Vu le film The Brutalist de Brady Corbet (2025) avec Adrien Brody Félicity Jones Guy Pearce Joe Alwyn Raffey Cassidy Emma Laird Stacy Martin Ariane Labed Emma Laird Isaach de BankoléAllessandro Nivola Jonathan Hyde Peter Polycarpou Michael Yep
László Tóth, survivant juif hongrois de l'Holocauste,
séparé de force de sa femme et de sa nièce orpheline après avoir été envoyé au
camp de concentration de Buchenwald,
émigre aux États-Unis. Alors que son navire entre dans le
port de New York, il aperçoit la Statue de la Liberté. Architecte
formé au Bauhaus, László se rend en bus à Philadelphie,
où il reste avec son cousin Attila et l'épouse catholique de celui-ci, Audrey,
pendant qu'il cherche du travail. Tout juste arrivé, Attila accueille László en
lui révèlant que sa femme Erzsébet et sa nièce Zsófia sont toujours en vie,
mais coincées en Europe en raison de la mauvaise santé d'Erzsébet.
Qui aurait cru que Brady Corbet, ce jeune acteur timide
rencontré à Deauville en claquettes, révélé dans Mysterious Skin, allait
signer à 37 ans l’un des films les plus marquants de ce siècle ? Avec The
Brutalist, Corbet livre une fresque magistrale sur l'Amérique, une terre de
rêves et de désillusions, vue à travers les yeux de László Tóth, un architecte
hongrois rescapé des camps de concentration. Dès l'ouverture sombre dans les
ruines des camps jusqu'à la traversée de l'Atlantique, où l'horizon dévoile enfin
la lumière et la Statue de la Liberté, le film capte l'essence de l'exil, de
l'espoir et du choc des cultures.
Corbet n’offre pas un biopic ni un récit linéaire. Il
nous entraîne dans une réflexion sur l'identité, le pouvoir et le racisme, en
racontant l'histoire de cet homme qui tente de bâtir son rêve dans un pays qui
se révèle moins accueillant qu'il ne l'espérait. À l'instar de Sergio Leone
dans Il était une fois en Amérique ou d'Orson Welles dans Citizen
Kane, Corbet explore l’ambiguïté du rêve américain. Mais ici, pas
d'esbroufe. Le film est plus proche de la sobriété émotionnelle de Thomas
Vinterberg ou de la satire sociale de Ruben Östlund.
La métaphore du béton est puissante : le brutalisme, d'où
le titre du film, est un style d'architecture connu pour ses formes imposantes
et son béton nu. Ce matériau brut, envahissant les villes modernes, devient le
symbole de l'ambition de László, de sa lutte pour se faire une place dans un
monde qui le rejette pour son statut de migrant et sa foi. On assiste à la
création de ses constructions monumentales, œuvres d'art froides et imposantes,
reflets de son isolement intérieur. Ce n’est pas un hasard si l'épilogue montre
László, physiquement et intellectuellement détruit, contemplant son apogée lors
d'une exposition qui lui est consacrée. Cette scène, d'une intensité
émotionnelle rare, est un miroir brisé du rêve américain, révélant les plaies
béantes de l'époque : racisme, xénophobie et exploitation capitaliste.
La musique de Daniel Blumberg sublime l'ensemble,
oscillant entre mélancolie et espoir. Le début du film, où les notes
dissonantes accompagnent les images fantomatiques des camps, est une extase
cinématographique. Le travail sur le son est tout aussi remarquable : chaque
réverbération, chaque silence est lourd de sens, amplifiant le poids de
l'Histoire qui pèse sur László. La photographie, avec ses jeux d'ombres et de
lumière, évoque l'expressionnisme allemand, tout en captant la froideur des
architectures brutalistes.
Les acteurs livrent des performances inoubliables. Adrien
Brody, habité par le rôle de László, transcende l’écran avec une intensité et
une vulnérabilité qui lui promettent un Oscar. Felicity Jones incarne Erzsébet
avec une grâce douloureuse, donnant corps à la douleur de l'exil et au
sacrifice silencieux. Guy Pearce, en mécène manipulateur, fascine par son
ambivalence, reflétant le double visage du capitalisme américain. Quant aux
seconds rôles, chacun trouve sa place avec une justesse rare, enrichissant cet
univers complexe et nuancé.
Corbet maîtrise à la perfection le rythme de son récit.
