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dimanche 16 février 2025

16.00 - MON AVIS SUR LE FILM REQUIEM POUR UN MASSACRE DE ELEM KLIMOV (1985)


 Vu le film Requiem pour un Massacre de Elem Klimov (1985) avec Alekseï Kravtchenko Olga Mironova Vladas Bagdonas Liubomiras Laucevicius Igor Ivanovitch Beziaïev Tatiana Borissovna Chestakova Vassili Valerianovitch Domratchiov Igor Ivanovitch Gnevachev

République socialiste soviétique de Biélorussie, 1943. Sous les invectives d'un villageois qui leur interdit de poursuivre leur activité, deux enfants creusent le sable pour récupérer divers objets enfouis avec des cadavres de soldats. Le plus âgé, Fliora, trouve un fusil SVT-40. Revenu à son domicile, il décide de rejoindre un détachement de partisans. Ceux-ci viennent le chercher et malgré l'opposition farouche de sa mère, il part en la laissant avec ses deux sœurs car son père est sans doute au front.

Elem Klimov ne filme pas la guerre, il nous y précipite. Requiem pour un Massacre (ou Viens et Vois dans son titre original) est une plongée vertigineuse dans l'horreur, à hauteur d'enfant. À travers les yeux de Fiora, jeune biélorusse embarqué malgré lui dans un conflit qui le dépasse, le spectateur assiste à l'effondrement de toute humanité.

Dès les premières images, la guerre s’impose comme une force inéluctable. Fiora, encore insouciant, déterre un fusil et se retrouve enrôlé parmi les partisans. Son enthousiasme naïf est rapidement anéanti. L’un des moments les plus glaçants survient lorsqu’un bombardement aérien le plonge dans une semi-surdité. Le son assourdi, la distorsion des bruits, la confusion sensorielle traduisent son état de choc. C’est le début d’une lente descente aux enfers.

Le film, loin du spectaculaire hollywoodien, s'inscrit dans une démarche immersive où le réalisme est poussé à l'extrême. La caméra épouse le regard traumatisé d'Alekseï Kravtchenko, dont le visage juvénile se creuse à mesure que l'horreur se dévoile. Klimov choisit l'expérience brute : pas d'explication, pas d’exposition didactique, juste la violence pure, suffocante. L’absence de musique dramatique renforce cette sensation d’abandon face à l’indicible. Les plans subjectifs et les gros plans sur le regard de Fiora, miroir de l’âme brisée, restent ancrés dans la mémoire bien après le visionnage.

L’extermination du village constitue l’apogée de l’horreur. Klimov orchestre une séquence insoutenable où les villageois sont enfermés dans une grange avant d’être brûlés vifs, pendant que les nazis jubilent. Le sadisme des bourreaux, leurs rires, leur ivresse de destruction rendent cette scène encore plus insupportable. Fiora, impuissant, n’a d’autre choix que de fuir et d’assister, horrifié, à l’embrasement de son monde.

La scène finale, où Fiora tire sur un portrait d’Hitler en remontant le temps à travers des images d’archives, est une conclusion vertigineuse. En inversant l’histoire, Klimov pousse à une réflexion déchirante : et si tout cela n’avait jamais eu lieu ? Mais le dernier plan, où Fiora marche dans la boue, son visage vidé de toute jeunesse, nous ramène à la réalité implacable.

Le titre russe, tiré de l’Apocalypse de Saint Jean ("Viens et vois"), résonne comme une injonction divine : il ne s'agit pas de regarder, mais d'affronter. Klimov, marqué par son propre passé sous les bombardements de Stalingrad, livre ici un film-testament, un adieu au cinéma (il ne réalisera plus après). L’œuvre, magistrale et éprouvante, laisse Fiora vieilli avant l’âge, à l’image du spectateur, condamné à porter à jamais ce regard vidé d’innocence.

Le tournage fut une véritable épreuve pour le jeune acteur, qui faillit abandonner tant l’expérience était éprouvante. Pour le préparer, Klimov l’a soumis à un régime physique et mental intense, allant jusqu’à l’hypnotiser pour qu’il puisse supporter certaines scènes. Son visage marqué par l’horreur n’était pas qu’un jeu d’acteur : il portait réellement en lui le poids de ce qu’il vivait.

Après ce rôle iconique, Alekseï Kravtchenko n’a pas poursuivi immédiatement sa carrière d’acteur. Il s’est d’abord éloigné du cinéma, marqué par cette expérience. Mais dans les années 1990, il est revenu sur les écrans et est aujourd’hui un acteur reconnu en Russie, jouant principalement dans des films et séries télévisées. Il a aussi été impliqué dans le doublage de films étrangers en russe.

Loin de l’enfant terrifié qu’il incarnait dans Requiem pour un Massacre, il porte toujours, dans ses traits, l’ombre de Fiora, témoin d’un enfer que le cinéma a rarement su capter avec une telle intensité.

NOTE : 16.00

FICHE TECHNIQUE

  • Réalisation : Elem Klimov
  • Scénario : Alès Adamovitch et Elem Klimov, d'après l'œuvre Récit de Khatyn (Хатынская повесть, 1971) et du mémoire Je suis d'un village en feu (Я з вогненнай вёскі, 1977) d'Alès Adamovitch
  • Musique : Oleg Iantchenko
  • Direction artistique : Victor Petrov
  • Décors : Victor Petrov
  • Costumes : Eleonora Semionova
  • Photographie : Alexeï Rodionov
  • Son : Victor Morse
  • Montage : Valeria Belova
  • Production : S. Terechtchenko
  • Sociétés de production : Mosfilm et Belarusfilm
  • Pays de production : Drapeau de l'URSS Union soviétique

DISTRIBUTION


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