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jeudi 13 novembre 2025

12.40 - MON AVIS SUR LE FILM JUSTE AVANT LA NUIT DE CLAUDE CHABROL (1971)




 Vu le Film Juste Avant la Nuit de Claude Chabrol (1971) avec Michel Bouquet Stéphane Audran Célia Brigitte Perrin François Périer Patrick Gillot Clelia Matiania Dominique Marcas Dominique Zardi Jean Carmet Michel Duchaussoy Henri Attal 

Charles Masson, chef d'entreprise et père de famille, est entraîné par sa maîtresse Laura dans des jeux pervers. Ainsi va-t-elle un jour jusqu'à lui demander de faire semblant de la tuer. Elle le provoque tant et si bien que Charles finit par l'étrangler dans le studio parisien où ils se rencontrent. Après avoir jeté dans une bouche d'égout un mouchoir compromettant, il rentre chez lui. Laura était l'épouse du meilleur ami de Charles, François Tellier, architecte, qui ne tarde pas à découvrir que celle-ci le trompait 

Deux ans après La Femme infidèle, Chabrol reprend ses pinceaux pour peindre une nouvelle toile de la bourgeoisie française — même décor, mêmes comédiens, même parfum de malaise — et pourtant, Juste avant la nuit va encore plus loin dans la cruauté tranquille. C’est du pur Chabrol, millimétré, venimeux, d’une précision d’horloger suisse. Le roman d’Edward Atiyah lui sert de point de départ, mais Chabrol s’en empare comme d’un scalpel pour disséquer, sans anesthésie, la bonne conscience des gens bien élevés. 

On retrouve donc le couple fétiche de Chabrol : Michel Bouquet, impassible et rongé par une culpabilité presque élégante, et Stéphane Audran, beauté glaciale et troublante, muse et miroir de toutes les hypocrisies. Charles Masson (Bouquet), mari modèle, père de famille sans histoires, avoue à son ami François (François Périer) avoir étranglé sa maîtresse Laura — la femme dudit François — au cours de jeux érotiques qui ont mal tourné. Jusque-là, un simple drame bourgeois, sauf que le vrai poison du film n’est pas dans le meurtre, mais dans l’après. Car tout repose sur le non-dit, sur ce moment où l’assassin comprend que sa femme et son ami savent. Ils savent, et ils se taisent. Et c’est ce silence-là, plus que la peur de la justice, qui le détruit. 

Chabrol filme tout cela sans effets, sans cris, sans pathos. La mise en scène est d’une froideur exemplaire : plans fixes, cadres fermés, couleurs feutrées, intérieurs trop propres pour être honnêtes. Chaque salon devient un piège, chaque regard un jugement. Chabrol ne dénonce pas la bourgeoisie à grands coups de slogans : il la laisse simplement parler, vivre, s’effriter. C’est d’autant plus féroce que tout semble calme. On est dans le malaise poli, la gêne bien mise, les remords en chemise amidonnée. 

Michel Bouquet, dans un rôle taillé pour lui, est magistral : il incarne à la perfection ce monstre ordinaire, cet homme qui se voudrait moral mais ne sait plus ce que cela veut dire. Son visage impassible, sa voix étouffée, tout chez lui transpire le refoulement. Stéphane Audran, elle, irradie une sensualité contenue, presque dangereuse. Quand on voit la charge érotique qu’elle dégage à cette époque, on comprend mal que le pauvre Charles ait eu besoin d’aller voir ailleurs pour s’égarer dans des jeux pervers… ou peut-être, justement, était-il paniqué devant l’ampleur de la tâche ! François Périer, impeccable, complète ce triangle infernal avec une ambiguïté constante — à la fois ami, victime et spectateur de la chute morale de son monde. 

Le scénario, d’une limpidité trompeuse, ne repose pas sur la question “va-t-il être arrêté ?” mais sur “jusqu’où ira-t-il pour se faire pardonner ?”. Chabrol joue avec le suspense intérieur, le vrai : celui de la honte, de la peur du regard des siens, de la lucidité qui dévore lentement. Le meurtre n’est qu’un prétexte ; ce qui compte, c’est la dissection méthodique d’un homme et d’un milieu. 

Juste avant la nuit est peut-être le film le plus cruel de Chabrol envers la bourgeoisie, parce qu’il ne la ridiculise pas : il la laisse simplement être elle-même, avec ses contradictions, son élégance morte et sa peur du scandale. Le drame y devient rituel, presque apaisé — comme si la faute faisait partie du décor. Chez Chabrol, la morale ne s’énonce pas : elle se constate. Et quand Charles, acculé, finit par réclamer son propre châtiment, ce n’est plus la justice qu’il cherche, mais une forme de purification que son monde, trop bien élevé, lui refusera toujours. 

Un film où tout semble immobile et où pourtant tout s’effondre. Un théâtre de salon où les fauteuils sentent la mort. Du Chabrol pur sucre — ou plutôt pur cyanure. 

NOTE : 12.40

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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