Malgré les quatre heures de projection – entrecoupées d'un entracte que l’on
pourrait juger superflu – l'histoire reste fluide, captivante. On ne s’ennuie
jamais, tant la mise en scène est limpide et la narration fluide. Chaque scène
apporte son lot de révélations, de tensions ou de poésie visuelle. Les moments
marquants sont nombreux : de la confrontation dans le gratte-ciel en
construction à la scène finale dans cet espace monumental où les échos de voix
trahissent la distance émotionnelle entre László et le monde qui l'entoure.
En choisissant de raconter l'Amérique à travers les yeux
d'un migrant hongrois, Corbet montre une Amérique en mouvement, bâtie par des
hommes et des femmes déracinés. Mais cette terre promise révèle aussi ses
failles : racisme envers les Noirs et les Juifs, pauvreté, exploitation des
migrants. Si l'Amérique est un rêve, elle est aussi un cauchemar pour ceux qui
doivent se battre pour être acceptés. En cela, The Brutalist résonne
douloureusement avec notre époque, où les questions d'immigration et d'identité
nationale restent brûlantes.
The Brutalist n’est pas un film facile. C’est une
œuvre exigeante, qui ne cherche pas à flatter son spectateur, mais à le
confronter à la réalité brutale d'un monde complexe et cruel. Corbet utilise le
béton comme métaphore du poids de l'Histoire, de la mémoire et de l’identité.
Avec une mise en scène sans fioritures, il livre un cinéma puissant, brut et
émouvant.
Quatre scènes marquent parmi d’autres le film , La scène d'ouverture, dans les ruines d'un
camp de concentration, où László contemple des vestiges architecturaux tout en
esquissant mentalement des plans, établissant d'emblée le lien entre mémoire et
création.
Le dialogue tendu
entre László et son mécène dans un gratte-ciel en construction. La froideur du
béton brut sert de toile de fond à un échange corrosif sur la valeur de l'art
dans un monde capitaliste.
Le montage
elliptique montrant la construction de son chef-d'œuvre architectural, avec des
plans rapprochés sur les mains des ouvriers, le béton coulant, les structures
montant vers le ciel, le tout synchronisé avec une composition musicale en
crescendo.
La confrontation
finale dans un espace vide et monumental, où l'écho des voix révèle la distance
émotionnelle creusée par les compromis de László, aboutissant à un dénouement à
la fois intime et universel.
En refusant le spectaculaire et en s'appuyant sur une
narration dense et une esthétique maîtrisée, Corbet signe un film profondément
humain, empreint d'une mélancolie déchirante. Ce n’est pas un Citizen Kane,
mais une œuvre qui se rapproche des grands récits sur l'Amérique désenchantée. The
Brutalist est une fresque intemporelle, un chef-d'œuvre qui marquera
durablement l'histoire du cinéma.
NOTE : 17.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Brady Corbet
- Scénario : Brady Corbet et Mona Fastvold
- Musique : Daniel Blumberg (en)
- Décors : Judy Becker (en)
- Costumes : Kate Forbes
- Photographie : Lol Crawley (en)
- Montage : Dávid Jancsó (en)
- Production : Brady Corbet, Nick Gordon, D. J. Gugenheim, Andrew Lauren, Trevor Matthews, Andrew Morrison, Brian Young
- Production exécutive : David Hinojosa, Pamela Koffler, Christine Vachon
- Production associée : Maddie Browning, Alexa Goldberg, Joseph King Salwen
- Sociétés de production : Andrew Lauren Productions, Protagonist Pictures, Brookstreet Pictures, Killer Films, Three Six Zero Group, Intake Films, Proton Cinema
- Sociétés de distribution : A24 (États-Unis), Universal Pictures (France)
- Budget : environ 10 millions de dollars
- Adrien Brody : László Toth
- Felicity Jones : Erzsébet Toth
- Guy Pearce : Harrison Lee Van Buren
- Joe Alwyn : Harry Lee Van Buren
- Raffey Cassidy : Zsófia / la fille de Zsófia
- Ariane Labed : Zsófia adulte
- Stacy Martin : Maggie Van Buren
- Isaach de Bankolé : Gordon
- Emma Laird : Audrey
- Alessandro Nivola : Attila
- Jonathan Hyde : Leslie Woodrow
- Peter Polycarpou : Michael Hoffman
- Maria Sand : Michelle Hoffman
- Salvatore Sansone : Orazio
- Michael Epp : Jim Simpson
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