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vendredi 28 février 2025

14.40 - MON AVIS SUR LE FILM QUEER DE LUCA GUADAGNINO (2025)


 Vu le film Queer de Luca Guadagnino (2025) avec Daniel Craig Drew Starkey Lesley Manville Henry Zaga Jason Schwartzman Omar Appolo Ronia Ava Ariel Shulman David Lowery

Lee, un écrivain, raconte sa vie à des étudiants américains expatriés à Mexico. Lui, qui erre sans but dans les bars gays de la ville, va voir son destin basculer le jour où il va croiser la route du jeune Allerton. Il jette son dévolu sur le jeune homme dont il s'éprend de manière obsessionnelle mais celui-ci le rejette. Pourtant, malgré leur relation complexe, les deux amis se lancent ensemble en quête d’une plante hallucinogène qui conférerait des dons télépathiques.

Avec Queer, Luca Guadagnino s’attaque à un monument de la littérature underground : le roman de William S. Burroughs, une œuvre torturée écrite dans la douleur et l’addiction. L’adaptation d’un tel texte était un pari risqué, tant il est imprégné de la vie personnelle de son auteur, notamment le deuil de Joan Vollmer, accidentellement tuée par Burroughs lors d’un jeu de William Tell raté. Guadagnino relève le défi en nous plongeant dans le Mexico des années 50, un décor brûlant et moite où errent les âmes perdues.

Le film s'ouvre sur Lee (Daniel Craig), un homme de cinquante ans à la dérive, à la fois pathétique et fascinant. Il erre dans les rues de Mexico, à la recherche de jeunes hommes pour combler un vide existentiel, une quête désespérée de sens et de plaisir. Guadagnino filme cette quête avec une sensualité envoûtante, presque suffocante. La caméra glisse sur les corps, caresse les regards, et la chaleur de la ville semble émaner de l’écran. La bande originale contribue à cette atmosphère envoûtante, ajoutant une couche d’érotisme à chaque échange entre Lee et Allerton (Drew Starkey).

La première partie du film est une réussite. L'alchimie entre Craig et Starkey est palpable, électrisante même. Guadagnino explore leur relation avec une subtilité remarquable, jouant sur les non-dits et les tensions érotiques. L'attraction de Lee pour Allerton, cet ange déchu d'une beauté insolente, devient presque une obsession. Drew Starkey crève l’écran dans le rôle de cet éphèbe insaisissable. Son allure androgyne, sa grâce indécente en font une révélation. Il est l’incarnation parfaite du désir inaccessible, une figure de tentation et de cruauté passive qui manipule Lee sans même s’en rendre compte.

Quant à Daniel Craig, il offre une performance à double tranchant. D’un côté, il incarne Lee avec une vulnérabilité désarmante, dévoilant une facette méconnue de son jeu. Sa voix, presque chuchotée, ses gestes efféminés, ses silences lourds de sens donnent au personnage une dimension profondément humaine. Mais en même temps, il y a cette sensation persistante qu'il en fait trop, qu’il est conscient de chaque mouvement, de chaque regard, comme s'il jouait pour l'Académie des Oscars. Certains y verront une performance magistrale, d’autres un exercice de style trop appuyé.

Cependant, le film dévie de sa trajectoire lors de sa deuxième partie. Lee et Allerton quittent Mexico pour un road trip dans une forêt tropicale à la recherche d'une plante hallucinogène, un écho évident aux errances de Burroughs en Amazonie. Guadagnino tente de traduire à l’écran le voyage intérieur, le délire psychédélique et la quête spirituelle de son protagoniste. Mais ce qui aurait pu être une plongée hypnotique dans les méandres de l'esprit devient une suite de scènes déconnectées, presque absurdes. L’érotisme suffocant du début laisse place à une atmosphère oppressante et déroutante. On n’est plus dans la quête du désir, mais dans celle du vertige et du néant.

Guadagnino s’égare dans cette jungle hallucinée, multipliant les visions surréalistes, les dialogues cryptiques et les expérimentations visuelles. On sent l’influence de Naked Lunch de Cronenberg, mais là où ce dernier parvenait à rendre l’absurde fascinant, Guadagnino perd son spectateur dans un labyrinthe mental. La symbolique devient trop lourde, les métaphores sur le désir et la dépendance trop appuyées, et l'émotion s'évapore.

Néanmoins, cette dérive narrative n’est pas entièrement gratuite. Elle reflète le chaos intérieur de Lee, sa déchéance psychologique et son incapacité à trouver un sens à son existence. La forêt devient le miroir de son esprit torturé, un lieu où les fantasmes se confondent avec les cauchemars. Mais cette ambition se heurte à une mise en scène trop hermétique, laissant le spectateur en marge du récit.

Queer n’est pas un film facile. C’est une œuvre complexe, déstabilisante, qui tente de capturer l’esprit torturé de Burroughs, un homme en quête d’identité et de rédemption. Guadagnino s’approche parfois du sublime, notamment dans les scènes d'intimité entre Lee et Allerton, mais il se perd dans ses propres ambitions stylistiques.

Queer est une expérience viscérale, parfois brillante, souvent frustrante. C’est un film qui divise, un objet cinématographique aussi insaisissable que le désir qu’il tente de représenter. Guadagnino propose une adaptation audacieuse mais imparfaite, un voyage à la fois envoûtant et déroutant à travers le cœur brisé de William S. Burroughs. À chacun de se perdre – ou non – dans cette jungle des sentiments.

NOTE : 14.40

FICHE TECHNIQUE

  • Réalisation : Luca Guadagnino
  • Scénario : Justin Kuritzkes, d'après le roman Queer de William S. Burroughs
  • Musique : Trent Reznor et Atticus Ross
  • Direction artistique :
  • Décors : Stefano Baisi
  • Costumes : J. W. Anderson
  • Montage : Marco Costa
  • Photographie : Sayombhu Mukdeeprom
  • Production : Luca Guadagnino et Lorenzo Mieli
  • Sociétés de production : The Apartment, Frenesy Film Company et FremantleMedia North America
  • Société de distribution : Pan Distribution (France)

DISTRIBUTION

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