Vu le Film L’Homme du Jour de Julien Duvivier (1937) avec Maurice Chevalier Elvire Popesco Josette Day Marcelle Géniat Marguerite Deval André Alerme Jean Wiener Henri Crémieux
Avec son amie Suzanne, Alfred Boulard rêve de music-hall et de succès. Il passe une audition dans l'indifférence et retourne à son quotidien : sa pension de famille, l'hôpital où il est électricien. Le hasard veut qu'il sauve la grande comédienne Mona Thalia en lui donnant son sang. Pour les journaux où s'étale sa photo, il devient. Éperdue de reconnaissance tapageuse, Mona veut aider Alfred, qu'elle trouve beau garçon, et en faire un tragédien.
Parmi les œuvres moins souvent citées de Julien Duvivier, L’Homme du jour mérite pourtant une attention particulière, non seulement pour ce qu’il raconte, mais pour la façon dont il l’inscrit dans le style du cinéaste. Connu pour ses films sombres et pour sa façon très lucide – parfois désabusée – de croquer la société (La Belle Équipe, Pépé le Moko, Panique…), Duvivier signe ici une comédie policière en apparence légère, emmenée par un Maurice Chevalier pétulant, mais qui glisse peu à peu vers la fable amère. Sous les oripeaux du divertissement populaire se cache une satire de la célébrité, du pouvoir des médias naissants et de l’ingratitude humaine.
Le récit commence dans la veine la plus souriante : Alfred Boulard (Maurice Chevalier), un modeste électricien, bon vivant, optimiste, toujours prompt à chanter une ritournelle, sauve d’un attentat une grande tragédienne de théâtre, Mona Thalia, incarnée par la superbe et hautaine Elvire Popesco. En remerciement, l’actrice capricieuse décide de faire d’Alfred « l’homme du jour » — elle le propulse sur le devant de la scène, l’invite dans les salons, le fait acclamer comme un héros.
Mais très vite, ce conte de fées social tourne à la parabole ironique. Car la célébrité que reçoit Alfred n’est fondée que sur un geste accidentel, magnifié à outrance par la presse et l’opinion. Il devient une figure publique malgré lui, manipulé par ceux qui l’entourent. Mona Thalia, en quête de publicité autant que de reconnaissance, se sert d’Alfred comme d’un accessoire. Son entourage, guindé, hypocrite, regarde avec condescendance ce « héros du peuple ». Sa fiancée d’origine, Suzanne (jouée par Josette Day), simple et sincère, se retrouve dépassée par cette ascension sociale aussi brutale qu’artificielle.
Le génie de Duvivier réside dans ce glissement de ton. Ce qui commence comme une comédie sociale chantée devient progressivement un regard désabusé sur les mécanismes de la gloire et les illusions du vedettariat. Il ne s’agit pas d’un drame, certes, mais la satire est bien là, toujours adoucie par la gouaille de Chevalier, mais présente. Le film montre que la reconnaissance médiatique peut être éphémère, vide de sens, et surtout détachée de toute forme de mérite réel. La notoriété, pour Duvivier, est une construction, et ceux qui la convoitent ou s’en repaissent finissent souvent par tomber de haut.
Dans une scène particulièrement savoureuse — et aussi assez avant-gardiste dans sa conception — Alfred rencontre… Maurice Chevalier lui-même, dans un jeu de double où le personnage du film croise son propre interprète. L’échange, teinté d’humour méta, permet à Duvivier de faire passer un message clair sur la valeur de l’humilité, du travail discret et de l’identité personnelle face au masque public. Ce n’est pas un simple gag : c’est la clef de voûte morale du film, la réponse à l’ivresse de reconnaissance que le protagoniste a cru pouvoir dompter.
Le film est également un écrin musical pour Chevalier, qui y interprète plusieurs chansons, dont la célèbre « Ma Pomme », hymne à la modestie et à l’auto-dérision. Sa façon de s’adresser à la caméra, son phrasé gouailleur, ses sourires en coin, sa canne et son chapeau complètent l’image d’un homme du peuple propulsé dans une farce sociale dont il ne maîtrise pas les règles. Chevalier est ici dans son élément, à la fois acteur, chanteur et personnage public, mais c’est la direction de Duvivier qui donne à ce numéro une double lecture.
Visuellement, le film reste élégant, avec des décors de théâtre et de salons bourgeois très bien rendus, un contraste marqué entre les lieux de la célébrité et les zones populaires d’où vient
Julien Duvivier, comme toujours, soigne son cadre, ses transitions, et dirige ses acteurs avec précision.
NOTE : 9.80
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Julien Duvivier, assisté de Robert Vernay
- Scénario : Charles Spaak, Charles Vildrac
- Producteurs : José Marquis, Julien Duvivier
- Musique : Jean Wiéner
- Chansons : Charles Trénet et Michel Emer, Charles Borel-Clerc et Jean Wiener
- Photographie : Roger Hubert
- Cameraman : Jean Charpentier
- Assistant-opérateur : Henri Alekan
- Montage : Marthe Poncin
- Décors : Jacques Krauss
- Costumes : René Hubert
- Son : Antoine Archimbaud
- Maurice Chevalier : Alfred Boulard, un électricien qui deviendra vedette de la chanson (et lui-même)
- Elvire Popesco : Mona Thalia, une grande tragédienne excentrique à qui Alfred sauve la vie
- André Alerme : le baron François-Théophile Cormier de la Creuse, son compagnon
- Josette Day : Suzanne Petit, une dactylo, la fiancée d'Alfred qui veut faire du music-hall mais n'a pas de talent
- Marcel Vallée : Vergoulet, un client de pension de famille
- Marguerite Deval : Mme Christoforo, la doyenne de la compagnie théâtrale
- Renée Devillers : Fanny Couvrain, une fleuriste amoureuse d'Alfred
- Marcelle Géniat : Alphonsine Boulard, une fille de ferme, la mère d'Alfred
- Raymond Aimos : le vieil acteur cabotin
- Charlotte Barbier-Krauss : Mme Legal, la patronne de la pension de famille
- Romain Bouquet : le médecin
- Henry Charrett : un passager du métro
- Henri Crémieux : le metteur en scène du music-hall
- Simone Deguyse : la femme lisant le journal à la terrasse du café
- Paul Demange : un passager du métro qui reconnaît Boulard
- Arthur Devère : le caméraman
- Paulette Élambert : la petite sœur de Suzanne
- Paul Escoffier : le directeur du music-hall
- Henri Etiévant : le revendeur
- Fernand Fabre : le peintre à la réception
- Louis Florencie : Antoine, le boucher
- Jeanne Fusier-Gir : la chanteuse à l'audition
- Anthony Gildès : un vieillard à la réception chez Mona Thalia
- Charles Granval : l'ancien de la coloniale
- Jacques Grétillat : M. Legal, le patron de la pension de famille
- Jannik Léonnec : la bonne de la pension
- Robert Lynen : Milot, un apprenti électricien qui travaille avec Alfred
- Germaine Michel : la bouchère
- Missia : une dame du monde à la réception chez Mona Thalia
- Robert Ozanne : un représentant
- Robert Pizani : le poète efféminé
- Marcelle Praince : Mme Pinchon, une pensionnaire
- Maurice Rémy : Archimbaud, l'ingénieur du son
- Philippe Richard : le chirurgien
- Robert Seller : le domestique de Mona Thalia
- Pierre Sergeol : La Breloque, le client malhonnête de la pension de famille
- Sinoël : le fonctionnaire à la retraite
- Victor Vina : le tragédien
- Georgé : le commissaire
- Jacques Chevalier : Félix
- Simone Gauthier : une infirmière
- André Varennes : le garçon de ferme
- Jean Wiéner : le pianiste à la répétition
- les journalistes :
- et aussi :

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