Vu le Film Deux Hommes dans la Ville de José Giovanni (1973) avec Jean Gabin Alain Delon Michel Bouquet Bernard Giraudeau Gérard Depardieu Mimsyh Farmer Victor Lanoux Illaria Occhnini Guido Alberti Robert Castel Jacques Monod Maurice Barrier Raymond Loyer
Germain Cazeneuve (Jean Gabin), ancien flic, est devenu éducateur social pour délinquants afin de les réinsérer dans la vie active à leur sortie de prison. Il se porte garant envers Gino Strabliggi (Alain Delon), ancien truand condamné à douze années de prison pour l'attaque d'une banque. Libéré avec deux ans d'avance grâce à Cazeneuve, Gino retrouve sa femme Sophie (Ilaria Occhini), qui a patiemment attendu durant ces dix années et tient une boutique, et il reprend goût à la vie. Des liens amicaux naissent entre les deux hommes (Gino Strabliggi considère Germain Cazeneuve comme son père), l'ancien détenu et son épouse sont même invités à des moments de convivialité avec la famille de Germain.
Il y a des films qui s’imposent avec le temps, sans bruit mais avec la force tranquille des grandes œuvres. Deux hommes dans la ville de José Giovanni en fait partie. José Giovanni, qui a connu la prison de l’intérieur, signe ici un film profondément humain, un cri du cœur contre la peine de mort et pour la réinsertion des détenus. Il ne s’agit pas d’un discours moralisateur, mais d’un plaidoyer vibrant, nourri par une connaissance intime du milieu carcéral. Derrière la caméra, Giovanni n’est peut-être pas un grand formaliste, mais il sait où placer son regard, il filme avec une pudeur et une vérité qui désarment.
Le film s’ouvre sur Gino Strabliggi, un ancien braqueur au visage d’ange et aux yeux bleus perçants — Alain Delon, magnifié comme rarement. Libéré après dix ans de prison, il tente de se reconstruire. À ses côtés, un éducateur social croit encore à la rédemption : Germain Cazeneuve, incarné par un Jean Gabin monumental, tout en douceur bourrue, en autorité tranquille. Entre eux se noue une relation presque filiale, d’homme à homme, d’expérience à fragilité. Gabin offre à Delon ce que peu de personnages lui ont donné : une main tendue, une chance, une foi en l’humain.
Mais la société, elle, ne pardonne pas. Et dans ce rôle du chasseur obstiné, Michel Bouquet incarne la froideur administrative et la vengeance institutionnelle. Pour lui, un voyou reste un voyou. Sa présence, tout en retenue glaciale, fait planer sur le film une menace constante, celle d’un système judiciaire incapable de croire à la seconde chance. C’est le trio Gabin–Delon–Bouquet qui porte littéralement le film, trois conceptions du monde qui s’entrechoquent, trois visages de la France des années Pompidou : le cœur, la révolte et l’ordre.
Delon, superbe de retenue, joue un Gino fragile, écorché vif, dont la violence refoulée n’attend qu’un choc pour resurgir. Son regard, tantôt tendre, tantôt perdu, dit tout du combat intérieur de l’homme qui veut bien faire mais que tout pousse à la faute. Face à lui, Gabin semble taillé dans le granit : chaque mot a du poids, chaque silence du sens. Et quand il lâche cette réplique devenue culte — « Les écrits restent et les fonctionnaires passent » — c’est tout un siècle de désillusion administrative qui s’effondre.
Autour d’eux, deux femmes apportent une lumière fragile : Ilaria Occhini, douce et digne, et Mimsy Farmer, bouleversante dans son rôle de compagne éperdue. Giovanni, qui n’a jamais su filmer les femmes de manière décorative, leur accorde ici un vrai espace de tendresse et de compassion. Et comme un signe du destin, on croise les jeunes visages de Gérard Depardieu et Bernard Giraudeau, encore inconnus mais déjà prometteurs : l’avenir du cinéma français y fait une apparition furtive.
La mise en scène, sobre et tendue, se met entièrement au service du récit. Pas d’effets inutiles, pas de surenchère : Giovanni filme la fatalité à hauteur d’homme. Sa caméra observe, témoigne, accompagne. Le montage, précis, rythme la lente descente de Gino vers une issue que l’on devine inéluctable. Et quand le couperet tombe — ce final glaçant, poignant, d’une puissance rare — le spectateur reste pétrifié. C’est tout un système que le réalisateur met à nu : une justice qui juge plus qu’elle ne comprend, un État qui condamne sans écouter.
Et que dire de la musique de Philippe Sarde ? Sublime, mélancolique, elle enveloppe le film d’une tristesse noble, presque spirituelle. Elle plane comme une prière au-dessus des barreaux, accompagnant les pas de Gino vers son destin. Sans elle, le film serait grand. Avec elle, il devient immense.
Sorti en 1973, Deux hommes dans la ville est un film triste, fataliste, mais d’une beauté déchirante. Il appartient à cette lignée de chefs-d’œuvre qui dépassent leur époque, parce qu’ils parlent de justice, de dignité et d’humanité. José Giovanni, le romancier devenu cinéaste, y met tout son vécu, toute sa rage, toute sa tendresse pour les marginaux. Ce n’est peut-être pas un grand metteur en scène, mais c’est un grand témoin. Et son film, par la seule force de ses interprètes, atteint une intensité rare.
Oui, Deux hommes dans la ville est un chef-d’œuvre. Un cri silencieux. Un miroir de la France d’hier et d’aujourd’hui. Et quand le générique s’achève, il reste ce goût amer, cette révolte muette, et cette phrase de Gabin qui résonne encore :
« Les écrits restent et les fonctionnaires passent. »
Une telle réplique, un tel film — ça, c’est du très grand cinéma français.
NOTE : 15.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : José Giovanni
- Scénario : José Giovanni
- Adaptation : José Giovanni, Daniel Boulanger
- Dialogue : Daniel Boulanger (sur le générique du film, on lit : Dialogue de José Giovanni), Gianfranco Clerici (adaptation des dialogues en italien)
- Assistants réalisateur : Jean-Michel Lacor, Philippe Leriche, Renato Pecoriello, Pierre Tatischeff
- Décors : Jean-Jacques Caziot, assisté de Robert André et Gianfranco Pucci
- Costumes : Hélène Nourry
- Son : Jean Rieul
- Montage : Renée Deschamps, assistée de Françoise Javet
- Musique : Philippe Sarde (Éditions Adel Music)
- Orchestration : Hubert Rostaing
- Images : Jean-Jacques Tarbès
- Opérateur : Claude Bourgoin
- Ensemblier : Philippe Turlure
- Script-girl : Lucille Costa
- Maquillage : Jean-Pierre Craco, Yvonne Gasperina
- Coiffure : Pierre Vade
- Photographe de plateau : Victor Rodrigue
- Régisseur général : Jacques Drouin
- Administrateur : Andrée Leguay
- Date de tournage : du 28 mai au
- Tournage : Prison de la Roquette à Paris, Pontoise, Meaux, Montpellier, région de Montpellier, studios de Boulogne de la rue de Silly.
- Pellicule 35 mm, couleur par Eastmancolor
- Tirage : Laboratoire franay L.T.C Saint-Cloud
- Générique : Stan
- Production : Adel Production (Alain Delon), Medusa Produzione (Rome) - (Franco-Italienne)
- Chef de production : Alain Delon
- Directeur de production : Pierre Saint-Blancat
- Producteur délégué : Pierre Carot
- Attaché de presse : Christine Brière
- Distribution : Valoria Films
- Genre : policier, drame
- Budget : 8 millions de francs[
- Jean Gabin : Germain Cazeneuve
- Alain Delon : Gino Strabliggi
- Michel Bouquet : l'inspecteur principal Goitreau
- Mimsy Farmer : Lucy
- Ilaria Occhini (doublée par Danielle Volle) : Sophie Strabliggi
- Guido Alberti : Pierre, le patron de l'imprimerie
- Victor Lanoux : Marcel
- Cécile Vassort : Évelyne Cazeneuve
- Bernard Giraudeau : Frédéric Cazeneuve
- Christine Fabréga : Geneviève Cazeneuve
- Malka Ribowska : Me Baudard, l'avocate de Gino
- Jacques Monod : le procureur
- Roland Monod : le président du tribunal
- Jacques Rispal : un juge
- Armand Mestral : directeur prison 1
- Robert Castel : André Vautier
- Gabriel Briand : Jeannot
- Gérard Depardieu : le jeune truand
- Pierre Collet : le commissaire
- Maurice Barrier : le juge d'instruction
- Raymond Loyer : le capitaine de police
- Albert Augier : Raquin, l'apparent gérant de la casse automobile
- Dominique Zardi : un détenu
- Jacques Marchand : le détenu désespéré
- Bernard Musson : un gardien de prison
- André Rouyer : le capitaine des C.R.S.
- Pierre Asso : directeur prison 2
- Jean-Pierre Honoré : le prêtre
- Patrick Lancelot : le médecin
- Lucie Arnold : Mme Vautier
- Nicole Desailly : une voisine
- Gilbert Servien : un voisin
- Jacques Pisias : un inspecteur au commissariat
- Jean Degrave : un éducateur
- Franck Stuart : un éducateur
- Michel Fortin : un policier à l'exécution
- Jean Rougeul
- Paul Beauvais

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