Vu le film Yurt de Nehir Tuna (2023) avec Can Bartu Aslan Doğa Karakaş Didem Ellialti Tansu Biçer Fatih Berk Sahin Isilti Su Alyanak
Turquie, 1996. Ahmet, 14 ans, est
dévasté lorsque sa famille l'envoie dans un pensionnat religieux. Pour son père
récemment converti, c'est un chemin vers la rédemption et la pureté. Pour lui,
c'est un cauchemar. Le jour, il fréquente une école privée laïque et
nationaliste ; le soir, il retrouve son dortoir surpeuplé, les longues heures
d'études coraniques et les brimades.
Yurt, réalisé par Çagıl
Nurhak Aydoğdu, est une plongée fascinante et nuancée dans l’univers d’un
internat turc, où la vie des élèves oscille entre les exigences rigoureuses de
l’éducation, les tensions entre laïcité et religion, et les dynamiques
complexes de camaraderie masculine. Ce drame intimiste aborde des thématiques
universelles, tout en s’enracinant profondément dans le contexte sociopolitique
de la Turquie contemporaine.
Le film s’attarde sur le quotidien
d’un groupe d’élèves, observant leurs interactions, leurs conflits et leurs
moments de solidarité. À travers le prisme de cet internat, Yurt
interroge la manière dont ces adolescents sont façonnés en futurs hommes, entre
tradition et modernité. Les règles strictes de l’institution, souvent inspirées
par une vision rigoriste de la discipline, sont autant de lignes directrices
que de frontières oppressantes.
Le point de tension majeur du film
repose sur le rapport entre la laïcité, pilier fondateur de la République
turque, et l’influence croissante des valeurs religieuses dans l’éducation. Ces
deux pôles s’affrontent subtilement, non seulement dans les discours des
enseignants, mais aussi dans les comportements des élèves, qui naviguent entre
leurs propres croyances, celles de leurs familles et les attentes de
l’institution. Aydoğdu évite le manichéisme, préférant une approche nuancée qui
illustre la complexité du débat.
Mais Yurt ne se limite pas
à une analyse sociopolitique. C’est avant tout une exploration des liens
humains dans un environnement clos. Les amitiés, les rivalités et les moments
de complicité entre les garçons sont filmés avec une sensibilité qui transcende
les différences culturelles. Ces relations, parfois tendres, parfois brutales,
reflètent le besoin d’appartenance et la quête d’identité propre à
l’adolescence.
La mise en scène, discrète mais
efficace, s’appuie sur une esthétique épurée, souvent marquée par des plans
fixes qui capturent la monotonie du quotidien tout en révélant la richesse des
émotions sous-jacentes. Les couloirs austères, les dortoirs partagés, et les
rares moments de répit en plein air servent de décor à cette chronique,
renforçant le sentiment d’enfermement.
Les jeunes acteurs livrent des
performances remarquables, incarnant avec naturel la dualité de leur âge :
entre innocence et maturité naissante. Leurs interactions, parfois maladroites,
parfois chargées de tensions, sont profondément authentiques.
Yurt brille par sa capacité à aborder
des thèmes universels – le passage à l’âge adulte, les pressions sociales et
familiales, la recherche de soi – tout en restant profondément enraciné dans la
culture turque. Il ne s’agit pas seulement d’un film sur une école ou une
société, mais d’un miroir tendu à toutes les institutions qui prétendent
façonner les individus.
En mêlant habilement drame
personnel et réflexion sociétale, Yurt propose une œuvre riche et
touchante, qui résonnera auprès de tous ceux qui ont vécu le défi d’affirmer
leur individualité face aux attentes collectives.
NOTE : 11.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation et scénario : Nehir Tuna
- Musique : Avi Medina
- Décors : Abdul Vahhap Ayhan
- Costumes : Ayşenur Ünlü
- Photographie : Florent Herry
- Son : Mustafa Özyurt et Simone Weber
- Montage : Ayris Alptekin
- Production : Tanay Abbasoglu (TN Yapim), Dorothe Beinemeier (Red Balloon Film) et Thierry Lenouvel (Ciné-Sud Promotion)
- Coproduction : Ozan Bilen, Didem Ellialti, Gökalp Köseoglu, Eva Selin et Nehir Tuna
- Sociétés de production : TN Yapim ; Ciné-Sud Promotion (coproduction française) et Red Balloon Film (coproduction allemande)
- Société de distribution : Sophie Dulac Distribution (France)
- Pays de production : Turquie, Allemagne, France
- Doğa Karakaş : Ahmet
- Can Bartu Aslan : Hakan
- Ozan Çelik : Yakup
- Tansu Biçer (en) : le père
- Didem Ellialti : la mère
- Orhan Güner : Behlül
- Isilti Su Alyanak : Sevinç
- Ozan Bilen (tr)
- Emrullah Erbay : Enes
- Ercan Erdil : le brute du dortoir
- Miraç Kaya : Musa
- Erdi Kökerer : Macid
- Fatih Berk Şahin : le brute d'école
- Tolga T. Talay
- Nazli Benan Özkaya : le professeur d'anglais
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