Vu le film La Ligne Verte de Frank Darabont (1999) avec Tom Hanks Michael Clarke Duncan Sam Rockwell Bonnie Hunte David Morse James Cromwell Michael Jeter Graham Green Doug Hutchinson Barry Pepper Patricia Clarkson Harry Dean Stanton Gary Sinise Dabbs Greer
Battu en 2000 par le film American
Beauty de Sam Mendes
Paul
Edgecomb, pensionnaire centenaire d'une maison de retraite, est hanté par ses
souvenirs. Gardien-chef du pénitencier de Cold Mountain, en 1935, en Louisiane,
il était chargé de veiller au bon déroulement des exécutions capitales au bloc
E (la ligne verte) en s'efforçant d'adoucir les derniers moments des condamnés.
Parmi eux se trouvait un colosse du nom de John Coffey, accusé du viol et du
meurtre de deux fillettes.
Une souris grise, minuscule et
insignifiante en apparence, devient l’un des fils conducteurs d’un récit où
l’humanité vacille entre lumière et ténèbres. La Ligne Verte n’est pas
qu’un film sur la prison, la peine de mort ou l’injustice : c’est une parabole
sur la condition humaine, où la cruauté et la grâce cohabitent dans un huis
clos pesant. Pendant plus de trois heures, Frank Darabont transforme un couloir
de la mort en théâtre du destin, où chaque pas résonne comme un compte à
rebours.
Dès le début, le film adopte une double
temporalité. On y découvre Paul Edgecomb, vieil homme rongé par un secret, qui,
dans une maison de retraite, revit les souvenirs qui ne l’ont jamais quitté. À
travers son regard, on plonge dans les années 1930, à Cold Mountain, une prison
de Louisiane où il était gardien. Tom Hanks incarne ce personnage avec une
retenue marquée, loin de son habituelle chaleur bienveillante. Ici, il n’est
pas un héros triomphant mais un témoin impuissant, un homme qui, malgré sa position
d’autorité, se retrouve submergé par ce qu’il vit et voit.
Cold Mountain n’est pas une prison
comme les autres : elle accueille ceux qui ne sortiront jamais autrement que
pieds en avant. Chaque prisonnier qui y entre est un homme déjà condamné,
attendant son dernier jour, et chaque gardien sait qu’il devra l’accompagner
jusqu’à cette fin programmée. Ce quotidien est rythmé par des procédures
froides et répétitives, où la peine capitale se déroule avec un cérémonial
troublant. Pourtant, à mesure que le film avance, la mécanique bien huilée se
grippe, et l’ordre établi se fissure.
John Coffey : le colosse aux pieds
d’argile
La faille s’incarne dans un homme
gigantesque, John Coffey. Accusé du viol et du meurtre de deux fillettes, ce
prisonnier semble en tout point correspondre au monstre que l’on s’attend à
voir dans une cellule de ce couloir funèbre. Mais dès ses premières scènes, il
déconcerte. Michael Clarke Duncan lui donne une aura unique : immense, doté
d’une force titanesque, il contraste radicalement avec sa voix douce et son
regard perdu d’enfant apeuré. Il craint le noir. Il pleure souvent. Il parle
avec candeur et bienveillance. Il est tout, sauf un criminel ordinaire.
Petit à petit, Darabont nous amène à
comprendre que John Coffey est un être hors du commun, au-delà des lois
humaines. Il possède un don, celui de guérir. Il absorbe la douleur des autres,
prend sur lui leurs souffrances, et les expulse comme une fumée de cendres. Un
miracle vivant enfermé entre quatre murs. Ce paradoxe est le cœur du film :
comment un homme doté d’un tel pouvoir, un être fait pour soulager le malheur
des autres, pourrait-il être un assassin ?
Sa relation avec Edgecomb évolue
subtilement, passant d’une distance prudente à une forme de communion
silencieuse. Le gardien, rongé par une infection urinaire insoutenable, en fait
l’expérience directe lorsque Coffey le guérit d’un simple toucher. Dès cet
instant, la frontière entre le rationnel et le mystique se brouille, et le film
bascule progressivement dans une dimension quasi-religieuse.
Mais La Ligne Verte n’est pas
qu’une ode à l’humanité. C’est aussi un portrait sans concession de la
brutalité ordinaire, celle qui s’exerce des deux côtés des barreaux. Si John
Coffey incarne une forme d’innocence sacrifiée, William "Billy the
Kid" Warton, lui, est son opposé absolu. Sam Rockwell livre une
performance hallucinante en détenu psychopathe, incontrôlable et sadique,
semant le chaos à chaque apparition. Il ne suit aucune règle, défie l’autorité,
et son regard ne reflète que le vide d’une âme perdue.
Mais le vrai poison de Cold Mountain ne
vient pas des prisonniers, mais bien de l’un des gardiens : Percy Wetmore.
Doublé d’un sadisme maladif, il ne cherche qu’à imposer sa domination, usant de
son petit pouvoir avec une mesquinerie qui glace le sang. Son obsession pour
les exécutions lui permet d’assouvir ses pulsions cruelles en toute légalité,
et sa scène la plus marquante reste celle de l’exécution sabotée de Delacroix,
où, par pure méchanceté, il prive le condamné d’une mort rapide et le laisse brûler
vif sous les regards horrifiés des témoins.
