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vendredi 17 octobre 2025

16.90 - LA FEMME DU BOULANGER DE MARCEL PAGNOL (1938)


 Vu le Film La Femme du Boulanger de Marcel Pagnol (d’après Jean Giono) (1938) avec Raimu Fernand Charpin Charpin Ginette Leclerc Alida Rouffe Robert Bassac Robert Vattier Odette Roger Charles Blavette 

Une matinée d'effervescence au village de Sainte-Cécile, en Provence : Aimable Castanier, le nouveau boulanger, prépare sa toute première fournée et chacun veut donner son avis. Tout le monde remarque aussi la beauté de sa jeune épouse Aurélie, qui tient la caisse. Aurélie ne regarde que Dominique, le berger du marquis Castan de Venelles. Le coup de foudre se concrétise dès la nuit suivante par la fuite des tourtereaux sur un cheval volé. 

La Femme du Boulanger (1938) de Marcel Pagnol, d’après Jean Giono, est un de ces films que l’on ne regarde pas seulement : on le respire, on le goûte, on le sent vivre. C’est du cinéma à ciel ouvert, celui où les cigales chantent, où les pierres chauffent au soleil, et où l’odeur du pain frais se mêle à celle du thym et de la terre provençale. Pagnol y signe sans doute l’une de ses plus grandes réussites, une œuvre d’une simplicité bouleversante et d’une humanité sans faille. 

L’histoire, tirée d’un épisode de Jean le Bleu de Jean Giono, est d’une pureté exemplaire : dans un petit village de Haute-Provence, un nouveau boulanger, Amable Castanier (le prodigieux Raimu), s’installe avec sa jeune femme Aurélie (la superbe Ginette Leclerc). Tout semble idyllique, jusqu’à ce que la belle, frivole et un peu rêveuse, s’enfuie avec un beau berger de passage. Accablé par la honte et le chagrin, le boulanger cesse de faire le pain, privant le village de sa nourriture quotidienne. Alors, tout le monde s’en mêle : curé, instituteur, marquis, villageois — tous partent à la recherche de la fugitive. Ce n’est pas seulement pour retrouver la femme, mais aussi pour que le four se rallume et que le cœur du village batte à nouveau. 

Le génie de Pagnol, c’est d’avoir transformé cette anecdote villageoise en une tragédie douce-amère, à la fois drôle, poétique et profondément humaine. Son cinéma est celui du verbe et du visage : il sait filmer la parole comme d’autres filment le mouvement. Les dialogues, pleins d’esprit et de naturel, respirent le terroir et la vérité. Et derrière la comédie des caractères, on perçoit une douleur universelle, celle d’un homme trahi, d’un amour bafoué, d’une humanité qui vacille mais qui continue de rire pour ne pas pleurer. 

Raimu, ici, atteint une grandeur qu’on ne retrouve que chez les très grands — ces acteurs qui ne jouent pas, mais qui sont. Son Amable Castanier, bonhomme naïf et tendre, se transforme sous nos yeux en figure christique de la souffrance simple. Sa scène d’ivresse, où il parle à la chatte Pomponette revenue de fugue, est restée dans toutes les mémoires : mélange de drôlerie, de désespoir et de tendresse pure. On y sent le cœur d’un homme brisé qui, malgré tout, continue d’aimer. C’est l’un des moments les plus bouleversants du cinéma français. 

Face à lui, Ginette Leclerc est parfaite : jeune femme libre avant l’heure, sensuelle, provocante sans méchanceté, elle donne à son personnage une ambiguïté rare. Son regard, lorsqu’elle revient au foyer, dit tout — la honte, la fatigue, la peur du rejet, mais aussi ce besoin vital d’être aimée encore. 

Autour d’eux, Pagnol orchestre une véritable symphonie villageoise : les seconds rôles sont tous d’anthologie. Charles Moulin campe le berger séducteur avec ce qu’il faut de charme rustique, Robert Vattier est le curé , Charpin le marquis bougon, els forment un microcosme où chaque voix compte, où chaque accent chante juste. 

La mise en scène de Pagnol, souvent jugée théâtrale, est ici d’une limpidité admirable. Il filme son décor naturel comme un théâtre vivant : les collines, la place du village, le fournil, tout respire la vérité. Il sait capter la lumière de Provence comme personne, et chaque plan semble baigné de soleil et de compassion. Ce cinéma-là ne cherche pas la sophistication : il cherche l’âme. 

Quant au scénario, d’une structure simple mais d’une efficacité rare, il avance comme un conte moral : la communauté se reconstruit autour d’un homme blessé. Le pain, symbole de vie et de partage, devient le fil conducteur d’un récit où la bonté triomphe sur la faiblesse humaine. 

La Femme du Boulanger est plus qu’un film : c’est un poème sur la fidélité, la solitude et la chaleur humaine. Une œuvre qui sent le levain, la poussière, la sueur, mais aussi la tendresse et le pardon. On y retrouve toute la musique du langage de Pagnol, cet art unique de faire parler les cœurs simples avec une vérité bouleversante. 

Raimu, immense, domine le film de toute sa présence. On comprend pourquoi Pagnol disait de lui qu’il était « plus qu’un acteur, un personnage de la nature ». Malgré leurs querelles, ces deux-là étaient faits pour s’entendre à l’écran : l’un écrivait comme on parle, l’autre jouait comme on respire. 

Un chef-d’œuvre absolu du cinéma français d’avant-guerre, à ranger aux côtés des Anges du péché ou de Manon des Sources version 1952, pour son souffle, sa sincérité et sa beauté populaire. Quand la chatte Pomponette revient et que le boulanger sourit à nouveau, c’est la Provence entière qui se remet à vivre. 

NOTE : 16.90

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