Vu le Film Poulet au Vinaigre de Claude Chabrol (1985) avec Jean Poiret Stéphane Audran Lucas Belvaux Michel Bouquet Pauline Lafont Jean Topart Caroline Cellier Joséphine Japy Dominique Zardi
Dans une petite ville de province, Madame Cuno, une impotente qui refuse de vendre sa maison, prend un plaisir certain à refuser les offres, pourtant intéressantes, de trois notables. Louis, son fils facteur, profite quant à lui de sa fonction pour se tenir au courant des petites histoires peu avouables de ses concitoyens. Après avoir saboté la voiture d'un des notables, qui lorgnait sur la demeure familiale, il apprend que celui-ci a été assassiné. L'inspecteur Lavardin mène l'enquête.
Claude Chabrol remet une fois de plus le couvert avec Poulet au Vinaigre (1985), et dans sa marmite, il nous mijote une volaille au sang acide, un plat bien de chez lui : la bourgeoisie de province cuite à feu lent, dans sa graisse morale et ses petits secrets bien rôtis. On pourrait dire que Chabrol retrouve ici ses fondamentaux : les notables en façade impeccable, les rancunes bien grasses et les petits arrangements sordides de ceux qui s’ennuient entre deux repas. Le tout servi avec un humour noir et une précision de bistrotier du crime.
La volaille, ici, c’est l’Inspecteur Lavardin. Et quel oiseau rare ! Jean Poiret, tout en malice, cynisme et autorité tranquille, incarne un flic comme on n’en fait plus. Pas de gants blancs ni de phrases de commissariat, mais des répliques qui piquent et des regards qui décortiquent. Lavardin, c’est un poulet au vinaigre, oui, mais c’est surtout un aigle déguisé en simple volatile. Il ne se laisse pas voler dans les plumes, surtout face à ces bourgeois normands dont la vertu n’a d’égale que la pourriture sous la nappe. Poiret donne à Lavardin une humanité rugueuse, une ironie tendre, et un plaisir de traquer qui le rend inoubliable — un flic à part, définitivement à part, dans la mémoire du cinéma français.
À ses côtés, une galerie chabrolienne d’une justesse cruelle : Stéphane Audran, impériale et blessée, incarne une femme diminuée par le corps mais debout dans la dignité. Son fils, joué par le jeune Lucas Belvaux (futur réalisateur), devient le bras vengeur d’une mère humiliée, un facteur porteur de rage et de vérité. Le trio Poiret–Audran–Belvaux, c’est le cœur battant du film : trois solitudes, trois douleurs, trois formes de résistance dans une société qui préfère étouffer plutôt qu’avouer.
Le scénario, signé Chabrol et Odile Barski, condense tout ce que le cinéaste sait faire : un polar d’apparence classique où chaque plan découpe la chair du mensonge provincial. Le crime n’est jamais le moteur, mais le révélateur. On tue ici moins par haine que par peur d’être vu tel qu’on est. Et Chabrol filme cette peur avec un calme de chirurgien, sans éclats, sans effets, mais avec cette rigueur entomologique qui transforme le petit fait divers en étude de mœurs.
La mise en scène, faussement tranquille, regorge de détails assassins : un plan sur une assiette, un regard qui se détourne, une porte qui claque — tout respire la tension larvée. Le montage, précis comme un coup de scalpel, épouse le rythme du flic et de ses suspects : le spectateur, lui, se retrouve complice malgré lui. Et derrière l’enquête, c’est tout un monde qui se fissure : Chabrol s’amuse à faire sauter les couvercles, à révéler la crasse sous les nappes blanches.
Visuellement, Poulet au Vinaigre n’a rien d’un festin baroque : c’est une cuisine sobre, mais goûteuse, où chaque ingrédient trouve sa place. Les couleurs froides de la province, les intérieurs étouffants, les visages fermés — tout participe à ce sentiment d’enfermement, de société close sur ses hypocrisies. Et au milieu de ce décor, Lavardin, comme un poivre sur la langue, vient tout relever.
Chabrol signe ici un film à la fois drôle, cruel, et incroyablement vivant. Poulet au Vinaigre, c’est du Chabrol comme on l’aime : savoureux, piquant, salé juste ce qu’il faut, mais surtout très poivré. Un polar à mijoter lentement, à déguster avec un grand sourire carnassier.
Et si certains réalisateurs nous servent du réchauffé, Chabrol, lui, nous rappelle qu’un bon poulet au vinaigre, ça se prépare à feu doux, avec du caractère, du fiel et beaucoup d’ironie.
Et au final, Chabrol, comme un grand chef, nous rappelle qu’au cinéma comme en cuisine, tout est affaire de feu, de patience et de goût
Un grand cru, millésime 1985 — à servir sans modération.
NOTE : 14.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Claude Chabrol, assisté de Pierre-François Duméniaud et d'Aurore Chabrol
- Scénario : Claude Chabrol et Dominique Roulet d'après son roman Une mort en trop
- Décors : Françoise Benoît-Fresco
- Costumes : Magali Fustier-Dray
- Photographie : Jean Rabier
- Son : Jean-Bernard Thomasson
- Montage : Monique Fardoulis
- Musique : Matthieu Chabrol et Dominique Zardi
- Production : Marin Karmitz
- Société de production : MK2 Productions
- Société de distribution : MK2 Diffusion
- Jean Poiret : inspecteur Jean Lavardin
- Stéphane Audran : Madame Cuno
- Lucas Belvaux : Louis Cuno
- Michel Bouquet : Hubert Lavoisier
- Caroline Cellier : Anna Foscarie, amie de Delphine
- Jean Topart : Docteur Philippe Morasseau
- Pauline Lafont : Henriette Uriel
- Josephine Chaplin : Delphine Morasseau, épouse de Philippe, amie d'Anna
- Jean-Claude Bouillaud : Gérard Filiol
- Andrée Tainsy : Marthe
- Jacques Frantz : Alexandre Duteil
- Henri Attal : l'employé de la morgue
- Marcel Guy : le maître d'hôtel
- Dominique Zardi : Henri Rieutord, chef du bureau de Poste
- Jean-Marie Arnoux : le client du café
- Albert Dray : André, le barman

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