Vu le film Yokai Le Monde des Esprits de Eric Khoo (2025) avec Catherine Deneuve Masaaki Sakai Jun Fubuki Yutaka Takenouchi
Claire, une célèbre chanteuse, s’envole au Japon pour un dernier concert à guichets fermés. Après le concert, elle meurt énivrée au saké dans un bar de la ville. Devenue un esprit, elle rencontre Yuzo, l'un de ses plus grands fans, décédé à quelques jours du concert. Ensemble, ils tentent d'aider son fils Hayato, un réalisateur renommé qui a perdu l'envie de vivre, et l'accompagnent à travers le Japon alors qu'il rend visite à sa mère qui l'avait abandonné enfant
Yōkai – Le Monde des Esprits s’ouvre sur une salle de concert à Tokyo. Claire Emery, chanteuse française légendaire adulée au Japon depuis les années 60, entonne une dernière chanson devant un public transi d’admiration. Quelques heures plus tard, elle s’écroule dans un bar, seule. Ce que personne ne sait : elle ne quittera plus vraiment le Japon. Elle restera là, entre deux mondes. C’est là que commence le vrai film.
Claire se réveille dans une Tokyo parallèle, doucement irréelle, celle des morts. Le quartier est le même, mais il y flotte une lumière plus douce, une temporalité différente. Elle y rencontre Yuzo, vieil admirateur récemment décédé, qui lui explique qu’elle erre désormais dans le monde des esprits, à l’époque de l’Obon, où les morts peuvent rendre visite aux vivants. Mais à une condition : aider ceux qu’ils laissent derrière eux.
Dès lors, le film glisse avec grâce dans une chronique douce-amère. Claire, spectatrice impuissante de la vie terrestre, commence à suivre Hayato, le fils de Yuzo, un réalisateur de documentaires, endeuillé et en pleine crise artistique. En l’observant, Claire comprend qu’elle peut, peut-être, l’aider à retrouver le goût de créer, et à faire la paix avec son passé. Le film se transforme alors en une ode à la transmission artistique.
Si l’intrigue paraît minimaliste, Yōkai séduit par sa tendresse et ses choix esthétiques. La mise en scène d'Éric Khoo, tout en plans contemplatifs, joue des reflets, des rideaux, des fenêtres, pour matérialiser cette frontière floue entre le monde des vivants et celui des esprits. Loin du spectaculaire, Khoo opte pour une direction sobre et méditative, dans la tradition japonaise des films sur l’au-delà, à la fois proches du réel et ouverts à l’invisible.
La photographie d’Adrian Tan accentue cette impression flottante. La lumière caresse les visages, enveloppe les rues de Tokyo d’un voile bleuté ou doré, et transforme les scènes nocturnes en balades oniriques. Quant à la musique, composée par Jeanne Cherhal, elle mêle des balades mélancoliques et quelques accents électro discrets. Surtout, les chansons chantées par Deneuve elle-même donnent au film un supplément d’âme. Elles sont des échos, des murmures du passé.
Catherine Deneuve trouve ici un rôle d’une rare justesse : ni tragique, ni larmoyant, mais distancié, presque zen. Elle joue une femme qui regarde sa vie, qui voit ce qu’elle a transmis sans le savoir. On sent qu’elle s’amuse parfois, qu’elle ironise sur sa propre image d’icône française aimée en Asie. Trois scènes d’humour, très légères, parsèment le récit — dont une, désopilante, où un fantôme essaie d’utiliser un smartphone.
Les seconds rôles sont justes, notamment celui de Hayato, interprété par l’acteur japonais Yutaka Takenouchi, qui insuffle une douceur retenue à son personnage. Yuzo, joué par l’excellent Masaaki Sakai :, devient une figure touchante de ce purgatoire bienveillant. Et quelques apparitions fugaces d’autres esprits (un poète, une actrice oubliée, un ancien cuisinier) offrent des digressions charmantes sur l’art, la mémoire et la solitude.
Ce film n’est ni un conte mystique, ni une œuvre intellectuelle, mais plutôt un poème cinématographique. Il rappelle que la mort n’est pas un tabou au Japon, qu’elle peut même être un espace de dialogue, d’humour, d’inspiration. Il ne cherche pas à expliquer, à convaincre, mais à apaiser. Le trépas devient ici une forme d’accompagnement, une autre façon d’aimer ceux qui restent.
En sortant, on ne croit pas forcément plus aux fantômes, mais on accepte mieux qu’ils soient là, discrets et bienveillants, quand on crée, quand on pleure, quand on se souvient. Et c’est peut-être cela, la plus belle idée du film.
NOTE : 12.70
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Eric Khoo
- Scénario : Edward Khoo
- Costumes : Pascaline Chavanne
- Photographie : Adrian Tan
- Production : Matilde Incerti
- Sociétés de production : M.I. Movies, Knockonwood et Zhao Wei Films
- Société de distribution : ARP Sélection (France)
- Catherine Deneuve : Claire Emery
- Masaaki Sakai : Yuzo Nobusawa
- Yutaka Takenouchi : Hayato Nobusawa
- Jun Fubuki : Meiko


