Vu le film Rue sans Issue de William Wyler (1937) avec Humphrey Bogart Joel McRea Sylvia Sydney Claire Trevor Bernard Punsley Billy Halop Huntz Hall Leo Gorcey Marjorie Main Gabriel Dell Bobby Jordan
New York, dans les années 30. Gentrification oblige, les
riches côtoient les plus pauvres, même dans les quartiers mal famés. C'est le
terrain de jeu des Dead End Kids, un gang de jeunes délinquants mené par Tommy
Gordon. Drina, la soeur de Tommy, rêve d'échapper à leurs conditions de vie
déplorables et surtout, d'éviter à son frère de connaître le même destin que
Baby Face Martin, un criminel endurci de retour dans le voisinage...
Réalisé par William Wyler en 1937, Rue sans issue
(Dead End) est un film profondément ancré dans le contexte social de son
époque. Adapté de la pièce de Sidney Kingsley, il propose une fresque urbaine
sombre et réaliste, qui dépasse la simple intrigue criminelle pour peindre un
tableau poignant de la vie dans un quartier new-yorkais durant la Grande
Dépression.
Le film se déroule presque entièrement dans une rue
unique, coincée entre les gratte-ciels des riches et les taudis des pauvres, un
décor métaphorique de la fracture sociale. Wyler exploite ce cadre confiné pour
créer un véritable huis clos à ciel ouvert, où les différents protagonistes se
croisent, se confrontent et se dévoilent. Ce contraste entre richesse et
pauvreté, entre privilèges et désespoir, est au cœur du récit, offrant une
critique incisive d’une société inégalitaire.
L’un des aspects les plus marquants du film est
l’interaction entre les habitants de ce quartier multiculturel. Les classes
sociales s’y côtoient, mais leurs mondes restent irréconciliables. Les enfants
des rues, incarnés par les Dead End Kids, sont au centre de cette
fresque. Ces adolescents, livrés à eux-mêmes, incarnent une jeunesse révoltée
et désillusionnée, prête à tout pour survivre. Leur énergie brute, leur jeu
naturel et leur camaraderie captivent l’écran. Wyler les filme avec une grande
humanité, révélant à la fois leur rudesse et leur vulnérabilité.
Humphrey Bogart, dans le rôle de Baby Face Martin, est
fascinant. Ce gangster défiguré, revenu incognito dans son ancien quartier
après une chirurgie esthétique, incarne la violence et la fatalité d’une vie
vouée au crime. Mais son personnage est aussi empreint d’une certaine
mélancolie : il revient chercher une part de lui-même, un passé qu’il espère
réconcilier avec son présent, pour finalement se heurter au rejet et à l’échec.
Bien que Bogart ne soit pas au centre du récit, sa performance donne au film une
gravité supplémentaire. Sa confrontation avec son ancienne flamme et la
découverte de la désillusion maternelle sont des moments d’une intensité
dramatique saisissante.
Wyler mise sur une mise en scène sobre mais percutante,
sublimée par la photographie en noir et blanc de Gregg Toland, qui capture à
merveille l’atmosphère oppressante de la rue. Les jeux d’ombres et de lumière
renforcent le sentiment d’enfermement et de désespoir, tout en conférant une
esthétique presque expressionniste à ce drame social.
Le film ne se limite pas à la peinture d’un quartier ; il
explore les rapports de pouvoir qui s’y jouent. Les enfants doivent composer
avec l’autorité policière, la criminalité incarnée par Baby Face, et
l’indifférence des élites. Chaque personnage, riche ou pauvre, enfant ou
adulte, est pris dans une lutte pour la survie, que ce soit matériellement ou
moralement.
Nommé quatre fois aux Oscars, Rue sans issue reste
une œuvre emblématique de son époque, mais aussi un témoignage intemporel sur
la condition humaine et les dynamiques sociales. Wyler parvient à mêler le
drame humain et le réalisme social avec une justesse remarquable, faisant de ce
film une fresque urbaine aussi captivante qu’éclairante.
À travers ses personnages, son décor et son message, Rue
sans issue interroge les inégalités, l’innocence perdue et la lutte
constante pour une dignité dans un monde injuste. Une œuvre puissante, portée
par une mise en scène magistrale et un casting impeccable, qui mérite amplement
sa place dans l’histoire du cinéma.
NOTE : 14.10
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : William Wyler
- Scénario : Lillian Hellman d'après la pièce de Sidney Kingsley
- Production : Samuel Goldwyn pour United Artists
- Société de production : Metro-Goldwyn-Mayer pour United Artists et non MGM à l'époque
- Musique : Alfred Newman
- Photographie : Gregg Toland
- Direction artistique : Richard Day
- Décors de plateau : Julia Heron (non-créditée)
- Costumes : Omar Kiam
- Effets spéciaux : James Basevi
- Montage : Daniel Mandell
- Budget : 900 000 $ (estimation)
- Sylvia Sidney (VF : Béatrice Delfe) : Drina Gordon
- Joel McCrea (VF : Bernard Murat) : Dave Connell
- Humphrey Bogart (VF : Francis Lax) : Hugh dit "Baby Face", "Marty" ou Martin Claude Peran 1er doublage
- Wendy Barrie (VF : Perrette Pradier) : Kay Burton
- Claire Trevor : Francey
- Allen Jenkins (VF : Jacques Deschamps) : Hunk
- Marjorie Main (VF : Jacqueline Porel) : Madame Martin
- Billy Halop (VF : Pierre Arditi) : Tommy Gordon
- Huntz Hall : Dippy "Dip"
- Bobby Jordan (VF : Gérard Hernandez) : Angel
- Leo B. Gorcey (VF : Maurice Sarfati) : Spit
- Elisabeth Risdon : Madame Connell
- James Burke (VF : Claude Bertrand) : Mulliga, le policier
- Ward Bond (VF : Jean Roche) : Concierge
- Esther Dale (VF : Jacqueline Porel) : Madame Fenner
- Marcelle Corday (VF : Jacqueline Porel) : Gouvernante
- Minor Watson : Mr. Griswald
Acteurs non crédités :
- Donald Barry : Dr Flynn
- Lucile Browne : Une femme bien habillée
- Robert Homans : Policier
- Esther Howard : La voisine vulgaire
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