Pages

dimanche 12 octobre 2025

16.10 - MON AVIS SUR HANTISE DE GEORGE CUKOR (1944)


 Vu le film Hantise de George Cukor (1944) avec Ingrid Bergman Charles Boyer Angela Lansbury Dame May Whity Barbara Everest Emil Rameau Edmund Breon Halliwell Hobbes Jakob Impel 

Quelques années plus tôt, Paula s'est enfuie de Londres après l'assassinat non élucidé de sa tante, Alice Alquist, une chanteuse célèbre. Établie depuis dix ans en Italie, elle y rencontre un pianiste, Gregory, qu'elle épouse alors qu'il est déjà marié. Par amour pour son mari, elle se laisse convaincre de revenir habiter dans la demeure londonienne où sa tante a été étranglée. Mais le bonheur est de courte durée.   

Hantise (Gaslight, 1944) de George Cukor est l’un de ces films qui semblent d’abord appartenir à un genre — le suspense psychologique à la manière d’Hitchcock — mais qui, à mesure qu’ils avancent, révèlent une personnalité tout à fait singulière, propre à leur réalisateur. Cukor, qu’on surnomme souvent “le prince des comédies romantiques”, signe ici une œuvre sombre, raffinée, étouffante, où la manipulation intime prend le pas sur le simple mystère criminel. Ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style devient un drame psychologique d’une intensité rare. 

L’histoire débute à Londres, dans une maison victorienne chargée de souvenirs. Paula Alquist (Ingrid Bergman), jeune femme fragile, revient vivre dans la demeure de sa tante, célèbre cantatrice assassinée des années plus tôt. Elle y habite désormais avec son mari, Gregory Anton (Charles Boyer), un homme attentionné en apparence, mais dont le comportement se fait de plus en plus étrange. Peu à peu, Paula croit perdre la raison : les objets disparaissent, des bruits résonnent à l’étage alors que nul ne s’y trouve, la lumière vacille, et Gregory lui-même semble persuadé qu’elle devient folle. L’amour qu’elle croyait partager se transforme en piège. Mais un jeune inspecteur de Scotland Yard, Brian Cameron (Joseph Cotten), s’intéresse à cette affaire et commence à soupçonner la vérité : Gregory manipule Paula pour la rendre folle et récupérer les bijoux de sa tante assassinée. 

Cukor, en habile dramaturge, installe un climat d’angoisse feutrée. Il ne cherche pas les effets spectaculaires d’un Hitchcock, mais la lente corrosion du doute. L’angoisse vient de l’intérieur, des regards, des silences, du moindre décalage entre la réalité et la perception qu’en a Paula. Le spectateur, comme elle, se met à douter de tout. Les escaliers, la chambre interdite, la lampe qui vacille… tout devient symbole d’un esprit piégé. La folie semble suinter des murs. 

Ingrid Bergman, bouleversante, incarne à la perfection cette femme dépossédée d’elle-même. Elle passe d’une douceur confiante à une panique intérieure quasi viscérale, et son regard devient le véritable moteur du film. Son Oscar est amplement mérité : rarement une actrice aura su traduire avec autant de justesse la fragilité psychologique sans jamais sombrer dans la caricature. Face à elle, Charles Boyer est d’une maîtrise glaçante : séducteur, courtois, puis subtilement tyrannique. Il manipule avec élégance, et c’est précisément cette élégance qui rend sa cruauté insupportable. Leur relation est le cœur du film : un duel à huis clos où l’amour se transforme en domination, où la tendresse devient poison. 

Joseph Cotten, plus discret mais solide, incarne une figure morale, celle du regard extérieur qui ramène la raison au cœur de la folie. Quant à la jeune Angela Lansbury, dans son premier rôle au cinéma, elle apporte une touche de fraîcheur insolente en femme de chambre effrontée, véritable contrepoint au couple principal. Dommage que son personnage disparaisse avant la fin, car elle donnait une vitalité bienvenue à l’ensemble. 

La photographie, signée Joseph Ruttenberg, est d’une beauté hypnotique. Le noir et blanc, d’une précision picturale, accentue la claustrophobie du récit. Les jeux d’ombres et de lumière traduisent l’état mental de Paula : la lumière du gaz qui baisse symbolise sa raison qui vacille. C’est un film où la mise en scène sert littéralement le propos — chaque mouvement, chaque cadrage est un indice de la manipulation. 

Cukor prouve ici qu’il n’est pas qu’un maître de la comédie élégante : il sait disséquer les rapports de pouvoir, les tourments de la conscience et la cruauté du lien amoureux. Hantise est moins un film policier qu’une autopsie du mariage quand il devient instrument de domination. Il y a bien du Hitchcock dans la tension et du Agatha Christie dans l’intrigue, mais la patte de Cukor se reconnaît dans la manière dont il fait de l’émotion une architecture. Le suspense devient intime, presque psychologique avant la lettre. 

Ce long métrage, admirablement construit, tire sa force de sa lente montée vers la délivrance : Paula reprend possession d’elle-même, comprend la manipulation et renverse son bourreau. Cette inversion finale redonne au film une portée presque féministe avant l’heure. Hantise n’est pas seulement un thriller maîtrisé, c’est un drame sur la confiance, le pouvoir, et la peur d’être dépossédé de sa propre réalité. Et dans sa photographie somptueuse, son rythme maîtrisé et ses interprétations parfaites, il garde ce goût rare des grands classiques : celui d’un cinéma à la fois élégant et terriblement humain.

NOTE : 16.10

FICHE TECHNIQUE

 


DISTRIBUTION

Et, parmi les acteurs non crédités :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire