Vu le Film La Raison d’Etat de André Cayatte (1978) avec Jean Yanne François Périer Michel Bouquet Monica Vitti Jean Claude Bouillon Georges Chamarat Jean Rougerie Jess Hahn Gabriel Jabbour André Valardy
Un biologiste, Marrot, entre en possession d'un document contenant la preuve de la responsabilité de la France, en particulier un haut fonctionnaire, Jean-Philippe Leroi, dans la mort de 140 enfants africains tués dans leur avion par des missiles français vendus illégalement. Dès son retour, le professeur est victime d'un « accident » de la circulation. Une amie et collaboratrice italienne, Angela Ravelli, se rend immédiatement à Paris pour dénoncer publiquement le scandale, mais Leroi intervient en personne pour lui faire entendre raison.
André Cayatte, que l’on connaît surtout pour ses films de procès — un peu notre Sidney Lumet hexagonal, mais avec plus de prétoires que de néons blafards — s’attaque ici aux arcanes du pouvoir politique. La Raison d’État, c’est cette plongée dans les couloirs feutrés de la République où, quand un scandale éclate, les cadavres s’additionnent pendant qu’on soustrait la vérité au peuple. Et ce peuple, Cayatte le fait tenir courageusement dans la main tremblante d’un seul homme : un biologiste, interprété par un François Périer impeccable, qui tombe sur des documents secrets si explosifs qu’on se demande comment l’encre n’a pas déjà mis le feu au scénario.
L’histoire, pourtant passionnante sur le papier, jongle entre commissions obscures, ministères à la mine fermée et manipulations à plusieurs étages. On hésite, comme le héros, entre vouloir la vérité et regarder comment l’État — avec un grand E, très majuscule et très sûr de lui — va tout faire pour que rien ne filtre. Mais voilà, nous sommes dans les années 70 : décennie formidable pour les pantalons pattes d’eph, beaucoup moins pour le vieillissement technique. Et le film, malgré ses qualités, porte aujourd’hui cette patine un peu rugueuse : un son parfois approximatif, une direction musicale où Vladimir Cosma, habituellement si inspiré, semble avoir réglé son synthé sur « angoisse insistante », et surtout une mise en scène où la multitude d’intrigues donne un léger vertige. On voudrait se concentrer, mais Cayatte ouvre tellement de portes que l’on ne sait plus lesquelles refermer.
Côté acteurs Jean Yanne, habituellement capable de tout dynamiter, semble ici cloué au sol : il n’évolue pas d’un iota, comme s’il jouait en mode économie d’énergie. Michel Bouquet, est relégué à la figuration de luxe, un peu comme si Cayatte ne savait pas quoi faire de son intelligence silencieuse. Et au milieu de tout ça, François Périer, lui, surnage. Il est le seul véritablement habité par le drame, le seul à faire sentir la peur, la responsabilité, l’éthique qui se craquelle. On se raccroche à lui comme à une bouée.
Le film, en bon Cayatte, verse dans un manichéisme assumé : les bons d’un côté, les méchants de l’autre, chacun bien rangé dans sa case. Mais finalement, qui sait ? La réalité est peut-être pire. C’est même ce sous-texte glauque, presque désespéré, qui donne encore de la force au récit. On sent que Cayatte veut hurler quelque chose, même si sa mise en scène, un peu lourde et lente, étouffe parfois son propre cri.
Alors oui, c’est un bon film de Cayatte : solide, volontaire, engagé. Mais c’est aussi un film qui aurait pu viser plus haut, qui avait les ingrédients du grand thriller politique mais qui se perd dans ses détours, ses personnages secondaires trop nombreux et une lenteur qui anesthésie l’impact final. On ressort avec cette impression d’un vrai potentiel, d’un sujet brûlant, d’un casting prestigieux… mais d’une exécution qui n’a pas la tension nécessaire pour brûler jusqu’au bout. Dommage, car avec moins de dispersion, cette Raison d’État aurait pu devenir une référence. Là, elle reste un bon film imparfait — ce qui, par les temps qui courent, est presque déjà un hommage.
NOTE : 12.70
FICHE TECHNIQUE
- Réalisateur : André Cayatte
- Assistants réalisateurs : Michel Leroy et Marc Rivière
- Musique : Vladimir Cosma
- Décorateur : Robert Clavel
- Producteur délégué : Sergio Gobbi
- Monteur : Paul Cayatte, assistantes M. Fleury et F. Mrozielski
- Directeurs de productions : Jean Kerchner et Mario Sarago
- Distributeur d'origine : Lugo Films
- Directeur de la photographie : Armando Nannuzzi
- Ingénieur du son : Guy Villette
- Costumes : Jacqueline Moreau
- Cascades : Rémy Julienne
- Jean Yanne : Jean-Philippe Leroi
- Monica Vitti : Angela Ravelli
- Michel Bouquet : Francis Jobin
- François Périer : le professeur Marrot
- Jean-Claude Bouillon : Bernard Moulin
- Georges Chamarat : jardinier de Marrot
- Jean Rougerie : le Premier ministre
- Jess Hahn : agent de la CIA
- Hubert Gignoux : le ministre de la Guerre
- Gabriel Jabbour : Meslam
- Michèle Lituac : Françoise
- André Valardy Le gendarme
- Michel Fortin : un policier
- Jean-Pierre Delage

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