Pages

jeudi 30 octobre 2025

15.10 - MON AVIS SUR LE FILM HOUSE OF DYNAMITE (2025)


 Vu le film House of Dynamite de Kathryn Bigelow (2025) avec Idris Elba Jason Clarke Anthony Ramos Rebecca Fergusson Jared Harris Gabriel Basso Tracy Letts Mose Ingram Jonah Hauer King Greta Lee Kyle Allen 

Les États-Unis doivent faire face à une attaque imminente d'un missile nucléaire et l'intrigue se déroule de trois points de vue différents de différents échelons de la défense américaine : d'abord depuis la Maison-Blancheprincipalement dans la Situation Room ; ensuite du point de vue des militaires et en particulier celui du général commandant le STRATCOM ; enfin du point de vue du président des États-Unisen déplacement durant ces instants critiques. Le missile, dont l'origine n'est pas connue, se dirige vers Chicago et doit frapper la ville dans 20 minutes 

House of Dynamite s’ouvre sur une tension sourdepresque abstraite : quelque part au-dessus de l’océan, un missile non identifié se dirige vers les États-Unis, et plus précisément vers Chicago. Dès les premières images, on comprend qu’on n’est pas dans un film d’action classiquemais dans un exercice de précision  chaque minute compte chaque respiration devient une décision. Kathryn Bigelow, fidèle à son goût du réalisme nerveux, fait de cette menace un huis clos à ciel ouvertétalé sur plusieurs points de vue — trois exactement — chacun observant les mêmes dix-huit minutes, mais depuis une position différente : militaire, politique, civile. La même situation, vécue de trois manières, avec trois degrés d’impuissance. 

Ce qui frappe d’abordc’est la rigueur du jeu des acteurs. Rebecca Ferguson, en capitaine de base, est d’une justesse glaciale ; Idris Elba impose une autorité contenuepresque usée, face à la gravité de la situation ; Jared Harris, plus cérébralincarne cette bureaucratie du désastre qui se réfugie dans les procédures pour ne pas céder à la paniqueAucun ne cherche à tirer la couverture à lui. Chacun tient sa lignecomme dans une partition  le moindre excès ferait tout déraillerC’est une distribution solide, sans faille, qui maintient la tension sans jamais la théâtraliserC’est un film d’acteurs dans la mesure  l’émotion passe non par le dialogue, mais par les silences, les regards, les hésitations infimes. 

Bigelow retrouve ici ce qu’elle sait faire de mieux : installer une menace invisible et la rendre plus terrifiante que n’importe quelle explosion. Elle filme les visages, les écrans, les alarmes, les voix dans les casques — tout ce qui précède l’impact. Son cinéma est toujours une question de tension avant l’événement, et rarement de spectacle après. Le suspense monte comme une marée lente, presque insidieuse. On sent l’oppression, la peur collective qui se transforme en vertige. Il n’y a pas de héros, juste des êtres pris dans une machine qui les dépasseC’est , sans doute, que le film prend toute sa force : dans cette impression d’être spectateur d’un engrenage qu’aucun individu ne peut stopper. 

Le scénario repose sur un principe ambitieux : raconter une même séquence de dix-huit minutes à travers trois angles différents. À la première vision, il est vrai que tout peut sembler confus, le spectateur cherchant son fil entre ces changements de perspective. Mais à la seconde, tout s’éclaire. On comprend que l’enjeu n’est pas de suivre une chronologie, mais de ressentir la densité du moment. La première partie, très militaire, plante la logique de la chaîne de commandement. La seconde, plus politique, s’attarde sur le poids du doute, les ordres contradictoires, les débats d’éthique. La troisième, plus périphérique, tente d’ouvrir le regard vers l’extérieur : un civil, ou un technicien en marge, qui vit ces minutes autrement. Et c’est là, effectivement, que le film vacille un peu. Ce dernier point de vue, je le trouve bâclé — c’est aussi ce que l’on ressent. .Une respiration qui affaiblit légèrement la tension accumulée jusque-là. Le film aurait presque gagné à s’arrêter avant, dans cette zone d’incertitude où tout reste suspendu. 

Mais malgré ce léger déséquilibreHouse of Dynamite reste un film haletant, tendu, oppressant. Ce n’est pas un film spectaculairec’est un film d’alerte, de vertige intérieur. Bigelow filme la peur comme une donnée mécanique : on ne la voit pas, mais on la sent circuler entre les personnages, entre les lignes de communication, dans le temps qui s’effrite. Elle s’attarde sur les visages crispés, les protocoles absurdes, les hésitations qui peuvent coûter des millions de vies. Elle ne juge pas ; elle observe. Et dans cette observation naît la terreur la plus pure : celle d’un monde  la procédure remplace la pensée,  la technologie s’enraye sous la pression humaine. 

Le plus intéressantc’est que le film ne cherche pas à être totalement plausible. Il joue justement sur cette frontière entre le réalisme et la simulation : ce que l’on voit pourrait arriver, mais ce n’est pas un documentaireC’est une hypothèse, un cauchemar possible. Et à ce titre, il interroge quelque chose de profondément contemporain : notre capacité à réagir dans un monde  tout peut basculer en dix-huit minutes. Arythme  va le monde, rien n’est impossible. Le film reprend cette idée et la pousse jusqu’à l’étouffement. 

Reste la fin. Frustranteoui — volontairement inachevéecomme un signal qui s’interrompt avant la détonation. On ne saura jamais si le missile frappe, s’il est déviési tout cela n’était qu’une fausse alerte. Et c’est  que réside la perversité du film : il nous laisse dans l’état même qu’il décritL’incertitudeL’attente. Le souffle coupé. On sort de  nerveusement vidépartagé entre soulagement et frustration. Vous l’avez très bien formulé : ne pas savoir est à la fois un manque et un soulagementC’est exactement ce que Bigelow cherche à provoquer. 

Au final, House of Dynamite est un film maîtriséexigeantparfois aridemais d’une intensité rare. On aurait aimé le découvrir en salle, tant sa mise en scène réclame l’obscurité et le silence collectif. Mais même sur un écran domestique, la force du dispositif demeure. Bigelow signe ici un retour sans esbroufeun film d’une lucidité glacialeporté par des acteurs impeccables et un scénario qui ose la répétition et le doute. On peut lui reprocher quelques longueurs, une troisième partie en deçà, un final frustrant — mais ces failles font aussi partie de sa beautéC’est un film qui ne rassure pas, qui ne clôt rien, qui nous laisse avec la conscience que, dans un monde saturé de puissance, il suffit d’une seule erreur pour que tout bascule. 

Et au fond, c’est peut-être ça, le vrai sujet de Bigelow : la fragilitémême au cœur de la toute-puissance. 

NOTE : 15.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire