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dimanche 2 novembre 2025

16.40 - MON AVIS SUR LE FILM QUI A PEUR DE VIRGINIA WOOLF DE MIKE NICHOLS (1966)

 


Vu le Film Qui a peur de Virginia Woolf de Mike Nichols (1966) avec Richard Burton Elizabeth Taylor Peter Segal Sandy Dennis  

Sur le campus d'une petite université de la Nouvelle-Angleterre, George et Martha rentrent d’une soirée arrosée. George qui enseigne à la faculté d'histoire est aussi le subordonné de son beau-père qui dirige l'Université. Dès les premières images, on mesure le malaise qui règne dans le couple en voyant Martha, prise de boisson, insulter grossièrement son mari. Martha a invité, sans en aviser George, un couple de nouveaux venus à prendre un dernier verre. George est très contrarié par cette initiative qu'il juge saugrenue étant donné l'heure tardive. Il redoute en outre les excès verbaux de sa femme et lui enjoint de ne parler sous aucun prétexte de leur fils au jeune couple. Un « jeu » psychologique cruel va commencer. 

 

Adapté de la célèbre pièce d’Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf? est bien plus qu’un simple drame conjugal : c’est un duel théâtral, une autopsie cruelle de l’amour, du couple et de l’illusion. Dès les premières minutes, le ton est donné : un couple rentre d’une soirée universitaire, Martha (Elizabeth Taylor) et George (Richard Burton), déjà éméchés, déjà fatigués l’un de l’autre, mais incapables de se détacher. Leurs mots sont des balles, leurs gestes des blessures, leur passion une guerre. Martha, fille du doyen de l’université, humilie George à chaque occasion, tandis que lui, sous des dehors passifs, prépare ses ripostes avec un sadisme feutré. Dans cette atmosphère étouffante, deux invités – Nick (George Segal) et Honey (Sandy Dennis) – vont être les témoins, puis les victimes, de cette nuit d’affrontement où tout finit par voler en éclats. 

Ce qui frappe d’emblée, c’est la puissance du texte d’Albee, transposé ici avec une fidélité rare. Nichols ne trahit pas la pièce, il la sublime. Sa mise en scène est d’une précision chirurgicale : chaque plan semble chorégraphié autour du verbe, du corps et du silence. On sent l’œil d’un metteur en scène de théâtre devenu cinéaste, soucieux de préserver l’intensité du huis clos tout en exploitant la richesse du cadre cinématographique. La caméra s’approche, se recule, tourne autour des personnages comme un prédateur invisible. L’espace devient prison, la maison un ring. Nichols filme la laideur et la beauté du couple humain, avec une tension presque insoutenable. 

Et puis il y a le noir et blanc, ce choix d’une intelligence rare. Le refus de la couleur renforce la dimension symbolique du film : pas de nuances, juste des contrastes. Blanc ou noir, amour ou haine, illusion ou vérité. Le clair-obscur accentue les visages, souligne la fatigue des regards, fait ressortir la moiteur des corps. Ce noir et blanc est presque un personnage à part entière, un miroir du désespoir. 

Mais si ce film atteint une telle intensité, c’est avant tout grâce à ses interprètes légendaires. Richard Burton, tout en retenue venimeuse, incarne un homme brisé, cultivé, ironique, usé par la vie et la désillusion. Face à lui, Elizabeth Taylor, méconnaissable, est tout simplement prodigieuse. Elle hurle, rit, pleure, provoque, détruit — et pourtant, on sent la fragilité sous la rage, l’amour dévoré sous le sarcasme. Martha est un rôle-monstre, et Taylor lui donne une dimension presque mythologique. Jamais le cinéma n’a aussi bien montré ce que c’est que d’aimer jusqu’à la folie. On comprend ici pourquoi Burton et Taylor, couple à la ville comme à l’écran, furent capables d’une telle vérité : leur relation réelle nourrit chaque réplique, chaque regard, chaque explosion. C’est un jeu à double fond, d’une intensité quasi insoutenable. 

Les seconds rôles ne sont pas en reste. George Segal, dans le rôle du jeune professeur ambitieux, et Sandy Dennis, en épouse naïve, offrent un contrepoint saisissant. Leurs réactions, d’abord gênées, deviennent bientôt partie intégrante du drame. Chacun, à sa manière, révèle ses failles, ses hypocrisies, sa petitesse. Le film se transforme alors en une radiographie du couple moderne, un théâtre de miroirs où chacun projette sur l’autre ses manques et ses illusions. 

Sur le plan du scénario, la structure paraît simple – une nuit, quatre personnages, beaucoup d’alcool – mais la richesse psychologique est vertigineuse. Chaque échange dévoile un pan de leur histoire commune, chaque mensonge en cache un autre. Jusqu’à ce moment déchirant où le couple Burton/Taylor fait tomber le dernier masque : celui du fils imaginaire, symbole de leur amour impossible. Ce dévoilement, d’une douleur inouïe, clôt le film dans un silence bouleversant. C’est là que Nichols atteint le sublime, par la pudeur et la retenue après tant de violence verbale. 

Et dire que ce chef-d’œuvre est le tout premier long métrage de Mike Nichols ! On y trouve déjà tout ce qui fera la force de son cinéma : la lucidité cruelle sur les relations humaines (Le LauréatSilkwood), la précision du rythme, la direction d’acteurs exceptionnelle. Nichols filme les mots comme d’autres filment les explosions, et fait du dialogue un feu d’artifice émotionnel. 

On ne peut qu’admirer la cohérence d’ensemble : montage fluide, décor oppressant, cadrage nerveux, musique discrète mais parfaitement placée. Le film est un modèle d’équilibre entre théâtre et cinéma, entre le verbe et l’image. C’est une œuvre totale, sans concession, qui ose tout : la laideur, la cruauté, la vérité. 

En 1966, Qui a peur de Virginia Woolf? fut un électrochoc. Rarement Hollywood avait osé montrer un couple aussi dévasté, un tel déchaînement verbal, une telle sincérité dans la douleur. Ce film a ouvert la voie à un cinéma plus adulte, plus nuancé, plus vrai. 

Aujourd’hui encore, il reste d’une modernité sidérante. C’est un monument d’interprétation, une leçon de mise en scène, un sommet d’écriture. Nichols, Burton et Taylor touchent ici à l’absolu : le cinéma comme miroir du cœur humain, de ses blessures et de sa grandeur. 

Un film incandescent, cruel, magnifique. 
Un chef-d’œuvre intemporel. 
Un des plus grands duos d’acteurs de l’histoire du cinéma. 

NOTE ; 16.40

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