Vu le Film Le Mécano de la Générale de Buster Keaton et Clyde Bruckman (1926) avec Buster Keaton Marion Mack Glen Cavender Jim Farley Frederik Vroom
Johnnie est le mécanicien (« le mécano ») d'une locomotive appelée la General, laquelle appartient à la Western and Atlantic Railroad, une compagnie de chemins de fer de l'Est américain. Lorsque la guerre de Sécession éclate, Johnnie a deux amours : son train et Annabelle Lee. Comme il ne peut pas s’engager dans l’armée, Annabelle lui refuse son amour après que son frère lui a expliqué par malentendu n'avoir même pas vu Johnnie dans la queue pour s'enrôler.
Le Mécano de la Générale est de ces films dont on connaît des morceaux, des gags, des images, mais qu’on n’a jamais vraiment pris le temps de voir. C’était mon cas : quelques extraits ici et là, un Keaton sur une locomotive, un décor spectaculaire… mais jamais le film entier. C’est maintenant chose faite, et franchement, pour une première plongée dans l’univers de Buster Keaton, je n’ai pas été déçu du voyage en train.
On parle souvent de Keaton comme d’un comique. C’est évident : son personnage, sa gestuelle fébrile, sa manière de se mouvoir comme s’il hésitait entre tomber et voler ajoutent un charme irrésistible. Mais derrière cette façade burlesque, le film révèle surtout une grande histoire d’amour. Amour pour Annabelle, bien sûr, incarnée par Marion Mack, qui n’est pas seulement un faire-valoir décoratif : elle s’implique physiquement, participe aux cascades, et existe vraiment dans la dynamique du duo. Mais amour aussi — et peut-être surtout — pour la locomotive, véritable maîtresse de Keaton, moteur de ses élans héroïques.
Le scénario, inspiré du raid d’Andrews durant la Guerre de Sécession, donne une ampleur inattendue au film. Qu’un fait militaire authentique devienne une comédie épique tient déjà du tour de force. Que Keaton réussisse à en faire un récit de guerre crédible tout en restant fidèle à sa poésie burlesque relève presque du miracle. On sent d’ailleurs qu’il avait le souci du détail : il avait demandé la vraie locomotive “General”. Refusée. Alors il en a trouvé une autre, mais du même modèle — le perfectionnisme, déjà.
Techniquement, le film est impressionnant. Keaton n’est pas qu’un acteur au visage impassible : c’est un metteur en scène d’une ingéniosité constante. Chaque plan est pensé pour guider notre regard, nous attirer sur un détail pour mieux nous tromper l’instant d’après. Les gags naissent de l’espace, du montage, du décor — pas d’une accumulation de grimaces. Et puis il y a LA scène, celle de la locomotive qui s’écrase dans le ravin. On peut dire ce qu’on veut des blockbusters actuels : Keaton a retourné une locomotive pour de vrai. Sans CGI, sans fonds verts, juste avec un culot monumental et une équipe qui devait prier à chaque prise.
Et parlons de Keaton lui-même. Le choc, pour moi, vient de ce visage. Une vraie gueule, comme on n’en fait plus. Ces petits yeux, qui semblent à peine s’ouvrir mais qui captent tout. Un regard mélancolique, magnifique, qui condense tristesse, timidité, sensibilité, et une forme de poésie qu’aucune école de cinéma n’enseigne. Ce type n’a pas besoin de parler : tout passe par le corps, le rythme, la précision millimétrée de chaque geste.
On dit parfois qu’on rit plus volontiers avec Chaplin ou Laurel & Hardy. Peut-être. Mais Keaton joue dans une autre catégorie : il construit un ballet mécanique, une symphonie de rails, de bois, de fumée, où chaque gag est une petite invention. Et même si mes zygomatiques n’ont pas explosé, j’ai été fasciné. Admiratif, même, devant tant de maîtrise et de liberté à la fois.
Le Mécano de la Générale, c’est un film de guerre, une histoire d’amour, une aventure burlesque, un manifeste technique, et un portrait d’homme fragile devenu héros malgré lui. Ce n’est pas juste un classique du muet : c’est un classique du cinéma, tout court. Et pour une première rencontre avec Buster Keaton, on peut difficilement rêver mieux.
NOTE : 15.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Buster Keaton et Clyde Bruckman
- Scénario : Buster Keaton, Clyde Bruckman, Al Boasberg, Charles Henry Smith, d'après William Pittenger
- Photographie : Dev Jennings, Bert Haines
- Musique : Carl Davis (1987)
Robert Israel (1995)
Baudime Jam (1999)
Maximilien Mathevon (2002)
Joe Hisaishi (2004)
Timothy Brock (2005)
Angelin Fonda (2017) - Producteur : Joseph M. Schenck
- Production : United Artists
- Société de distribution : United Artists
- Buster Keaton : Johnnie Gray
- Marion Mack : Annabelle Lee
- Glen Cavender : Capitaine Anderson
- Jim Farley : Général nordiste Thatcher
- Frederick Vroom : un général sudiste
- Charles Smith : le père d'Annabelle
- Frank Barnes[]: le frère d'Annabelle
- Frank Hagney : le sergent recruteur
- Joe Keaton : un général nordiste
- Mike Donlin : un général nordiste
- Tom Nawm : un général nordiste
- Boris Karloff : un général nordiste (non crédité)
- Edward Hearn : un officier nordiste

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