À travers lui, Darabont expose la
monstruosité du système : le crime ne se limite pas aux condamnés, et parfois,
ceux qui appliquent la justice sont plus monstrueux que ceux qu’ils punissent.
Le film, bien qu’ancré dans un cadre
carcéral, ne parle pas uniquement de la prison. Il interroge la peine capitale,
non pas avec un discours ouvertement militant, mais en nous forçant à ressentir
son absurdité et son horreur. Les exécutions sont filmées avec une précision
clinique, nous plaçant à la place des témoins impuissants. Darabont ne cherche
pas à nous dire quoi penser ; il nous fait ressentir.
L’injustice atteint son paroxysme avec
John Coffey. Son sort est scellé dès son arrestation, et malgré les preuves de
son innocence qui se dessinent, rien ne pourra le sauver. Son acceptation de
son destin, sa volonté de ne plus porter le poids du mal du monde, fait de son
exécution un moment profondément bouleversant. Son dernier échange avec
Edgecomb, où il lui demande de ne pas lui mettre de cagoule car il craint le
noir, est l’un des instants les plus poignants du film.
Et au milieu de cette noirceur, il y a
une souris. Mr. Jingles, le petit rongeur qui traverse le film, devient un
symbole. Il est la seule touche de douceur dans un monde brutal. Il apporte une
illusion d’éternité dans un endroit où tout finit. Sa survie après la mort de
John Coffey, sa présence aux côtés du vieil Edgecomb des décennies plus tard,
est un rappel que certaines choses, même infimes, peuvent défier le temps.
Avec La Ligne Verte, Frank
Darabont ne signe pas un simple drame carcéral. Il offre un conte tragique, une
parabole sur la bonté sacrifiée et l’injustice triomphante. Son film est une
fresque magistrale où le fantastique se mêle au réel sans jamais en atténuer la
dureté. Les performances des acteurs, la mise en scène sobre mais puissante, et
la portée émotionnelle de son récit en font une œuvre marquante, qui ne laisse
personne indifférent.
C’est un film qui ne se contente pas
d’être vu : il reste en nous, longtemps après le dernier fondu au noir.
NOTE / 16.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Frank Darabont
- Scénario : Frank Darabont, d'après le roman-feuilleton La Ligne verte de Stephen King
- Photographie : David Tattersall
- Montage : Richard Francis-Bruce
- Musique : Thomas Newman
- Son : Willie D. Burton
- Direction artistique : William Cruse
- Décors : Terence Marsh
- Costumes : Karyn Wagner
- Casting : Mali Finn
- Production : Frank Darabont et David Valdes
- Sociétés de production : Castle Rock Entertainment, Darkwood Productions et Warner Bros.
- Sociétés de distribution : Warner Bros., United International Pictures (UIP)
- Budget : 60 000 000 $
- Tom Hanks (VF : Jean-Philippe Puymartin ; VQ : Alain Zouvi) : Paul Edgecomb, le gardien-chef
- Michael Clarke Duncan (VF : Peter King ; VQ : Victor Désy) : John Coffey (Caffey en VF), le détenu doté de facultés inexpliquées.
- David Morse (VF : Loïc Houdré ; VQ : Benoît Rousseau) : Brutus « Brutal » Howell, l'adjoint du gardien
- Bonnie Hunt (VF : Nathalie Juvet ; VQ : Marie-Andrée Corneille) : Jan Edgecomb, la femme de Paul Edgecomb
- James Cromwell (VF : Claude Lévêque ; VQ : Claude Préfontaine) : Hal Moores, le directeur du pénitencier
- Michael Jeter (VF : Gilbert Beugniot ; VQ : François Sasseville) : Édouard Delacroix, le détenu à la souris
- Graham Greene (VF : François Siener ; VQ : Jean-Marie Moncelet) : Arlen Bitterbuck, le détenu indien
- Doug Hutchison (VF : Martin Amic ; VQ : Martin Watier) : Percy Wetmore, le gardien sadique
- Sam Rockwell (VF : Pierre-Olivier Mornas ; VQ : Gilbert Lachance) : William « Billy the Kid » Wharton, le détenu violent
- Barry Pepper (VF : Rémi Bichet ; VQ : Daniel Picard) : Dean Stanton, le troisième gardien, plus jeune
- Jeffrey DeMunn (VF : Christophe Odent ; VQ : Yvon Thiboutot) : Harry Terwilliger, le quatrième gardien, plus âgé
- Patricia Clarkson (VF : Francine Bergé) : Melinda Moores, la femme du directeur, atteinte d'une tumeur au cerveau
- Harry Dean Stanton (VF : Dominique Collignon-Maurin ; VQ : André Montmorency) : Toot-Toot, le concierge, testeur de la chaise électrique
- Dabbs Greer (VF : Maurice Chevit ; VQ : Hubert Fielden) : Paul Edgecomb (âgé)
- Eve Brent (VF : Martine Sarcey ; VQ : Françoise Faucher) : Elaine Connelly, la vieille dame de la maison de retraite
- Christopher Ives : Howie Detterick
- Paula Malcomson : Marjorie Detterick
- Gary Sinise (VF : Philippe Crubézy ; VQ : Jean-Luc Montminy) : Burt Hammersmith, l'avocat
- Bill McKinney (VF : Jean O'Cottrell ; VQ : Aubert Pallascio) : Jack Van Hay, l'électricien d'État
- William Sadler (VF : Pierre Baux ; VQ : Jacques Lavallée) : Klaus Detterick
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