vouloir faire “théâtre filmé” sans jamais trouver le ton juste. Bryan Forbes, pourtant cinéaste estimé (The Whisperers, Séance on a Wet Afternoon), semble ici perdu, tentant de filmer une fable sans croire à sa magie.
Le remplacement de John Huston (pressenti à l’origine) par Forbes a laissé une œuvre sans paternité claire, un film orphelin d’intention. Huston aurait sans doute donné à cette histoire une rugosité salutaire, une distance ironique. Forbes, lui, tente d’y croire, mais la mise en scène reste plate, hésitante, entre comédie burlesque et conte moral. Résultat : ce n’est ni drôle, ni poignant, ni véritablement féerique.
Et pourtant… parfois, une scène émerge. Le regard de Hepburn, magnifique, presque anachronique, impose une grâce folle dans le chaos ambiant. Elle est la folle de Chaillot, dans sa robe d’un autre siècle, parlant aux oiseaux, aux objets, au passé. Elle sauve ce qui peut l’être. Giulietta Masina, fantomatique, fait écho à son Nights of Cabiria, tandis que Charles Boyer apporte une élégance triste. Mais ces personnages apparaissent comme isolés dans un film qui ne sait pas les mettre en valeur.
Les rues de Passy, le Palais de Chaillot, les jardins du Trocadéro sont bien là — et c’est peut-être cela le vrai plaisir du film pour qui les connaît : revoir ces lieux filmés avant la modernisation du quartier, y voir circuler les fantômes d’un Paris disparu, où la poésie pouvait encore faire trembler les puissants. Mais c’est un plaisir de flâneur, pas de spectateur.
La production chaotique (retards, changements de casting, échos post-68, tournage sous tension) explique peut-être certaines faiblesses — mais n’excuse pas tout. On a le sentiment que tout le monde voulait faire un film “important”, une fable universelle, mais qu’aucune direction n’a été réellement suivie. Giraudoux parlait de guerre poétique contre le capitalisme cynique. Forbes filme un affrontement de silhouettes sans épaisseur.
Finalement, La Folle de Chaillot est à l’image de ses personnages : elle vit dans un monde disparu. Mais à l’écran, cette nostalgie devient confusion. On voulait une ode à la révolte douce, on a un patchwork maladroit, une poésie qui fait tapisserie. Triste sort pour un film qui aurait pu être un bijou d’humanité. On n’en garde que des éclats — un visage, une voix, un quartier — et l’impression amère d’être passé à côté d’un grand film.
NOTE : 8.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Bryan Forbes, assisté d'Alain Bonnot
- Scénario : Edward Anhalt et Maurice Valency, d'après la pièce homonyme de Jean Giraudoux
- Musique : Michael J. Lewis
- Direction artistique : Georges Petitot
- Décors : Ray Simm
- Costumes : Rosine Delamare
- Chanson : The Lonely Ones, paroles de Gil King et musique de Michael J. Lewis
- Photographie : Burnett Guffey, Claude Renoir
- Son : Bill Daniels
- Montage : Roger Dwyre
- Production : Ely Landau, Anthony B. Unger
- Société de production : Commonwealth United Entertainment
- Sociétés de distribution : Warner Bros. / Seven Arts
- Katharine Hepburn (VF : Jacqueline Porel) : la comtesse Aurelia, la Folle de Chaillot
- Edith Evans : Joséphine, la Folle de la Concorde
- Margaret Leighton (VF : Mony Dalmès) : Constance, la Folle de Saint-Sulpice
- Giulietta Masina (VF : Paule Emanuele) : Gabrielle, la Folle de Passy
- Yul Brynner (VF : Michel Gatineau) : le Président
- Charles Boyer : le Courtier
- Paul Henreid (VF : Jacques Berthier) : le Général
- John Gavin (VF : Jean Fontaine) : le Prêtre
- Oskar Homolka (VF : Yves Brainville) : le Commissaire
- Donald Pleasence (VF : Claude Dasset) : le Prospecteur
- Danny Kaye (VF : Maurice Nasil) : le Chiffonnier
- Nanette Newman (VF : Régine Blaess) : Irma
- Richard Chamberlain (VF : Claude Giraud) : Roderick
- Claude Dauphin : le docteur Jadin
- Fernand Gravey : l’agent de police
- Gilles Segal : le sourd-muet
- Henri Cogan (VF : Claude Joseph) : le serveur au bar
- Henri Virlogeux : un clochard
- Gerald Sim (VF : Jacques Mancier) : Julius

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