Vu le film A House of Dynamite de Kathryn Bigelow (2025) avec Idris Elba Jason Clarke Anthony Ramos Rebecca Fergusson Jared Harris Gabriel Basso Tracy Letts Mose Ingram Jonah Hauer King Greta Lee Kyle Allen
Les États-Unis doivent faire face à une attaque imminente d'un missile nucléaire et l'intrigue se déroule de trois points de vue différents de différents échelons de la défense américaine : d'abord depuis la Maison-Blanche, principalement dans la Situation Room ; ensuite du point de vue des militaires et en particulier celui du général commandant le STRATCOM ; enfin du point de vue du président des États-Unis, en déplacement durant ces instants critiques. Le missile, dont l'origine n'est pas connue, se dirige vers Chicago et doit frapper la ville dans 20 minutes
House of Dynamite s’ouvre sur une tension sourde, presque abstraite : quelque part au-dessus de l’océan, un missile non identifié se dirige vers les États-Unis, et plus précisément vers Chicago. Dès les premières images, on comprend qu’on n’est pas dans un film d’action classique, mais dans un exercice de précision où chaque minute compte, où chaque respiration devient une décision. Kathryn Bigelow, fidèle à son goût du réalisme nerveux, fait de cette menace un huis clos à ciel ouvert, étalé sur plusieurs points de vue — trois exactement — chacun observant les mêmes dix-huit minutes, mais depuis une position différente : militaire, politique, civile. La même situation, vécue de trois manières, avec trois degrés d’impuissance.
Ce qui frappe d’abord, c’est la rigueur du jeu des acteurs. Rebecca Ferguson, en capitaine de base, est d’une justesse glaciale ; Idris Elba impose une autorité contenue, presque usée, face à la gravité de la situation ; Jared Harris, plus cérébral, incarne cette bureaucratie du désastre qui se réfugie dans les procédures pour ne pas céder à la panique. Aucun ne cherche à tirer la couverture à lui. Chacun tient sa ligne, comme dans une partition où le moindre excès ferait tout dérailler. C’est une distribution solide, sans faille, qui maintient la tension sans jamais la théâtraliser. C’est un film d’acteurs dans la mesure où l’émotion passe non par le dialogue, mais par les silences, les regards, les hésitations infimes.
Bigelow retrouve ici ce qu’elle sait faire de mieux : installer une menace invisible et la rendre plus terrifiante que n’importe quelle explosion. Elle filme les visages, les écrans, les alarmes, les voix dans les casques — tout ce qui précède l’impact. Son cinéma est toujours une question de tension avant l’événement, et rarement de spectacle après. Le suspense monte comme une marée lente, presque insidieuse. On sent l’oppression, la peur collective qui se transforme en vertige. Il n’y a pas de héros, juste des êtres pris dans une machine qui les dépasse. C’est là, sans doute, que le film prend toute sa force : dans cette impression d’être spectateur d’un engrenage qu’aucun individu ne peut stopper.
Le scénario repose sur un principe ambitieux : raconter une même séquence de dix-huit minutes à travers trois angles différents. À la première vision, il est vrai que tout peut sembler confus, le spectateur cherchant son fil entre ces changements de perspective. Mais à la seconde, tout s’éclaire. On comprend que l’enjeu n’est pas de suivre une chronologie, mais de ressentir la densité du moment. La première partie, très militaire, plante la logique de la chaîne de commandement. La seconde, plus politique, s’attarde sur le poids du doute, les ordres contradictoires, les débats d’éthique. La troisième, plus périphérique, tente d’ouvrir le regard vers l’extérieur : un civil, ou un technicien en marge, qui vit ces minutes autrement. Et c’est là, effectivement, que le film vacille un peu. Ce dernier point de vue, je le trouve bâclé — c’est aussi ce que l’on ressent. .Une respiration qui affaiblit légèrement la tension accumulée jusque-là. Le film aurait presque gagné à s’arrêter avant, dans cette zone d’incertitude où tout reste suspendu.
Mais malgré ce léger déséquilibre, House of Dynamite reste un film haletant, tendu, oppressant. Ce n’est pas un film spectaculaire, c’est un film d’alerte, de vertige intérieur. Bigelow filme la peur comme une donnée mécanique : on ne la voit pas, mais on la sent circuler entre les personnages, entre les lignes de communication, dans le temps qui s’effrite. Elle s’attarde sur les visages crispés, les protocoles absurdes, les hésitations qui peuvent coûter des millions de vies. Elle ne juge pas ; elle observe. Et dans cette observation naît la terreur la plus pure : celle d’un monde où la procédure remplace la pensée, où la technologie s’enraye sous la pression humaine.
Le plus intéressant, c’est que le film ne cherche pas à être totalement plausible. Il joue justement sur cette frontière entre le réalisme et la simulation : ce que l’on voit pourrait arriver, mais ce n’est pas un documentaire. C’est une hypothèse, un cauchemar possible. Et à ce titre, il interroge quelque chose de profondément contemporain : notre capacité à réagir dans un monde où tout peut basculer en dix-huit minutes. Au rythme où va le monde, rien n’est impossible. Le film reprend cette idée et la pousse jusqu’à l’étouffement.
Reste la fin. Frustrante, oui — volontairement inachevée, comme un signal qui s’interrompt avant la détonation. On ne saura jamais si le missile frappe, s’il est dévié, si tout cela n’était qu’une fausse alerte. Et c’est là que réside la perversité du film : il nous laisse dans l’état même qu’il décrit. L’incertitude. L’attente. Le souffle coupé. On sort de là nerveusement vidé, partagé entre soulagement et frustration. Vous l’avez très bien formulé : ne pas savoir est à la fois un manque et un soulagement. C’est exactement ce que Bigelow cherche à provoquer.
Au final, House of Dynamite est un film maîtrisé, exigeant, parfois aride, mais d’une intensité rare. On aurait aimé le découvrir en salle, tant sa mise en scène réclame l’obscurité et le silence collectif. Mais même sur un écran domestique, la force du dispositif demeure. Bigelow signe ici un retour sans esbroufe, un film d’une lucidité glaciale, porté par des acteurs impeccables et un scénario qui ose la répétition et le doute. On peut lui reprocher quelques longueurs, une troisième partie en deçà, un final frustrant — mais ces failles font aussi partie de sa beauté. C’est un film qui ne rassure pas, qui ne clôt rien, qui nous laisse avec la conscience que, dans un monde saturé de puissance, il suffit d’une seule erreur pour que tout bascule.
Et au fond, c’est peut-être ça, le vrai sujet de Bigelow : la fragilité, même au cœur de la toute-puissance.
NOTE : 15.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Kathryn Bigelow
- Scénario : Noah Oppenheim
- Musique : Volker Bertelmann
- Décors : Jeremy Hindle
- Costumes : Sarah Edwards
- Photographie : Barry Ackroyd
- Montage : Kirk Baxter
- Production : Greg Shapiro, Kathryn Bigelow et Noah Oppenheim
- Société de production : Prologue Entertainment
- Société de distribution : Netflix
- Idris Elba (VF : Daniel Njo Lobé) : le président des États-Unis
- Rebecca Ferguson (VF : Laura Blanc) : la capitaine Olivia Walker, officière supérieure de la Situation Room de la Maison-Blanche
- Gabriel Basso (VF : Félicien Juttner) : Jake Baerington, conseiller adjoint à la sécurité nationale
- Jared Harris (VF : Daniel Lafourcade) : Reid Baker, secrétaire à la Défense
- Tracy Letts (VF : Michel Dodane) : le général Anthony Brody, commandant du STRATCOM
- Moses Ingram (VF : Déborah Claude) : Cathy Rogers, employée de la FEMA travaillant à l'Office of National Continuity Programs
- Anthony Ramos (VF : Hugo Brunswick) : le major Daniel « Danny » Gonzalez, commandant de Fort Greely (en), une base militaire chargée de la défense antimissile
- Jonah Hauer-King (VF : Théo Frilet) : le lieutenant commandant Robert Reeves, aide de camp du président, transportant le nuclear football et lui présentant les options de représailles nucléaires
- Greta Lee (VF : Alice Taurand) : Ana Park, experte nord-coréenne de la NSA
- Jason Clarke (VF : Jochen Hägele (en)) : l'amiral Mark Miller, supérieur d'Olivia Walker à la Situation Room de la Maison-Blanche
- Willa Fitzgerald (VF : Joy Feldman) : Abby Jansing, la journaliste de CNN accréditée à la Maison-Blanche
- Renée Elise Goldsberry (VF : Astrid Bayiha) : Allison, la Première dame des États-Unis
- Kyle Allen : le capitaine Jon Zimmer, un pilote de bombardier B-2
- Kaitlyn Dever (VF : Emma Santini) : Caroline Baker, fille de Reid Baker
- Brian Tee (VF : Stéphane Roux (en)) : l'agent spécial Ken Cho du Secret Service
- Brittany O'Grady (en) (VF : Nahla Attali) : Lily Baerington, épouse de Jake Baerington et assistante au Congrès
- Gbenga Akinnagbe (VF : Frédéric Kontogom) : le major général Steven Kyle, un officier du STRATCOM
- Abubakr Ali (en) (VF : Aurélien Raynal) : le lieutenant Dan Buck, un soldat de Fort Greely (en)
- Francesca Carpanini : la sergente Ali Jones, un soldat de Fort Greely (en)
- Malachi Beasley (VF : Grégory Lerigab) : William « Bill » Davis, collègue d'Olivia Walker à la Situation Room de la Maison-Blanche
- Angel Reese : elle-même

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire