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samedi 23 août 2025

17.10 - MON AVIS SUR LE FILM LES SENTIERS DE LA GLOIRE DE STANLEY KUBRICK (1957)


 Vu le film Les Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick (1957) avec Kirk Douglas George MacReady Christiane Kubrick Ralph Meeker James B.Harris Wayne Morris Adolphe Menjou Timothy Carey 

1916. Les fantassins français croupissent dans les tranchées face à une position allemande réputée imprenable. Tout assaut serait suicidaire. Pourtant, espérant obtenir une étoile de plus à son uniforme, le général Mireau ordonne une attaque. 

Il est des films qui bouleversent à jamais la manière de représenter la guerre au cinéma. Les Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick appartient à cette catégorie. Inspiré du roman de Humphrey Cobb, lui-même tiré d’histoires authentiques de soldats français condamnés pour l’exemple durant la Première Guerre mondiale, le film dépasse la simple reconstitution historique pour poser une question universelle : à quelle autorité doit-on obéir, et jusqu’où accepter d’aller dans l’absurde ?  

Stanley Kubrick a signé, en 1957, avec Les Sentiers de la gloire un film de guerre qui n’a rien d’un film de guerre spectaculaire. C’est au contraire une œuvre sèche, implacable, où la violence réside moins dans les balles que dans les ordres, moins dans les corps déchiquetés que dans la mécanique glaciale d’une hiérarchie militaire. Comme il le fera plus tard dans Docteur Folamour, Kubrick interroge l’obéissance à une autorité : à quel moment doit-on désobéir ? Et à quel prix ? 

Le récit se situe en 1916, au cœur de la Première Guerre mondiale. Le général Broulard (Adolphe Menjou) demande à son subordonné, le général Mireau (George Macready), de lancer une attaque suicidaire contre une position allemande appelée « la Fourmilière ». Mireau, soucieux de sa carrière et flatté par la perspective d’une promotion, accepte sans scrupule, malgré le caractère impossible de l’assaut. Ses soldats, épuisés par la vie dans les tranchées, doivent néanmoins obéir. 

Lorsque l’attaque tourne au désastre et que les hommes refusent de sortir de leurs tranchées pour se faire massacrer, Mireau exige des sanctions exemplaires. Trois soldats, tirés au hasard parmi les régiments, sont désignés pour être jugés et exécutés. L’objectif est clair : sauver l’honneur de l’armée et dissimuler l’incompétence de ses chefs. 

C’est alors qu’entre en scène le colonel Dax, interprété par Kirk Douglas, figure de droiture et de courage moral. Dax est lui-même un ancien avocat, ce qui lui donne l’argumentaire et la conviction nécessaires pour défendre ses hommes devant un tribunal militaire. Mais le procès n’est qu’une mascarade, une parodie de justice : les verdicts sont écrits à l’avance, la vérité n’a aucune importance. La machine bureaucratique et militaire est là pour broyer, non pour écouter. 

Kubrick filme cette injustice avec une rigueur impressionnante. La caméra s’attarde sur les couloirs du pouvoir, où les généraux dissertent de stratégie en sirotant du vin, puis glisse dans les tranchées, où la boue, la peur et la mort règnent. Un plan inoubliable montre Mireau descendant dans les tranchées, inspectant ses hommes, répétant mécaniquement des formules de bravoure, inconscient de la misère qu’il piétine. À l’inverse, Kirk Douglas est filmé dans des travellings longs et sobres, incarnant un homme seul, droit, qui marche vers une vérité que personne ne veut entendre. 

La dimension manichéenne est évidente : les généraux sont présentés comme cruels, absurdes, ivres de pouvoir. Mais Kubrick va plus loin que le simple contraste entre le bien et le mal. Il montre que le système entier est corrompu, qu’il n’y a pas d’échappatoire. Même l’honnêteté et la bravoure de Dax se heurtent au mur de la hiérarchie et de la logique militaire. 

Le film trouve son origine dans le roman de Humphrey Cobb, inspiré de faits réels : les innombrables condamnations à mort de soldats français durant la Première Guerre mondiale, fusillés pour « lâcheté » ou « refus d’obéissance », alors qu’ils n’avaient fait que tenter de survivre. Kubrick transforme ce matériau en réquisitoire contre la guerre et contre toute institution qui sacrifie l’individu au nom de l’idéologie. 

Les interprètes marquent durablement : Kirk Douglas impose une intensité qui fait de Dax une figure tragique, l’avocat condamné à plaider dans le vide. George Macready campe un général Mireau glaçant, symbole de la vanité militaire. Adolphe Menjou, en Broulard, ajoute une touche cynique : sous des dehors aimables, il incarne la duplicité politique. Et les trois soldats choisis pour le sacrifice – Ralph Meeker, Timothy Carey, Joe Turkel – donnent au film un visage profondément humain. 

La dernière scène est restée dans toutes les mémoires : des soldats bruts de fatigue, dans une taverne, regardent une jeune prisonnière allemande chanter. D’abord goguenards, ils se taisent peu à peu, certains laissant couler des larmes. Dans ce moment suspendu, Kubrick redonne à la guerre un visage humain, brisé, mais toujours capable d’émotion. 

Pour moi, Les Sentiers de la gloire est un film essentiel, un sommet du cinéma pacifiste. Là où tant de films de guerre exaltent l’héroïsme, Kubrick choisit l’absurde, le grotesque et l’injustice. Il filme la stupidité du commandement avec une cruauté clinique, tout en magnifiant la dignité de ceux qui, jusqu’au bout, refusent d’abandonner leur humanité. 

Un chef-d’œuvre amer, mais nécessaire, où le bonheur n’existe que fugitivement, dans un chant fragile qui résiste à la folie des hommes. 

NOTE : 17.10

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