Vu le Film Dans les Rues de Victor Trivas (1933) avec Jean Pierre Aumont Madeleine Ozeray Paulette Dubost Vladimir Sokolov Marcelle Worms Germaine Michel Charlotte Dauvia Roger Legris Le Petit Patachou Jean Marais
Les dures conditions de vie du petit peuple "de la rue", entre drame et comédie, entre romance, violence et pauvreté.
Sans travail, Jacques Lérande traîne dans les rues et s'acoquine avec une bande de petits chapardeurs, qui se retrouvent chez un vieux brocanteur alcoolique, le père Schlamp. Ils viennent surtout pour la fille de ce dernier, Rosalie, dont Jacques est amoureux. Pour la séduire, Jacques est prêt à tout et se met donc à jouer au dur. Mais, en réalité il est faible et surtout influençable, et il se retrouve bientôt mêlé à un cambriolage qui tourne mal, causant la mort d'une vieille dame.
Grâce à l'amour de sa mère, Jacques retrouve l'équilibre, un travail et, il est sauvé de la prison.
Dans les Rues, c’est un peu comme voir un réalisateur russo-américain débarquer en France juste avant que les deux camps ne cessent de se parler, et tenter d’attraper l’âme d’un pays qu’il regarde avec des yeux d’exilé. Victor Trivas tourne en 1933 un film qui porte toute la dramaturgie de l’époque : un mélange de misère, de froid, de faim et de survie où chaque pavé semble pleurer et chaque visage se bat contre le destin. La rue n’est pas un décor : c’est un personnage principal, une bête impitoyable qui engloutit les faibles et blesse les autres.
Le film raconte les dures conditions de vie du "petit peuple", coincé entre drame et comédie, entre romance fragile, violence latente et pauvreté quotidienne. On y suit un jeune voyou — Jean-Pierre Aumont, dans son premier grand rôle — beau comme le cinéma aimait ses jeunes premiers, avec cette élégance qui semble dire : “La vie m’écrase, mais je garderai mon port de tête.” C’est un rôle fondateur pour lui, et il s’en sort avec un mélange de délicatesse et de chaleur, qualité rare dans un film qui n’a pas peur d’appuyer sur le pathos.
À ses côtés, dans un coin de cadre, presque invisible, un certain Jean Marais fait de la figuration — apparition minuscule du futur géant du cinéma français. C’est le genre de petit détail cinéphile qui donne au film une saveur de collection.
La jeune fille convoitée par tout le monde — fille d’un vieux père alcoolique — apporte la dimension sentimentale attendue. Elle est pure, naïve, un peu sacrifiée, comme le voulait l’époque. Trivas n’hésite pas à rendre la romance très appuyée, parfois même trop : on sent qu’il veut nous tirer la larme, voire nous essorer carrément. Et entre les gamins des rues — aussi précieux chez Christian-Jaque que chez Jean Delannoy — les mendiants, les pickpockets, les soldats perdus, on coche toutes les cases du cinéma social de l'avant-guerre.
L’ambiance, elle, fonctionne bien : la misère est palpante, filmée avec un réalisme qui parfois frôle l’excès, mais qui témoigne de la volonté de Trivas de faire un cinéma européen, politique, presque expressionniste par moments. Le problème, c’est que tout est tellement accentué qu’on ne peut pas toujours y croire pleinement aujourd’hui. Les intentions sont nobles, mais le trait est si appuyé qu’on perd parfois la finesse dramatique.
Mais il faut reconnaître au film une vraie puissance dans certaines scènes, notamment celle du lynchage, qui reste la plus marquante. Trivas y trouve une brutalité presque documentaire, un mouvement de foule qui fait froid dans le dos, une efficacité visuelle que le reste du film n’atteint pas toujours. Et lorsque Aumont y est confronté, son interprétation gagne en intensité : le jeune acteur montre un potentiel qui explique pleinement la carrière qui suivra.
La mise en scène, globalement, oscille entre volonté de réalisme et mélodrame trop insistant. Le scénario, lui, avance sans surprise : un petit voyou qui tente de s’en sortir, une jeune femme promise aux désillusions, un père qui sombre, des rues qui dévorent les rêves. On suit, on comprend, on compatit… même si, vu d’aujourd’hui, l’ensemble manque parfois de nuance.
Dans les Rues n’est pas un grand film, clairement. Mais il est sincère, traversé par de beaux moments, porté par un Aumont très convaincant et par quelques éclairs de mise en scène qui montrent que Trivas, même maladroit, avait une vraie sensibilité. On en ressort partagé : admiratif sur certaines séquences, un peu lassé par l’insistance dramatique… mais touché malgré tout.
NOTE : 12.20
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Victor Trivas
- Scénario : Victor Trivas d'après le roman de J.-H. Rosny aîné[1], avec la collaboration d'Alexandre Arnoux
- Dialogues : Henri Duvernois et Alexandre Arnoux
- Décors : Andrej Andrejew
- Photographie : Rudolph Maté, Louis Née
- Son : Georges Leblond, Hermann Storr
- Paroles des chansons : Alexandre Arnoux et Jean Nohain
- Musique : Hanns Eisler
- Société de production : Société Internationale Cinématographique
- Directeur de production : Pierre O'Connell
- Jean-Pierre Aumont : Jacques
- Madeleine Ozeray : Rosalie, la fille du père Schlamp
- Paulette Dubost : Pauline
- Vladimir Sokoloff : Le père Schlamp
- Marcelle Worms : Madame Lérande
- Germaine Michel : la Concierge
- Charlotte Dauvia : Jeanne
- Lucien Paris : Maurice
- Maurice Humbert : Cigare
- Roger Legris : Moutarde
- Pierre Lugan : Rosengart
- Le Petit Patachou : Moustique, le fils de la concierge
- Emile Rosen : Gobiche
- François Llenas : Main Droite
- René Prat : Main Gauche
- Rose-Mai
- Anthony Gildès
- Jacques Beauvais
- Eugène Stuber
- Jean Marais : (non crédité)

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