Vu le film Queer de Luca Guadagnino (2025) avec Daniel Craig Drew Starkey Lesley Manville Henry Zaga Jason Schwartzman Omar Appolo Ronia Ava Ariel Shulman David Lowery
Lee, un écrivain, raconte sa vie à des étudiants
américains expatriés à Mexico.
Lui, qui erre sans but dans les bars gays de la ville, va voir son destin
basculer le jour où il va croiser la route du jeune Allerton. Il jette son
dévolu sur le jeune homme dont il s'éprend de manière obsessionnelle mais
celui-ci le rejette. Pourtant, malgré leur relation complexe, les deux amis se
lancent ensemble en quête d’une plante hallucinogène qui conférerait des dons
télépathiques.
Avec Queer, Luca Guadagnino
s’attaque à un monument de la littérature underground : le roman de William S.
Burroughs, une œuvre torturée écrite dans la douleur et l’addiction.
L’adaptation d’un tel texte était un pari risqué, tant il est imprégné de la
vie personnelle de son auteur, notamment le deuil de Joan Vollmer,
accidentellement tuée par Burroughs lors d’un jeu de William Tell raté.
Guadagnino relève le défi en nous plongeant dans le Mexico des années 50, un
décor brûlant et moite où errent les âmes perdues.
Le film s'ouvre sur Lee (Daniel Craig),
un homme de cinquante ans à la dérive, à la fois pathétique et fascinant. Il
erre dans les rues de Mexico, à la recherche de jeunes hommes pour combler un
vide existentiel, une quête désespérée de sens et de plaisir. Guadagnino filme
cette quête avec une sensualité envoûtante, presque suffocante. La caméra
glisse sur les corps, caresse les regards, et la chaleur de la ville semble
émaner de l’écran. La bande originale contribue à cette atmosphère envoûtante,
ajoutant une couche d’érotisme à chaque échange entre Lee et Allerton (Drew
Starkey).
La première partie du film est une
réussite. L'alchimie entre Craig et Starkey est palpable, électrisante même.
Guadagnino explore leur relation avec une subtilité remarquable, jouant sur les
non-dits et les tensions érotiques. L'attraction de Lee pour Allerton, cet ange
déchu d'une beauté insolente, devient presque une obsession. Drew Starkey crève
l’écran dans le rôle de cet éphèbe insaisissable. Son allure androgyne, sa
grâce indécente en font une révélation. Il est l’incarnation parfaite du désir
inaccessible, une figure de tentation et de cruauté passive qui manipule Lee
sans même s’en rendre compte.
Quant à Daniel Craig, il offre une
performance à double tranchant. D’un côté, il incarne Lee avec une
vulnérabilité désarmante, dévoilant une facette méconnue de son jeu. Sa voix,
presque chuchotée, ses gestes efféminés, ses silences lourds de sens donnent au
personnage une dimension profondément humaine. Mais en même temps, il y a cette
sensation persistante qu'il en fait trop, qu’il est conscient de chaque
mouvement, de chaque regard, comme s'il jouait pour l'Académie des Oscars.
Certains y verront une performance magistrale, d’autres un exercice de style
trop appuyé.
Cependant, le film dévie de sa
trajectoire lors de sa deuxième partie. Lee et Allerton quittent Mexico pour un
road trip dans une forêt tropicale à la recherche d'une plante hallucinogène,
un écho évident aux errances de Burroughs en Amazonie. Guadagnino tente de
traduire à l’écran le voyage intérieur, le délire psychédélique et la quête
spirituelle de son protagoniste. Mais ce qui aurait pu être une plongée
hypnotique dans les méandres de l'esprit devient une suite de scènes
déconnectées, presque absurdes. L’érotisme suffocant du début laisse place à
une atmosphère oppressante et déroutante. On n’est plus dans la quête du désir,
mais dans celle du vertige et du néant.
Guadagnino s’égare dans cette jungle
hallucinée, multipliant les visions surréalistes, les dialogues cryptiques et
les expérimentations visuelles. On sent l’influence de Naked Lunch de
Cronenberg, mais là où ce dernier parvenait à rendre l’absurde fascinant,
Guadagnino perd son spectateur dans un labyrinthe mental. La symbolique devient
trop lourde, les métaphores sur le désir et la dépendance trop appuyées, et
l'émotion s'évapore.
Néanmoins, cette dérive narrative n’est
pas entièrement gratuite. Elle reflète le chaos intérieur de Lee, sa déchéance
psychologique et son incapacité à trouver un sens à son existence. La forêt
devient le miroir de son esprit torturé, un lieu où les fantasmes se confondent
avec les cauchemars. Mais cette ambition se heurte à une mise en scène trop
hermétique, laissant le spectateur en marge du récit.
Queer
n’est pas un film facile. C’est une œuvre complexe, déstabilisante, qui tente
de capturer l’esprit torturé de Burroughs, un homme en quête d’identité et de
rédemption. Guadagnino s’approche parfois du sublime, notamment dans les scènes
d'intimité entre Lee et Allerton, mais il se perd dans ses propres ambitions
stylistiques.
Queer
est une expérience viscérale, parfois brillante, souvent frustrante. C’est un
film qui divise, un objet cinématographique aussi insaisissable que le désir
qu’il tente de représenter. Guadagnino propose une adaptation audacieuse mais
imparfaite, un voyage à la fois envoûtant et déroutant à travers le cœur brisé
de William S. Burroughs. À chacun de se perdre – ou non – dans cette jungle des
sentiments.
NOTE : 14.40
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Luca Guadagnino
- Scénario : Justin Kuritzkes, d'après le roman Queer de William S. Burroughs
- Musique : Trent Reznor et Atticus Ross
- Direction artistique :
- Décors : Stefano Baisi
- Costumes : J. W. Anderson
- Montage : Marco Costa
- Photographie : Sayombhu Mukdeeprom
- Production : Luca Guadagnino et Lorenzo Mieli
- Sociétés de production : The Apartment, Frenesy Film Company et FremantleMedia North America
- Société de distribution : Pan Distribution (France)
- Daniel Craig : William Lee
- Drew Starkey : Eugene Allerton
- Lesley Manville : Dr. Cotter
- Jason Schwartzman : Joe Guidry
- Henry Zaga : Winston Moor
- Omar Appolo : le garçon du bar Chimu
- Ronia Ava : Joan
- Ariel Schulman : Tom Weston
- Colin Bates : Tom Williams
- Drew Droege (VF : Anatole de Bodinat) : John Dume
- David Lowery : Jim Cochan
- Michaël Borremans : le docteur
- Andra Ursuta : Mary
- Lisandro Alonso : Mr. Cotter
- Lorenzo Pozzan : Joe Guidry's Acquaintance
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