Vu le Film Stans de Steven Leckart (2025) Depuis sa sortie en 2000, "Stan", le morceau d'Eminem sur un fan obsessionnel et instable, s'est imposé comme un classique. Son refrain sert de fil rouge à ce documentaire atypique et entièrement autorisé, qui suit un casting soigneusement sélectionné de vrais fans, dont les liens profonds avec Eminem font écho aux thèmes présents dans ses paroles. Le film interroge la relation complexe entre l'un des artistes les plus discrets au monde et la grande personnalité publique qu'il incarne.
Stans de Steven Leckart n’est pas un documentaire classique sur Eminem. Ce n’est pas une rétrospective chronologique de sa carrière, ni une plongée dans les coulisses de ses albums, mais bien une mise en lumière de celles et ceux qui se définissent à travers lui. Leckart choisit de raconter le rappeur à travers ses fans, et ce choix donne au film une force singulière. On ne suit pas Eminem, on suit les visages de ceux qui se sont construits grâce à lui, qui portent ses paroles comme une cicatrice ou une armure. Ce sont des gens cabossés par la vie, des jeunes marqués par l’exclusion, des adultes qui trouvent dans ses chansons un miroir de leurs propres luttes. Ils disent souvent la même chose, chacun à sa manière : « Eminem m’a sauvé ».
Le documentaire montre des portraits intimes : une femme qui s’est fait tatouer des paroles entières de Stan, un père qui transmet à son fils la force de Lose Yourself comme un mantra quotidien, un garçon solitaire qui recrée dans sa chambre les clips de Slim Shady pour mieux s’approprier sa présence. Tous trouvent dans cette musique un refuge, une raison de continuer, parfois même une identité. La chanson Stan, qui plane tout au long du film comme un fil conducteur, est évidemment centrale. Là où le morceau racontait la dérive d’un fan obsédé, le documentaire nuance et ouvre des perspectives. Oui, certains frôlent l’obsession, oui, la frontière entre passion et dépendance devient fragile, mais il y a aussi dans cet attachement une dimension réparatrice, presque salvatrice.
Leckart filme cela sans jamais tomber dans le voyeurisme ni la moquerie. Il donne de la place, du respect, une écoute sincère. Le montage est vif, nourri d’archives bien choisies et de témoignages bruts. Eminem lui-même n’apparaît que par bribes, parfois dans des images anciennes, parfois dans de rares séquences plus récentes. Mais cette absence est éloquente : il hante chaque plan, non pas comme une star omniprésente mais comme une figure mystique, un fantôme bienveillant dont les paroles résonnent à travers d’autres voix. C’est une manière de souligner son respect profond pour son public : ne pas parler de lui, mais laisser les fans dire ce qu’il représente.
Ce que le film réussit, c’est aussi de montrer le paradoxe de la fan culture contemporaine. Ces femmes et ces hommes recherchent une proximité absolue, mais l’artiste reste lointain, inaccessible, insaisissable. C’est une relation à sens unique, et pourtant chacun y trouve de quoi exister, de quoi se définir. À l’heure des réseaux sociaux, des forums et des vidéos partagées, cette relation devient encore plus intense : elle n’est plus une simple admiration musicale, mais une appartenance à une communauté mondiale qui se reconnaît dans la colère, la lucidité et l’humour noir de Slim Shady. Pour certains, cette communauté a même sauvé la vie, détourné de la drogue, tenu à distance le suicide.
Ce qui rend Stans fascinant, c’est cette tension constante entre le dérangeant et l’émouvant. Les tatouages obsessionnels, les reconstitutions minutieuses des clips, les récits d’adoration totale interrogent sur la limite : jusqu’où peut-on se construire à travers un autre sans se perdre soi-même ? Mais ces excès sont toujours filmés avec douceur, comme si Leckart voulait montrer qu’il n’y a pas de folie gratuite, seulement des existences qui cherchent un sens. Et c’est peut-être là la plus grande réussite du documentaire : il dépasse largement le cadre du portrait d’un artiste pour devenir une réflexion sur l’art, l’identité et la manière dont on fabrique sa propre histoire à travers la voix d’un autre.
De mon point de vue, ce film est d’autant plus fort que je ne fais pas partie de cette catégorie de fans. Je ne suis pas de ceux qui vivent à travers Eminem, et pourtant il reste le seul rappeur que j’écoute régulièrement, parce que pour moi il dépasse la musique. C’est un véritable artiste, un créateur qui touche à l’universel, un peu comme Ed Sheeran – lui-même l’un de ses admirateurs – qui a su le dire avec sincérité. Stans, en plaçant la carrière et la vie privée du rappeur en arrière-plan pour mieux éclairer son lien unique avec ses fans, en dit finalement plus sur Eminem que n’importe quel autre documentaire.

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