Vu le film Black Tea de Abderrahmane Sissako (2023) avec Nina Mélo Wu Ke-Xi Isabelle Kadano Franck Pycardhy Michael Chang Huang Wei Chang Han Emery Gahuranyi
Aya, une jeune Ivoirienne d'une trentaine d'années, dit non le jour de son mariage, à la stupéfaction générale. Après avoir émigré en Asie, elle travaille dans une boutique d'exportation de thé avec Cai, un Chinois de 45 ans. Aya et Cai tombent amoureux, mais leur liaison doit faire face au tumulte de leur passé et aux préjugés des autres.
Abderrahmane Sissako, maître incontesté du cinéma contemplatif, nous livre avec Black Tea une œuvre d’une rare sensibilité. Connu pour sa capacité à magnifier les détails du quotidien et à insuffler une poésie visuelle dans ses récits, le réalisateur dépasse ici la simple narration pour proposer une méditation sur l’amour, les cultures et les liens humains qui transcendent les frontières.
L’histoire, qui se déploie sur deux continents, suit une romance marquée par les différences culturelles et la distance géographique. Mais plutôt que de se focaliser sur le drame de la séparation, Sissako choisit d’explorer la richesse des traditions et des paysages qui entourent ses personnages. Le spectateur est invité à voyager à travers des scènes d’une beauté saisissante : les champs de thé, filmés avec une délicatesse quasi onirique, deviennent un symbole de patience et de sérénité, tandis que les habitats des deux protagonistes, qu’ils soient ruraux ou urbains, incarnent leurs identités respectives et la fusion progressive de leurs mondes.
La photographie, comme toujours dans les films de Sissako, est d’une perfection remarquable. Chaque plan est pensé comme une œuvre picturale, où lumière, texture et composition dialoguent pour offrir une expérience visuelle inoubliable. Les champs de thé, en particulier, se parent d’une dimension presque spirituelle, devenant des espaces où le temps semble suspendu. La caméra s’attarde sur les détails : les gouttes de rosée sur les feuilles, les mouvements gracieux des cueilleuses, les ombres qui dansent au gré du vent. Ces images ne sont pas qu’un décor, elles sont le cœur battant du film, un écho aux émotions des personnages.
Les habitats, quant à eux, sont filmés avec un regard anthropologique et poétique. Ils racontent autant que les dialogues, révélant les différences et les similitudes entre les cultures. Une maison traditionnelle, un marché animé, une pièce baignée de lumière douce : tout contribue à nourrir la réflexion sur ce qui unit et distingue les peuples.
Si certains pourraient reprocher à Black Tea sa lenteur, il faut y voir un choix assumé, une invitation à ralentir et à contempler. Dans un monde où tout va trop vite, Sissako nous pousse à apprécier les silences, les pauses, ces moments suspendus qui en disent souvent bien plus que les mots. C’est un cinéma de l’observation, de la nuance, où chaque détail compte.
Le récit, bien que simple, est riche en émotions. L’amour qui unit les protagonistes n’est pas spectaculaire, mais profondément humain. Il se construit doucement, à l’image des feuilles de thé qui infusent dans l’eau chaude, libérant progressivement leurs arômes. Cette métaphore du thé, omniprésente dans le film, reflète la patience et l’attention nécessaires pour construire des ponts entre les cœurs et les cultures.
Black Tea est bien plus qu’un film, c’est une expérience sensorielle et spirituelle. Abderrahmane Sissako prouve une fois de plus son talent pour transformer les récits les plus simples en œuvres universelles. À travers la beauté de ses images et la profondeur de son propos, il nous rappelle que, comme le thé, l’amour et la compréhension mutuelle nécessitent du temps, de la délicatesse et une ouverture à l’autre. Un chef-d’œuvre à savourer.
NOTE : 13.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Abderrahmane Sissako
- Scénario : Abderrahmane Sissako, Kessen Tall
- Photographie : Aymerick Pilarski
- Montage : Nadia Ben Rachid
- Musique : (dont une reprise de Feeling Good en bambara par Fatoumata Diawara)
- Production : Julien Deris, Denis Freyd, David Gauquié, Jean-Luc Ormières
- Sociétés de production :
- Pays de production : Mauritanie
- Nina Mélo : Aya
- Chāng Hàn : Cai
- Wu Ke-xi : Ying
- Michael Chang : Li-Ben
- Yu Peizhen : Mei
- Huang Wei : Wen
- Emery Gahuranyi : Trésor
- Isabelle Kabano : Vivi
- Odo Marie :
- Franck Pycardhy : Toussaint
- Cheikh Ahmed Kenkou :
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