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mercredi 12 novembre 2025

12.90 - MON AVIS SUR LE FILM LA FEMME INFIDELE DE CLAUDE CHABROL (1969)


 Vu La Femme Infidèle de Claude Chabrol (1969) avec Michel Bouquet Stéphane Audran Michel Duchaussoy Maurice Ronet Stéphane Di Napoli Marcel Bozzufi Louise Rioton François Moro Giafferi Henry Attal Guy Marly 

Charles Desvallées coule une vie confortable et rangée entre la belle demeure versaillaise où il vit avec sa femme Hélène et leur fils, et le cabinet d'assurances qu'il dirige à Paris avec un associé. Soupçonnant que sa femme le trompe, il embauche un détective, qui identifie rapidement le fauteur de troubles : un écrivain divorcé habitant Neuilly, auquel Charles rend visite. 

« Une femme infidèle » de Claude Chabrol, c’est du pur Chabrol, et comme certains fromages c’est marqué dessus : la croûte bourgeoise, l’odeur des petites perversions planquées derrière les rideaux, et ce goût légèrement rance mais tellement addictif qu’on en redemande. On entre chez ces bourgeois enlisés dans leurs privilèges comme dans un salon trop bien rangé où chaque meuble cache un secret. Elle, la femme volage. Lui, le mari jaloux et cocu — oui, cocu, et encore, ça pourrait être l’inverse tant ces rôles glissent chez Chabrol comme des chaussettes sur un parquet ciré. 

Chabrol ne nous prend pas pour des lapins de première année. Il sait qu’on sait. Il sait ce qu’on aime chez lui : voir ce petit monde propre sur lui se fissurer dès qu’on gratte le vernis. Et il le fait sans forcer, avec cet œil redoutablement affûté, presque clinique, qui découpe les gestes, les regards, les silences. Une précision chirurgicale qui raconte tout sans jamais hausser la voix. 

Techniquement, le film a vieilli. Ah, la prise de son direct… parfois on a l’impression d’écouter une conversation à travers une porte mal fermée. Mais malgré ça, on reste hypnotisé par ce jeu du chat et de la souris, par ces allers-retours en banlieue chic où rien ne bouge sauf les mensonges. Michel Bouquet, le cocu modèle, fait du Bouquet : le visage fermé, le corps raide, la respectabilité en uniforme. C’est peut-être son meilleur rôle, celui où sa bourgeoisie, trop stricte, trop coincée, devient une force et une faiblesse. On se souvient de lui au dancing, à côté de la plaque, pas assez libre, presque trop pur pour comprendre le monde qui bouge autour de lui. 

En face, Stéphane Audran, magnifique, glaciale, troublante, femme volage qui triche avec la vie sans même s’échauffer. Maurice Ronet, l’amant dans le placard — littéralement — apporte cette ambiguïté calme, charmeuse, qui donne envie de lui dire de rester caché parce que dehors ça risque de chauffer. Michel Duchaussoy arrive en flic teigneux, méthodique, de ceux qui sentent quand les bourgeois mentent mais qui doivent faire semblant de rester polis. Et puis le jeune Stéphane Di Napoli, témoin silencieux, qui regarde les grandes personnes se débattre dans leurs drames minuscules. 

Chabrol déroule tout ça avec une sobriété qui rappelle Melville : pas d’effets inutiles, pas de coups de théâtre malpolis, juste la mécanique froide d’un meurtre qui, paradoxalement, réunit un couple au lieu de le briser. Chez Chabrol, tuer n’est pas spectaculaire, c’est fonctionnel. C’est même presque banal, comme si la bourgeoisie avait intégré le crime dans son mobilier. 

Le scénario avance droit, sans gras, en montrant comment un geste irréparable peut se fondre dans la routine. La mise en scène refuse la dramatisation. La musique tombe toujours au bon moment, jamais trop, un filet sonore comme une lame. Et tout se tient : l’étude millimétrée d’un milieu où l’on préfère mourir plutôt que de perdre la face, où la psychologie est un terrain mouvant, où chaque personnage semble mentir même quand il dit la vérité. 

« Une femme infidèle », c’est la quintessence du cinéma de Claude Chabrol. Une démonstration froide, élégante, cynique mais pas gratuite, de ce qui arrive quand la bourgeoisie se retrouve confrontée à ce qu’elle refuse de voir : elle-même. Et malgré la technique datée, malgré le temps passé, le film garde cette force tranquille, ce venin doux, cette ironie qui pique juste ce qu’il faut pour qu’on en redemande. 

NOTE : 12.90

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