Vu le Film Ange de Tony Gatlif (2025) avec Arthur Higelin Maria de Medeiros Mathieur Amalric Suzanne Aubert Christine Citti Dominique Collignon-Maurin
Ange, voyageur solitaire et ethnologue de profession, doit pour rembourser sa dette, mettre le cap sur les bords de la Méditerranée. Alors qu’il a pris les routes au volant de son vieux van telle n’est pas sa surprise quand il retrouve cachée dans le coffre sa fille de 17 ans dont il vient à peine d’apprendre l’existence.
Tony Gatlif revient ici à ce qu’il fait de plus beau : filmer les âmes libres, écorchées, nomades, et leur offrir un territoire d’émotion brute. Ange est une errance solaire et douloureuse à la fois, une traversée de la Provence baignée de lumière et de sons, où le réalisateur retrouve sa veine la plus instinctive, celle des routes poussiéreuses, des visages brûlés au vent, et des musiques qui naissent du cœur.
Arthur Higelin, alias Arthu H., prête à ce personnage d’Ange une présence magnétique. C’est un homme cabossé, fugueur, un peu mystique malgré lui, qui semble chercher un lieu où reposer son regard plus qu’un toit. Dans ce rôle, l’acteur-musicien incarne toute la douceur et la rage du film : sa voix éraillée, son corps nonchalant, sa manière d’écouter les autres, tout en lui respire la vérité d’un homme égaré qui veut encore croire à la fraternité. Rarement un rôle aura autant semblé taillé sur mesure.
Autour de lui gravitent les figures familières de l’univers de Gatlif : les Gitans, les routards, les vivants de peu, les conteurs de hasard. Chacun porte en lui un fragment de poésie, une blessure, une chanson. Gatlif ne filme pas la misère mais la dignité ; il aime ses personnages et les filme comme des soleils fêlés. On croise sur les routes des visages bouleversants, des dialogues où la simplicité devient éclat de vérité, des silences habités par la musique du monde.
Le scénario, tout en apparence libre et vagabond, suit pourtant un fil discret : celui de la rédemption. Ange, en marchant, rencontre ce qu’il croyait avoir perdu : la foi dans l’autre. Ses rencontres sont autant de miroirs — certains bienveillants, d’autres traîtres — mais toutes le ramènent vers une humanité qu’il avait mise à distance. Le film est traversé de trahisons, d’élans, de pardons esquissés : une parabole de la vie telle que Gatlif la célèbre depuis toujours, rude et lumineuse à la fois.
La mise en scène est d’une sensualité rare : la caméra s’attarde sur les mains, les visages, les objets, la poussière soulevée par les pas. On sent la Provence comme un personnage à part entière : la lavande, le romarin, la chaleur écrasante, le chant obstiné des cigales… tout respire le Sud, mais un Sud vivant, habité, loin des cartes postales. Gatlif a ce don de faire de chaque plan une célébration de la terre et des gens qui la foulent.
Et puis il y a la musique, cœur battant du film. Fidèle à lui-même, Gatlif mêle les rythmes tziganes, les sons méditerranéens, la guitare manouche, les voix du voyage. Arthu H. y ajoute sa propre texture : des notes flottantes, parfois blues, parfois quasi mystiques. Ce dialogue entre les cultures, cette fusion des genres, donne au film une pulsation unique, comme si chaque émotion trouvait sa traduction musicale.
Ange n’est pas un film de démonstration, encore moins un manifeste. C’est une balade humaine, une ode à la route, à la liberté, à la beauté du désordre. Sa poésie respire la poussière, la fraternité et la douleur de vivre. Dans un paysage cinématographique souvent corseté par le politiquement correct, Gatlif ose encore la sincérité, la ferveur et l’émotion sans filtre.
À la fin, on quitte Ange le cœur gonflé. On a l’impression d’avoir marché à ses côtés, d’avoir partagé son pain, sa musique, ses silences. Ce film, plein de blessures et de lumière, donne envie de croquer la vie à pleines dents, de croire encore à la rencontre, à l’imprévu, à la beauté des chemins perdus.
Une œuvre profondément humaine, musicale et vibrante, portée par un Arthur Higelin absolument formidable — à la fois ange déchu et guide terrestre — et par un Tony Gatlif qui signe là, peut-être, l’un de ses films les plus libres et les plus habités.
NOTE : 13.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Tony Gatlif
- Scénario : Valentin Dahmani, Tony Gatlif, Patricia Mortagne
- Photographie : Lazare Pedron
- Montage : Cesar Simonot
- Musique : Carpotxa, Mazulu
- Décors : Philippe Kara-Mohamed
- Production : Tony Gatlif, Arthur H, Delphine Mantoulet, Fiona Monbet
- Sociétés de production : Princes Production, Pastorale Productions
- Société de distribution : Les Films du Losange
- Arthur H : Ange
- Suzanne Aubert : Solea
- Maria de Medeiros : Georgina
- Mathieu Amalric : Marco
- Christine Citti : Margareth
- Dominique Collignon-Maurin : Pepe

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