Pages

jeudi 7 août 2025

7.10 - MON AVIS SUR LE FILM PASSE TON BAC D'ABORD DE MAURICE PIALAT (1978)

 


Vu le film Passe Ton Bac d’Abord de Maurice Pialat (1978) avec Philippe Marlaud Sabine Haudepin Annick Alane Bernard Tronczyk Patrick Playez Jean François Adam Michel Caron Christian Bouillette 

Dans le nord de la France, à Lens, on suit, durant quelques semaines, l’histoire de quelques élèves et de leur professeur de philosophie. Sans grandes perspectives dans cette région profondément touchée par le chômage, les lycéens, issus de familles modestes, parmi lesquels Élisabeth, Philippe, Agnès, Bernard, tentent d’oublier leurs peurs du lendemain ou de tromper leur ennui en se réunissant dans le petit café du coin, « Chez Caron » 

Passe ton bac d’abord n’est pas un film aimable. Ce n’est pas un film facile. Ce n’est même pas un film agréable, au sens classique du terme. Mais il est, comme beaucoup de films de Pialat, profondément, brutalement vrai. On y entre comme on entre dans une pièce sans lumière : il faut le temps de s’habituer à la rudesse des visages, à la sécheresse du montage, à l’impression d’improvisation permanente, à ces mots balancés comme dans la vraie vie, sans intention dramatique, sans musique pour en souligner le sens. 

Nous sommes à Lens, fin des années 70. Une ville minière qui s’effondre lentement, dans une France post-Giscardienne, entre désillusion économique et bouleversement des repères sociaux. Le décor est morne, gris, populaire, sans beauté recherchée. Pialat filme ces adolescents d’un lycée technique, ceux qui ne sont ni les premiers de la classe ni les cancres absolus. Des jeunes comme il en existait des milliers à l’époque, et comme il en existe encore aujourd’hui : désemparés, sans grands projets, sans illusions, parfois drôles, souvent durs, parfois tendres malgré eux. 

L’histoire, si l’on peut parler d’histoire, est presque absente. On suit un groupe de jeunes, garçons et filles, qui passent leur bac sans vraiment y croire, qui draguent, qui se cherchent, qui se heurtent à leurs parents, à leurs profs, au vide de leur avenir. Certains vivent dans des familles aimantes mais impuissantes, d'autres dans des foyers étouffants ou violents. Il y a du sexe, sans passion ; de la drogue, sans drame ; des engueulades, des silences, des colères rentrées. Une fille tombe enceinte. Un garçon est rejeté. Des amitiés se font et se défont. Mais rien de spectaculaire ne vient ponctuer le film. C’est justement cela, l’idée : la vie sans grands événements, avec juste l’ennui, la répétition, les petites frustrations, les plaisirs volés. 

Et puis il y a cette scène, terrible, à la fin. Une jeune fille à qui l’on demande : « À quoi tu rêves ? » Elle répond : « À rien. » C’est un coup de poing. Et c’est là que réside peut-être le vrai sujet du film : l’effondrement du rêve, chez une jeunesse à qui la société ne propose plus rien. Pas d’utopie politique, pas de transcendance religieuse, pas même de promesse sociale. Le bac, ce rite de passage, n’a plus rien d’une délivrance. Ce n’est qu’un ticket pour un avenir bouché, une formalité administrative avant la grande dégringolade dans le monde du travail ou du chômage. 

Je n'aime pas le cinéma de Pialat, et ce film ne m’a pas réconcilié avec lui — c’est compréhensible. Son style âpre, sa direction d’acteurs sans artifice, ce refus de la mise en scène « belle » peuvent rebuter. Ici, les comédiens (souvent non professionnels) ne « jouent » pas : ils sont. Ce sont des adolescents filmés sans filtre, dans leur époque, avec leurs corps encore en transformation, leurs petites moustaches, leur langage cru, leur gêne, leur violence latente. Ce n’est pas du naturalisme façon téléfilm : c’est une captation quasi-documentaire de ce qu’était être jeune en 1978, loin des clichés teenagers ou des récits initiatiques trop écrits. 

On peut critiquer l’absence de narration forte, le côté flottant, voire laborieux du film. Mais il faut reconnaître à Pialat un regard rare, presque anthropologique. Il ne juge pas ses personnages, ne les sublime pas, ne les plaint pas non plus. Il les regarde, avec une crudité lucide. Il filme l’instant, pas la morale. Il montre une génération ni héroïque ni maudite, juste perdue, engluée dans l’immédiat, sans foi dans l’avenir. Ce qui rend le film profondément contemporain, malgré ses pattes d'eph et ses Renault 12. 

Certes, Passe ton bac d’abord est peut-être le moins « méchant » de la filmographie de Pialat, au sens où il laisse place à quelques moments de complicité, d’humanité. Mais ce n’est pas un film optimiste. C’est un film sans issue. Un monde sans avenir qui s’achève sur un soupir : « À quoi tu rêves ? À rien. » 

Et pourtant, quelque chose passe. Un frisson. Un malaise. Une tendresse inavouée. Ce n’est pas « bien joué », ce n’est pas lyrique, ce n’est pas poétique, mais c’est vécu. Et dans ce vécu-là, il y a peut-être ce que seuls des cinéastes comme Pialat parviennent à faire : transformer l’absence de cinéma en cinéma. 

Alors non, ce n’est pas un film qui fait rêver. Mais il fait penser. Pas par ce qu’il dit, mais par ce qu’il laisse. Un vide. Une angoisse. Peut-être est-ce cela, le vrai choc du film : ne rien proposer, sinon la réalité nue. C’est dur. C’est radical. Mais c’est là. Et c’est peut-être suffisant. 

NOTE : 7.10

FICHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

  • Sabine Haudepin : Élisabeth
  • Philippe Marlaud : Philippe
  • Jean-François Adam : le professeur de philosophie
  • Annick Alane : la mère d’Élisabeth
  • Michel Caron : le père d’Élisabeth
  • Christian Bouillette : le vieux dragueur
  • Bernard Tronczyk : Bernard
  • Patrick Lepczynski : Patrick
  • Valérie Chassigneux : Valérie
  • Agnès Makowiak : Agnès
  • Charline Pourré : Charline
  • Patrick Playez : Rocky
  • Muriel Lacroix : Muriel
  • Frédérique Cerbonnet : Frédérique
  • Fabienne Neuville : la sœur d'Élisabeth
  • Aline Fayard : la femme du patron

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire