Pages

samedi 18 octobre 2025

13.90 - MON AVIS SUR LE FILM L EVANGILE SELON SAINT MATTHIEU DE PIER PAOLO PASOLINI (1964)


 Vu le Film L’Evangile Selon Saint Matthieu de Pier Paolo Pasolini (1964) avec Enrique Irazoqui Margherita Caruso Susanna Pasolini Marcello Morante Mariol SocratGiogio Agambe Settimio Del Porto  

Joseph est bouleversé quand il voit que sa fiancée Marie est enceinte. C'est alors que l'archange Gabriel lui apparaît et fait l'Annonciation. Il lui dit qu'il ne faut pas craindre de prendre Marie pour épouse, car ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint. Elle aura un fils qui s'appellera Jésus et qui sauvera son peuple de ses péchés. 

Lorsque l'enfant naît, les rois mages viennent l'adorer. Mais les livres saints du peuple juif sont connus du roi Hérode qui, craignant que l'enfant ne devienne le libérateur qui doit mettre fin au pouvoir de Rome, donne l'ordre de tuer tous les nouveau-nés. 

Moi, l’athée, je ne m’attendais pas à être bouleversé par un film sur le Christ. Et pourtant, Pasolini, l’homme des marges, du scandale et de la chair, signe ici un des films les plus purs, les plus rigoureux, les plus humains jamais consacrés à la figure de Jésus. Il choisit l’Évangile de Matthieu, qu’il juge “le plus poétique” – là où Marc serait trop cru, Luc trop attendri et Jean trop mystique – et en fait une œuvre de dépouillement absolu, comme si le texte lui-même suffisait à donner la beauté. Pasolini ne réécrit rien : il filme les mots de l’Évangile, tels quels, avec un respect littéral presque sacré, et c’est précisément ce refus d’interpréter qui crée la force du film. 

L’histoire, on la connaît : la naissance du Christ, ses prêches, ses disciples, les miracles, la trahison, la crucifixion et la résurrection. Mais sous la caméra de Pasolini, tout cela devient matière brute, un poème filmé à la main, où les visages, les pierres et la poussière prennent autant d’importance que la parole divine. Le réalisateur tourne en Italie du Sud, dans des paysages arides, pauvres, presque bibliques par nature. Le néoréalisme n’est plus seulement un style : il devient ici une mystique. 

Le choix des acteurs participe à cette vérité nue. Pasolini, fidèle à son goût pour les non-professionnels, confie le rôle de Jésus à Enrique Irazoqui, un jeune étudiant espagnol inconnu, au visage ascétique, à la beauté presque trop pure pour être terrestre. Son Christ est d’une intensité troublante : sévère, lumineux, habité. Pasolini filme son regard comme on filme un glaive – chaque mot sort de sa bouche avec la dureté d’une vérité qui ne négocie pas. Il n’a rien du Jésus douloureux ou hésitant de Scorsese : il avance, parle, tranche. Sa parole, plus que les miracles, est l’arme absolue. 

Autour de lui, les apôtres paraissent quelconques, presque anonymes, comme des paysans pris sur le vif. C’est justement cette banalité qui rend le Christ plus éclatant, plus irréel. L’opposition entre sa beauté presque angélique et la rudesse du monde qui l’entoure crée une tension constante. Pasolini filme ces visages sans fard, leurs rides, leurs mains sales, leur foi maladroite, et il en sort une humanité bouleversante. 

La mise en scène est d’une austérité rare : plans fixes, mouvements mesurés, lumière naturelle, pas d’effets. Tout passe par le regard et la parole. Cette sobriété confère au film une force quasi documentaire, mais aussi une dimension méditative : chaque plan semble pensé pour durer au-delà du temps. Pasolini filme la Bible comme un reportage sur l’éternité. Les miracles, eux, ne sont que suggérés — il ne cherche pas à impressionner, mais à convaincre. 

La photographie en noir et blanc, signée Tonino Delli Colli, est magnifique : elle donne au film une texture minérale, entre le sacré et le réel. On dirait parfois des images d’archives d’un autre monde, où la lumière du ciel écrase les hommes sans les juger. Et la musique, allant du Gloria de Bach aux chants populaires africains (Missa Luba) , crée un pont entre les âges : la foi devient universelle, détachée de toute religion. 

Pasolini, lui, l’athée marxiste, ne cherche pas à prouver que Dieu existe. Il cherche à comprendre pourquoi tant d’hommes ont cru. Et ce qu’il trouve dans Matthieu, c’est une beauté poétique, une puissance verbale, une rigueur morale. D’où ce film froid, contemplatif, mais d’une émotion souterraine, silencieuse. Un film de foi sans religion, un film d’amour sans dogme. 

On pourra trouver l’ensemble austère, presque dur à suivre si l’on n’a pas en tête les textes bibliques. Mais c’est aussi ce qui fait sa grandeur : Pasolini ne simplifie pas, ne caresse pas le spectateur. Il exige la même attention que celle qu’on doit à une prière — même pour ceux qui n’y croient pas. 

L’Évangile selon saint Matthieu n’est pas une illustration de la Bible, c’est une lecture incarnée, poétique, charnelle. Un film d’ascèse et de feu. 
Et si le Christ y semble plus humain que divin, c’est peut-être parce que Pasolini, paradoxalement, y a mis toute sa foi… dans les hommes. 

NOTE : 13.90

FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Pier Paolo Pasolini

Assistant réalisateur : Vincenzo Cerami, Elsa Morante et Maurizio Lucidi

Scénario : Pier Paolo Pasolini, d'après l'Évangile selon Matthieu

Photographie : Tonino Delli Colli, assisté de Giuseppe Ruzzolini (cadreur)

Montage : Nino Baragli

Son : Mario Del Pozzo

Musique : Luis Bacalov, Carlo Rustichelli (non crédité)

Extraits des œuvres de Bach (Passion selon saint Matthieu), Webern, Mozart, Prokofiev (Alexander Nevsky), de la Missa Luba (messe congolaise), de spirituals et de chants révolutionnaires russes

Décors : Luigi Scaccianoce assisté de Dante Ferretti

Costumes : Danilo Donati

Conseiller religieux : Don Giovanni Rossi

Mixage : Fausto Ancillai

Opérateur : Gianni Cianfarelli Modica

Assistant opérateur : Victor Hugo Contini

Scripte : Lina D’Amico

Maquillage : Marcello Ceccarelli, Lamberto Marini, Mimma Pomilia

Production : Alfredo Bini

Sociétés de production : Arco film (Rome), Lux Compagnie Cinématographique de France (Paris)

DISTRIBUTION


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire