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samedi 8 février 2025

16.80 6 MON AVIS SUR LE FILM LA LIGNE VERTE DE FRANK DARABONT (1999)


Vu le film
La Ligne Verte de Frank Darabont (1999) avec Tom Hanks Michael Clarke Duncan Sam Rockwell Bonnie Hunte David Morse James Cromwell Michael Jeter Graham Green Doug Hutchinson Barry Pepper Patricia Clarkson Harry Dean Stanton Gary Sinise Dabbs Greer

Battu en 2000 par le film American Beauty de Sam Mendes

 Paul Edgecomb, pensionnaire centenaire d'une maison de retraite, est hanté par ses souvenirs. Gardien-chef du pénitencier de Cold Mountain, en 1935, en Louisiane, il était chargé de veiller au bon déroulement des exécutions capitales au bloc E (la ligne verte) en s'efforçant d'adoucir les derniers moments des condamnés. Parmi eux se trouvait un colosse du nom de John Coffey, accusé du viol et du meurtre de deux fillettes.

Une souris grise, minuscule et insignifiante en apparence, devient l’un des fils conducteurs d’un récit où l’humanité vacille entre lumière et ténèbres. La Ligne Verte n’est pas qu’un film sur la prison, la peine de mort ou l’injustice : c’est une parabole sur la condition humaine, où la cruauté et la grâce cohabitent dans un huis clos pesant. Pendant plus de trois heures, Frank Darabont transforme un couloir de la mort en théâtre du destin, où chaque pas résonne comme un compte à rebours.

Dès le début, le film adopte une double temporalité. On y découvre Paul Edgecomb, vieil homme rongé par un secret, qui, dans une maison de retraite, revit les souvenirs qui ne l’ont jamais quitté. À travers son regard, on plonge dans les années 1930, à Cold Mountain, une prison de Louisiane où il était gardien. Tom Hanks incarne ce personnage avec une retenue marquée, loin de son habituelle chaleur bienveillante. Ici, il n’est pas un héros triomphant mais un témoin impuissant, un homme qui, malgré sa position d’autorité, se retrouve submergé par ce qu’il vit et voit.

Cold Mountain n’est pas une prison comme les autres : elle accueille ceux qui ne sortiront jamais autrement que pieds en avant. Chaque prisonnier qui y entre est un homme déjà condamné, attendant son dernier jour, et chaque gardien sait qu’il devra l’accompagner jusqu’à cette fin programmée. Ce quotidien est rythmé par des procédures froides et répétitives, où la peine capitale se déroule avec un cérémonial troublant. Pourtant, à mesure que le film avance, la mécanique bien huilée se grippe, et l’ordre établi se fissure.

John Coffey : le colosse aux pieds d’argile

La faille s’incarne dans un homme gigantesque, John Coffey. Accusé du viol et du meurtre de deux fillettes, ce prisonnier semble en tout point correspondre au monstre que l’on s’attend à voir dans une cellule de ce couloir funèbre. Mais dès ses premières scènes, il déconcerte. Michael Clarke Duncan lui donne une aura unique : immense, doté d’une force titanesque, il contraste radicalement avec sa voix douce et son regard perdu d’enfant apeuré. Il craint le noir. Il pleure souvent. Il parle avec candeur et bienveillance. Il est tout, sauf un criminel ordinaire.

Petit à petit, Darabont nous amène à comprendre que John Coffey est un être hors du commun, au-delà des lois humaines. Il possède un don, celui de guérir. Il absorbe la douleur des autres, prend sur lui leurs souffrances, et les expulse comme une fumée de cendres. Un miracle vivant enfermé entre quatre murs. Ce paradoxe est le cœur du film : comment un homme doté d’un tel pouvoir, un être fait pour soulager le malheur des autres, pourrait-il être un assassin ?

Sa relation avec Edgecomb évolue subtilement, passant d’une distance prudente à une forme de communion silencieuse. Le gardien, rongé par une infection urinaire insoutenable, en fait l’expérience directe lorsque Coffey le guérit d’un simple toucher. Dès cet instant, la frontière entre le rationnel et le mystique se brouille, et le film bascule progressivement dans une dimension quasi-religieuse.

Mais La Ligne Verte n’est pas qu’une ode à l’humanité. C’est aussi un portrait sans concession de la brutalité ordinaire, celle qui s’exerce des deux côtés des barreaux. Si John Coffey incarne une forme d’innocence sacrifiée, William "Billy the Kid" Warton, lui, est son opposé absolu. Sam Rockwell livre une performance hallucinante en détenu psychopathe, incontrôlable et sadique, semant le chaos à chaque apparition. Il ne suit aucune règle, défie l’autorité, et son regard ne reflète que le vide d’une âme perdue.

Mais le vrai poison de Cold Mountain ne vient pas des prisonniers, mais bien de l’un des gardiens : Percy Wetmore. Doublé d’un sadisme maladif, il ne cherche qu’à imposer sa domination, usant de son petit pouvoir avec une mesquinerie qui glace le sang. Son obsession pour les exécutions lui permet d’assouvir ses pulsions cruelles en toute légalité, et sa scène la plus marquante reste celle de l’exécution sabotée de Delacroix, où, par pure méchanceté, il prive le condamné d’une mort rapide et le laisse brûler vif sous les regards horrifiés des témoins.

À travers lui, Darabont expose la monstruosité du système : le crime ne se limite pas aux condamnés, et parfois, ceux qui appliquent la justice sont plus monstrueux que ceux qu’ils punissent.

Le film, bien qu’ancré dans un cadre carcéral, ne parle pas uniquement de la prison. Il interroge la peine capitale, non pas avec un discours ouvertement militant, mais en nous forçant à ressentir son absurdité et son horreur. Les exécutions sont filmées avec une précision clinique, nous plaçant à la place des témoins impuissants. Darabont ne cherche pas à nous dire quoi penser ; il nous fait ressentir.

L’injustice atteint son paroxysme avec John Coffey. Son sort est scellé dès son arrestation, et malgré les preuves de son innocence qui se dessinent, rien ne pourra le sauver. Son acceptation de son destin, sa volonté de ne plus porter le poids du mal du monde, fait de son exécution un moment profondément bouleversant. Son dernier échange avec Edgecomb, où il lui demande de ne pas lui mettre de cagoule car il craint le noir, est l’un des instants les plus poignants du film.

Et au milieu de cette noirceur, il y a une souris. Mr. Jingles, le petit rongeur qui traverse le film, devient un symbole. Il est la seule touche de douceur dans un monde brutal. Il apporte une illusion d’éternité dans un endroit où tout finit. Sa survie après la mort de John Coffey, sa présence aux côtés du vieil Edgecomb des décennies plus tard, est un rappel que certaines choses, même infimes, peuvent défier le temps.

Avec La Ligne Verte, Frank Darabont ne signe pas un simple drame carcéral. Il offre un conte tragique, une parabole sur la bonté sacrifiée et l’injustice triomphante. Son film est une fresque magistrale où le fantastique se mêle au réel sans jamais en atténuer la dureté. Les performances des acteurs, la mise en scène sobre mais puissante, et la portée émotionnelle de son récit en font une œuvre marquante, qui ne laisse personne indifférent.

C’est un film qui ne se contente pas d’être vu : il reste en nous, longtemps après le dernier fondu au noir.

NOTE / 16.80

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