Vu le Film Frankenstein de Guillermo del Toro (2025) avec Oscar Isaac Jacob Elordi Mia Goth Christoph Waltz Féloix Kammerer Charles Dance Ralph Ineson Sofia Galasso Burn Gorman Lars Mikkelsen Nikola Lie Kass
En 1857, l'Horisont, un navire de la marine royale danoise mené par le capitaine Anderson, se retrouve pris au piège sur la banquise du pôle Nord. Le second fait part du désarroi de l'équipage, qui ne peut plus tolérer les conditions de travail. Plus tard dans la soirée, à la suite d’une explosion, l'équipage découvre un homme agonisant, le baron Victor Frankenstein. Il le recueille à bord, mais bientôt, le navire est attaqué par une créature dotée d'une force colossale et d'un pouvoir de régénération.
Guillermo del Toro a toujours eu un faible pour les créatures, celles qu’on cache, qu’on juge, qu’on fuit et qu’on finit par comprendre. Après son Pinocchio, il revient à son vieux rêve de gosse : adapter Frankenstein. Et il faut le dire, il boucle ici sa boucle, celle du créateur face à sa création, du père face à son fils, de Dieu face à sa créature. C’est tout son cinéma qu’on retrouve, dans ce conte noir et flamboyant où l’homme est toujours plus monstrueux que le monstre.
Ce Frankenstein est sans doute la version la plus fidèle à l’esprit de Mary Shelley qu’on ait vue depuis longtemps. Fidèle, pas dans les détails, mais dans la tragédie morale. Del Toro prend le roman et le traverse de son regard romantique, baroque et mélancolique. Tout ce qu’il touche devient à la fois organique et poétique. Ce n’est plus un film d’horreur, c’est une prière écorchée sur la création, la solitude et la culpabilité. Le film prend aux tripes et au cœur.
Oscar Isaac en Victor Frankenstein est prodigieux. C’est un savant hanté, orgueilleux, brisé par ses propres ambitions. Del Toro le filme comme un poète fou, un homme qui ne dort plus, qui croit dominer la mort et finit dominé par elle. L’acteur, que certains trouvaient trop cérébral, se livre ici à nu, fragile, tragique. En face, Jacob Elordi en Créature est une vraie révélation : grand, dégingandé, douloureux, il ne cherche pas à imiter Boris Karloff mais à exister autrement, plus humain, plus sensible. Il a dans le regard cette détresse qui dit tout : celle d’un être qui n’a rien demandé à personne, pas même à exister.
Et autour d’eux, tout respire le gothisme cher à Del Toro. Les décors, les costumes, la demeure du Docteur sont à tomber. On est dans un univers entre rêve et cauchemar, à mi-chemin entre le Crimson Peak le plus décadent et le Pacte Fauste. La photographie de Dan Laustsen est somptueuse, jouant sur des clairs-obscurs qui transforment chaque plan en tableau. La lumière caresse les visages et dévore les ombres, comme si elle cherchait à comprendre d’où vient le mal. La mise en scène, spectaculaire et intime à la fois, trouve un équilibre parfait entre la fresque et la confession. Del Toro sait filmer le monstrueux avec tendresse et l’humain avec effroi.
Le scénario reste classique mais redoutablement bien construit. On suit Frankenstein dans sa quête de dépassement, puis dans sa chute. On comprend vite que le vrai sujet n’est pas la création de la vie, mais l’incapacité à aimer ce qu’on a créé. Ce père de substitution incapable de paternité, ce fils rejeté qui réclame justice : tout y est, avec ce romantisme sombre qui est la marque de Del Toro. Il y injecte ses obsessions — le mythe de Prométhée, la monstruosité morale, le poids de la filiation, la violence qui se transmet comme un héritage — et tout s’imbrique naturellement. Rien n’est plaqué. Tout sonne juste.
Ce qui frappe, c’est cette émotion permanente. On est dans un film d’époque, mais tout semble viscéralement moderne. Del Toro ne juge pas, il comprend. Il transforme le mythe en miroir, et ce miroir nous renvoie notre propre vanité, nos propres démons. Même la Créature, couverte de cicatrices, devient plus belle que les hommes qui l’ont condamnée. Et la fin, sans tout dévoiler, est une véritable délivrance : on sent que Del Toro referme ici son grand livre sur les pères et les monstres. Il a commencé avec Cronos, il passe par Le Labyrinthe de Pan, il conclut avec Frankenstein.
Un mot sur la musique : ample, funèbre, romantique, elle accompagne le film comme un cœur qui bat trop fort. Le film est long, dense, parfois presque trop plein, mais on ne décroche jamais. C’est du vrai cinéma, pas du contenu. Et c’est bien là tout le problème : un film pareil devrait être vu sur grand écran, pas planqué sur une plateforme à cause d’une réglementation d’un autre âge. Del Toro, c’est du grand spectacle d’artisan, fait pour la salle, pour l’obscurité partagée.
Alors oui, ce Frankenstein est une réussite totale, un film d’auteur dans un costume de monstre. Del Toro ne cherche pas à ressusciter un mythe, il le réinvente avec son cœur et ses obsessions. Isaac est monumental, Elordi trouve la beauté dans la douleur, la mise en scène éblouit sans écraser, et le fond touche à l’universel. Du grand cinéma, fait avec les tripes et l’âme. Et, comme tu dis : dommage qu’on ne le voie pas en salle, parce qu’un tel film, ça se savoure dans le noir, juste avant la lumière.
NOTE : 16.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Guillermo del Toro
- Scénario : Guillermo del Toro, d'après le roman Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley
- Musique : Alexandre Desplat
- Décors : Tamara Deverell
- Costumes : Kate Hawley
- Photographie : Dan Laustsen
- Montage : Evan Schiff
- Production : J. Miles Dale et Guillermo del Toro
- Société de production : Double Dare You
- Société de distribution : Netflix
- Budget : 120 millions de dollars
- Oscar Isaac (VF : Benjamin Penamaria) : Dr Victor Frankenstein
- Christian Convery (VF : Esteban Oertli) : Victor, jeune
- Jacob Elordi (VF : Jim Redler) : la Créature
- Mia Goth (VF : Rebecca Benhamour) : Elizabeth Harlander et la baronne Claire Frankenstein
- Christoph Waltz (VF : Christian Gonon) : Henrich Harlander
- Felix Kammerer (VF : Cyril Descours) : William Frankenstein
- David Bradley : l'homme aveugle
- Lars Mikkelsen (VF : Michel Dodane) : le capitaine Anderson
- Charles Dance (VF : Philippe Catoire) : le baron Leopold Frankenstein
- Lauren Collins : Alma
- Ralph Ineson (VF : Augustin Jacob) : Pr Krempe
- Burn Gorman : l'exécuteur

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