Vu le film Le Général Della Rovere de Roberto Rosselini (1959) avec Vittorio de Sica Hannes Messemer Anne Vernon Mary Greco Giovanna Ralli Vittorio Caprioli Herbert Fisher Nando, Angelini
A Gênes, en 1943, Bertone, un quinquagénaire sans scrupules, extorque de l'argent aux familles des prisonniers et des déportés en leur faisant espérer des faveurs qu'il prétend pouvoir obtenir en haut lieu. Quand les Allemands tuent accidentellement le général Della Rovere, venu prendre la direction d'un maquis, ils ont l'idée de le remplacer en prison par ce petit escroc dans l'espoir que les chefs de la Résistance prendront contact avec lui.
Chef-d’œuvre de la maturité de Roberto Rossellini, Le Général Della Rovere demeure l’un des sommets du cinéma italien d’après-guerre, à la croisée de l’humanisme, de la foi chrétienne et d’un idéal moral hérité de la Résistance. Sorti à la fin des années 1950, il marque un moment de bascule : Rossellini y quitte le néoréalisme strict de Rome, ville ouverte pour une forme plus intérieure, plus spirituelle, mais toujours engagée dans la dénonciation du mensonge et la recherche de vérité. Le film, tourné dans un noir et blanc aussi oppressant que lumineux par Carlo Carlini, s’impose comme une parabole sur la rédemption, la dignité et la fragilité de l’homme face à l’Histoire.
L’action se situe à Gênes, pendant l’occupation allemande. Emanuele Bardone, joué par un Vittorio De Sica exceptionnel, est un escroc sans scrupules. Il survit en trompant des familles italiennes désespérées : il leur promet d’obtenir la libération de prisonniers, moyennant argent, grâce à des contacts fictifs avec les Allemands. Lorsque ses manigances sont découvertes, il est arrêté par la Gestapo. Plutôt que de le fusiller, les Allemands décident de l’utiliser : Bardone devra se faire passer pour le général Della Rovere, héros de la Résistance récemment abattu, afin de démasquer les véritables résistants dans la prison de San Vittore. C’est là que commence pour lui une lente et bouleversante métamorphose.
Rossellini filme cette imposture comme une expérience morale. Bardone, d’abord cynique et lâche, se laisse peu à peu envahir par la noblesse du rôle qu’il joue. À force d’incarner un héros, il finit par en devenir un, jusqu’à accepter la mort dans un acte de vérité et de courage. Ce basculement intérieur, De Sica l’interprète avec une intensité rare. Son jeu, tout en retenue, oscille entre mensonge, peur et élévation. Il y a chez lui une dimension presque schizophrénique : l’escroc et le général s’entrelacent jusqu’à ne plus faire qu’un. On sent le poids de la culpabilité, le besoin de croire à nouveau, la possibilité du salut dans l’acte de foi.
Hannes Messemer, en officier allemand, impose une présence glaciale et ambiguë. Ces personnages forment un triangle de forces morales où chacun, à sa manière, se confronte à la vérité. La mise en scène de Rossellini, souvent jugée désordonnée, participe pourtant de cette tension : décors minimalistes, visages filmés frontalement, cadres parfois instables, comme si la caméra elle-même vacillait devant la conscience humaine. Il y a des moments d’imperfection — un figurant qui regarde l’objectif, des raccords brusques, des archives mal intégrées — mais ces maladresses contribuent paradoxalement à l’authenticité du film, à son urgence.
Certains détails du scénario prêtent à confusion : comment les Allemands savent-ils qu’ils ont capturé Fabrizio, le véritable résistant ? Comment Bardone obtient-il du papier et un stylo dans sa cellule ? Ces zones d’ombre ne gâchent pourtant pas la puissance du récit. Elles rappellent plutôt que Rossellini cherche la vérité morale, non la perfection dramaturgique. Ce qui l’intéresse, c’est le passage de l’homme à la conscience, l’instant où le menteur comprend que la dignité n’est pas un rôle, mais un choix.
La photographie de Carlo Carlini, toute en contrastes, amplifie ce combat intérieur : la lumière baigne les visages au milieu de la nuit du fascisme. La production de Manolo Bolognini, solide, parvient à allier rigueur historique et souffle spirituel. On sent dans chaque plan l’amour du réalisateur pour l’humain, sa foi dans la possibilité du rachat, son regard à la fois chrétien et profondément politique.
Le Général Della Rovere est un film sur la vérité, la peur et le courage. C’est aussi un film sur le mensonge — celui que l’on invente pour vivre, celui que l’on détruit pour renaître. Rossellini filme le moment où l’homme cesse de tricher, où le jeu devient vie. Cette tension, cette lente ascension morale, fait de Bardone un personnage universel, reflet de nos propres contradictions.
Malgré ses maladresses formelles, ce film demeure d’une intensité rare. Il unit le regard d’un croyant, la lucidité d’un humaniste et la ferveur d’un cinéaste profondément engagé. Vittorio De Sica y est tout simplement bouleversant — à la fois minable et sublime, menteur et martyr. Ce n’est pas seulement un grand rôle, c’est un miroir de l’âme.
Le Général Della Rovere reste l’un des grands films de la période d’or du cinéma italien, celle des années 50 à 70, quand l’art et la morale ne faisaient qu’un. Un film imparfait, mais nécessaire, qui interroge sans relâche : qu’est-ce qu’un héros ? qu’est-ce qu’un homme ? Et surtout, jusqu’où peut-on aller pour devenir vrai ?
NOTE : 15.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Roberto Rossellini
- Assistants-réalisateurs : Philippe Arthuys, Ruggero Deodato, Renzo Rossellini, Tinto Brass
- Scénario : Sergio Amidei, Diego Fabbri et Indro Montanelli, d'après le récit d'Indro Montanelli, collaboration non créditée au générique : Roberto Rossellini et Piero Zuffi
- Musique : Renzo Rossellini
- Image : Carlo Carlini
- Décors : Piero Zuffi, Elio Costanzi
- Costumes : Piero Zuffi
- Montage : Cesare Cavagna et Anna Maria Montanari
- Son : Olivio Del Grande
- Producteurs : Moris Ergas et Alain Poiré[réf. souhaitée]
- Sociétés de Production : Zebra Film (Rome), Société Nouvelle des Établissements Gaumont
- Distribution d'origine : Cineriz (Italie), Gaumont Distribution (France)
- Vittorio De Sica (VF : Roger Treville) : Emanuele Bardone, le colonel Grimaldi, le général Della Rovere
- Hannes Messemer : Colonel Müller
- Vittorio Caprioli : Banchelli
- Sandra Milo (VF : Nadine Alari) : Olga
- Giovanna Ralli : Valerie
- Anne Vernon : Carla Fassio, la veuve
- Mary Greco (VF : Helene Tossy) : Madame Vera
- Kurt Polter : l'officier allemand
- Giuseppe Rosetti : Pietro Valeri
- Kurt Selge : Schrantz
- Linda Veras : Assistante de Walter Hageman
- Lucia Modugno : une partisane
- Luciano Pigozzi : un partisan
- Nando Angelini : un partisan
- Bernardo Menicacci (VF : Jean Berton) : un geôlier
- Herbert Fischer (VF : Howard Vernon) :Sergent Walter Hageman
- Ivo Garrani : Chef Partisan
et les voix de :
- Roger Rudel : carlo un partisan
- Richard Francoeur : voix off radio
- Jacques Beauchey : un partisan
- Michel Gatineau : un partisan
- Yves Brainville : Officier

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