Vu le Film L’Etranger de François Ozon (2025) avec Benjamin Voisin Rebecca Marder Denis Lavant Pierre Lottin Mireille Perrier Swann Arlaud Christophe Malavoy Jean Charles Clichet Nicolas Vaude Jean Claude Bolle-Redat Abderramane Dekhani
À Alger, en Algérie française, dans les années 1930 ou 1940, Meursault, jeune homme vivant seul, vient de perdre sa mère, laquelle vivait dans un asile. Il semble indifférent à cet évènement, comme à toute autre chose. Le film ne commence pas par la célèbre phrase "Aujourd'hui maman est morte" mais par "J'ai tué un Arabe." Le film se concentre donc d'emblée sur ce pivot du récit.
Entre la blancheur éclatante d’Alger et la noirceur silencieuse de l’âme de Meursault, Camus faisait naître une lumière qui interroge le sens même de l’existence. C’est dans ce clair-obscur philosophique que François Ozon plonge à son tour, avec une intensité rare, en adaptant le roman mythique de Camus. Je ne connaissais pas le roman, j’y suis donc allé un peu vierge, avec simplement l’envie de découvrir ce nouvel Ozon, et surtout avec ma grande admiration pour Benjamin Voisin. Autant dire que le voyage fut total.
L’Étranger nous confronte à un homme qui ne ressent rien, ne dit rien, ne s’accroche à rien. Meursault, figure dérangeante et fascinante, traverse la vie comme une ombre blanche sous le soleil d’Alger. Ni la mort de sa mère, ni l’amour de Marie, ni les provocations d’un voisin envahissant, Raymond Sintès (Pierre Lottin), ne semblent l’atteindre. Il observe, il subit, il flotte. Et puis, il y a ce geste insensé, ce coup de feu sur « l’Arabe », dans cette chaleur écrasante où le soleil devient presque un personnage à part entière.
Ozon, fidèle à sa manière élégante et précise, ne cherche pas à expliquer Meursault. Il le filme. Il le contemple. Il nous laisse face à lui, dans cette indifférence absolue qui dérange et fascine à la fois. Le procès qui suit — miroir déformant d’une société coloniale hypocrite — accuse moins le crime que l’absence d’émotion : Meursault est coupable, non d’avoir tué, mais de ne pas avoir pleuré.
La mise en scène est somptueuse. Le noir et blanc signé Manuel Dacosse (le directeur photo d’Eden, Innocence et L’ombre d’un mensonge) donne au film une texture presque charnelle. Les contrastes sont d’une beauté à tomber : la lumière brûlante d’Alger contre les ténèbres intérieures du héros. Le soleil y est à la fois témoin, juge et bourreau. Chaque plan semble sculpté dans la lumière.
Mais ce qui emporte tout, c’est Benjamin Voisin. À 28 ans, il confirme qu’il est déjà un immense acteur. Il ne joue pas Meursault — il l’habite, il le traverse. Ozon lui a demandé de ne pas « jouer », justement, et c’est là que réside le génie : incarner l’indifférence sans jamais être vide. On sent son travail d’acteur de théâtre, cette précision du corps, du regard, du silence. On sait qu’il s’était isolé pendant le tournage pour entrer dans cet état d’étrangeté. Et le résultat est bouleversant. Il est beau comme un rayon de soleil que le cinéma éclaire d’une lueur tragique.
À ses côtés, Rebecca Marder est lumineuse, touchante, présence tendre et vive dans un monde sans couleur. Swan Arlaud, bouleversant en prêtre du dernier instant, apporte une spiritualité tremblante face à l’athéisme de Meursault. Pierre Lottin, lui, peine un peu à trouver le ton juste de Sintès, son accent manquant sans doute à la vérité du rôle. Et clin d’œil délicieux : Jean-Claude Bolle-Reddat, gardien d’asile et figure schpountzienne, sert de trait d’union entre gravité et humanité.
Ozon signe ici un film lumineux, brillant, d’une beauté plastique et morale rare. Il parvient à transposer le mythe camusien sans lourdeur, en le faisant vibrer dans une modernité intemporelle. L’Étranger n’est pas un film qui se regarde : c’est un film qui se contemple, comme une question qu’on ne résout jamais.
Deux heures suspendues entre le noir et la lumière, entre la vérité et l’absurde. Deux heures à contempler la beauté.
Et au centre, Benjamin Voisin, solaire, magnifique, déjà immense — et promis, sans doute, à devenir encore plus grand.
Face à l’absurde, il ne reste que la vérité du regard. Et celui de Meursault, porté par Benjamin Voisin, nous renvoie à la nôtre, sans fard ni échappatoire.
Sous le soleil d’Alger, Ozon filme la beauté du vide et la grâce de l’indifférence. On en sort ébloui, bouleversé, comme si la lumière avait traversé nos propres ombres.
Rendez-vous aux César
NOTE : 17.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : François Ozon
- Scénariste : François Ozon, en collaboration avec Philippe Piazzo, d'après le roman L'Étranger d'Albert Camus
- Musique : Fatima Al Qadiri[]
- Décors : Katia Wyszkop[]
- Costumes : Pascaline Chavanne[]
- Photographie : Manuel Dacosse
- Son : Jean-Paul Hurier, Julien Roig et Emmanuelle Villard[]
- Montage : Clément Selitzki
- Production : François Ozon[]
- Sociétés de production : FOZ[], en coproduction avec France 2 Cinéma, Gaumont, Lions Production et Service et Scope Pictures[]
- Sociétés de distribution : Gaumont (France) ; Athena Films (Belgique), Filmcoopi (Suisse romande), Immina Films (Québec)
DISTRIBUTION
- Benjamin Voisin : Meursault[]
- Rebecca Marder : Marie Cardona
- Pierre Lottin[] : Raymond Sintès
- Denis Lavant[] : Salamano
- Swann Arlaud[] : l'aumônier de prison
- Christophe Malavoy : le juge
- Nicolas Vaude : le procureur
- Jean-Charles Clichet : l'avocat
- Mireille Perrier : la mère de Meursault
- Hajar Bouzaouit : Djemila
- Abderrahmane Dehkani : Moussa
- Jérôme Pouly : Céleste
- Jean-Claude Bolle-Reddat : le concierge asile
- Christophe Vandevelde : Masson
- Jean-Benoît Ugeux : le directeur de l'as

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