Vu le film Talons Aiguilles de Pedro Almodovar (1991) avec Victoria Abril Marisa Paredes Miguel Bose Bibiana Fernandez Javier Bardem Placido Guimares Javier Benavente
Quinze ans après avoir abandonné
sa fille, Rebecca, pour se consacrer pleinement à sa gloire de chanteuse et à
sa vie sentimentale, Becky del Paramo revient à Madrid et constate que Rebecca
s'est mariée avec un de ses anciens amants. Lequel, non sans avoir eu le temps
de lui faire à nouveau des avances, est bientôt retrouvé assassiné...
L’occasion de rendre hommage à la
prodigieuse Marisa Paredes
Pedro Almodóvar livre avec Talons
Aiguilles une œuvre magistrale qui s'inscrit dans sa tradition d'explorer
l'âme humaine et ses complexités. Ce drame policier, baigné d'émotions
contradictoires, brille par son esthétique singulière et par une mise en scène
savamment orchestrée. Chaque plan est une toile vivante où les couleurs vives
ne sont pas de simples ornements : elles traduisent à la fois l'euphorie et les
fêlures des personnages. Le rouge, omniprésent, devient ici un symbole dual, à
la fois passion et douleur.
Almodóvar fait montre de son
talent pour diriger des comédiens au sommet de leur art. Victoria Abril livre
une performance mémorable dans le rôle de Rebeca, une femme en quête d’amour et
de reconnaissance maternelle. Marisa Paredes, en diva éclatante mais
inaccessible, incarne une mère tiraillée entre son image publique et ses
responsabilités privées. Leur relation, pleine de tensions et de non-dits,
explore la manière dont l’amour maternel peut devenir étouffant, voire
destructeur.
Le scénario, qui mêle mystère et
émotion, nous entraîne dans une intrigue captivante où les relations familiales
et les secrets prennent une dimension presque cathartique. Miguel Bosé, dans le
double rôle du procureur et du travesti, offre une prestation fascinante et
subversive. Son personnage illustre l’ambiguïté et la fluidité des identités,
thème cher à Almodóvar. La scène où Marisa Paredes chante dans un théâtre,
suspendant littéralement le temps, est une des plus bouleversantes du film, une
pure parenthèse d’émotion brute.
Marisa Paredes, incarnant la
chanteuse Becky del Páramo, livre une interprétation bouleversante de Piensa
en mí, une chanson de boléro espagnol écrite par Agustín Lara. Cette
performance, située dans un théâtre intimiste, est l’un des sommets émotionnels
du film. Le morceau, empreint de nostalgie et de douleur, résonne avec le thème
central du film : l’amour dévorant et souvent toxique entre la mère et la
fille. Alors que Becky chante ces paroles suppliantes – "Si tienes un
hondo pesar, piensa en mí..." – le spectateur ressent toute la mélancolie
et les regrets d’un personnage qui semble incapable de réparer les blessures
qu’elle a infligées à sa fille. La mise en scène est dépouillée, centrée sur le
visage de Paredes et la puissance de sa voix, créant un moment suspendu,
presque hors du temps.
Dans son rôle de Letal, le
travesti qui se produit dans un cabaret, Miguel Bosé chante Un año de amor,
une reprise du classique d’Antonio Machín, réinterprété avec une intensité
dramatique. Cette chanson, tout aussi chargée d’émotion, devient une métaphore
des relations passionnelles mais éphémères qui traversent le film. À travers la
voix de Bosé, Letal exprime une sorte de plainte universelle sur le temps perdu
et les amours impossibles. Sa prestation, glamour et chargée de sensualité,
contraste avec celle de Becky : là où Becky est la voix du passé et des
regrets, Letal incarne une célébration ambiguë du présent, marquée par la
dualité de son personnage et la transgression des normes.
Ces deux moments musicaux, chacun dans un registre différent, sont profondément liés à l’ADN émotionnel du film. Ils offrent un écho lyrique aux conflits et aux thèmes explorés, tout en renforçant l’un des talents d’Almodóvar : sa capacité à mêler le cinéma et la musique pour atteindre une forme d’émotion pure.
Almodóvar explore aussi les dualités : jour et nuit, réalité et performance, bonheur et tristesse. Ces contrastes sont accentués par la mise en scène, où chaque déplacement des comédiens semble chorégraphié, chaque détail minutieusement pensé.
Ce mélange de polar, de mélodrame
et d’exploration psychologique fait de Talons Aiguilles une œuvre
inoubliable. C’est un film qui saisit l’essence des relations humaines, où la
beauté côtoie la douleur, et où Almodóvar prouve une fois de plus qu’il est un
maître incontesté de l’âme humaine et du cinéma.
NOTE : 16.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Pedro Almodóvar
- Scénario : Pedro Almodóvar
- Producteur : Agustín Almodóvar et Ciby 2000
- Musique : Ryūichi Sakamoto
- Photographie : Alfredo F. Mayo
- Montage : José Salcedo
- Décors : Julián Mateos (es)
- Victoria Abril (VF : elle-même) : Rebeca Giner
- Marisa Paredes (VF : Nadine Alari ) : Becky del Páramo (voix chantée : Luz Casal)
- Miguel Bosé (VF : Emmanuel Jacomy) : Le juge Eduardo Domínguez / Hugo / Letal
- Anna Lizaran (VF : Anne Ludovik) : Margarita
- Cristina Marcos (VF : Stéphanie Murat) : Paula
- Féodor Atkine (VF : lui-même) : Manuel
- Miriam Díaz-Aroca : Isabel
- Pedro Díez del Corral (es) (VF : Michel Derain) : Alberto
- Bibiana Fernández (VF : Vincent Violette) : Susana
- Javier Bardem : Javier, le régisseur télévision
- Agustín Almodóvar : le client qui tient des photos (non crédité)
- Rocío Muñoz (es) : Rebeca enfant
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