Vu le Film Témoin à Charge de Billy Wilder (1957) avec Tyrone Power Marlène Dietrich Charles Laughton Elsa Lanchester Henry Daniell John Williams Ian Wolfe Ruta Lee Philip Tonge
A peine remis d'un infarctus qui a failli le terrasser, Sir Wilfrid Robarts, ténor du barreau, accepte de prendre la défense de Leonard Stephen Vole, accusé de meurtre. L'affaire, déjà difficilement plaidable, se complique encore lorsque Christine Vole, l'épouse du prévenu, devient l'un des témoins capitaux de l'accusation...
Adapté d’une pièce de théâtre d’Agatha Christie (elle-même issue d’une nouvelle de la « Reine du crime »), Témoin à charge (Witness for the Prosecution) reste sans doute l’un des plus grands films de procès jamais tournés. Billy Wilder, maître du dialogue et de l’ironie grinçante, en a tiré une œuvre qui marie le raffinement britannique du récit criminel et la vivacité hollywoodienne des joutes judiciaires. Contrairement aux adaptations plus classiques de Christie, Wilder ne cherche pas seulement à restituer l’intrigue : il lui insuffle une énergie dramatique et un sens du rythme qui transforment ce huis clos en un duel haletant.
L’histoire suit Sir Wilfrid Robarts (Charles Laughton), brillant avocat vieillissant, tout juste sorti d’un infarctus et censé se ménager. Mais le diable d’homme refuse le repos et accepte de défendre Leonard Vole (Tyrone Power), un séducteur faible et opportuniste accusé d’avoir assassiné une riche veuve. Le témoignage le plus attendu est celui de son épouse Christine (Marlene Dietrich), femme froide, mystérieuse, qui semble tenir son mari à la gorge autant qu’elle prétend le soutenir. Dès lors, le film devient une mécanique implacable où chaque coup de théâtre redistribue les cartes : la vérité se cache, se travestit, se révèle par fragments, jusqu’à un dénouement que l’on n’ose pas révéler tant il est retors.
Wilder orchestre cette partie d’échecs comme un ping-pong verbal : objections, plaidoiries, contre-interrogatoires fusent comme des balles de match. Mais au centre de ce jeu, l’avocat Laughton fait office de filet : son visage se tord, son corps usé se cabre, sa verve cingle. Laughton est colossal, mélange de cynisme, d’intelligence et de gourmandise théâtrale. On croit le voir se régénérer à mesure que le procès avance, tant l’art du combat judiciaire semble lui donner une seconde vie. Sa prestation seule justifie que le film figure parmi les sommets du cinéma judiciaire.
En face, Tyrone Power, star des films de cape et d’épée, surprend en mari veule et manipulateur. Il a l’air fragile, indécis, presque pitoyable, et c’est cette vulnérabilité trouble qui nourrit le doute : coupable ou victime des apparences ? Ce sera son dernier rôle complet, puisque l’acteur mourra l’année suivante, ajoutant à la tragédie un parfum mélancolique. Marlene Dietrich, quant à elle, se coule dans un registre inattendu. Wilder lui offre un personnage de manipulatrice glaciale, d’une dureté que l’on n’associe pas d’ordinaire à son aura de diva. Elle joue sur les faux-semblants avec une précision démoniaque. Dietrich croyait son rôle digne d’un Oscar, et l’on comprend pourquoi : la force de son interprétation, pourtant ignorée par l’Académie, reste intacte près de 70 ans plus tard.
Agatha Christie, fidèle à sa réputation, n’épargne pas le spectateur. Là où tant de récits policiers se contentent d’un unique rebondissement, elle en aligne trois ou quatre, chacun renversant la perspective précédente. Wilder s’amuse de ces coups de théâtre, les accentue même par des choix de mise en scène brillants : plans serrés sur les visages, silences pesants, contre-champs qui deviennent des révélations. La culpabilité ou l’innocence rebondissent comme une balle de ping-pong, et le spectateur, comme le jury, perd pied devant la virtuosité de la manipulation.
La mise en abyme est savoureuse : au tribunal, chacun joue un rôle, chacun ment, feint, improvise. Christie pousse la logique du « jeu du chat et de la souris » jusqu’à la cruauté : ici, la souris n’est pas celle que l’on croit. Le spectateur, habitué à suivre Hercule Poirot ou Miss Marple, se retrouve désarmé : pas de détective bienveillant, mais une lutte de pouvoirs où le plus ignoble triomphe souvent.
L’arrière-plan du tournage ajoute encore au mythe. Charles Laughton, passionné, incarnait son rôle même en dehors des prises, lisant les dialogues aux figurants, s’appropriant les tirades comme s’il jouait toute la pièce de Christie à lui seul. Ce mélange de discipline théâtrale et de plaisir du verbe rejaillit dans le film : on y sent la jubilation du comédien, portée par l’œil affûté de Wilder.
Nommé six fois aux Oscars (film, réalisateur, acteur, actrice dans un second rôle…), Témoin à charge n’a rien remporté, mais son influence n’a cessé de croître. Beaucoup, découvrant le film sans générique, croient voir un Hitchcock : c’est dire la perfection du suspense. Mais il y a bien la touche Wilder : un humour noir, un goût de la cruauté élégante, une manière de faire danser la vérité et le mensonge dans une même scène.
Aujourd’hui encore, Témoin à charge s’impose comme un chef-d’œuvre intemporel. Un sommet du film de procès, une leçon d’adaptation, une partie d’échecs où l’avocat, la femme et le mari se manipulent dans un jeu cruel. Pour qui aime Christie, pour qui admire Wilder, pour qui savoure le talent d’acteurs au sommet de leur art, ce film appartient sans hésitation au Top 10 des grands classiques judiciaires. Et comme le conseillait la voix-off à la fin de la projection : « Ne révélez pas le dénouement ».
NOTE : 16.40
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Billy Wilder
- Scénario : Billy Wilder, Harry Kurnitz et Larry Marcus, d'après la pièce Témoin à charge (1953) d'Agatha Christie, elle-même adaptée de la nouvelle Témoin à charge (1925)
- Direction artistique : Alexandre Trauner
- Costumes : Edith Head pour les costumes de Marlène Dietrich
- Photographie : Russell Harlan
- Montage : Daniel Mandell
- Musique : Matty Malneck
- Production : Arthur Hornblow Jr.
- Production déléguée : Edward Small
- Société de production : Edward Small Productions
- Société de distribution : United Artists
- Budget : 3 000 000 $ (estimation)
- Charles Laughton (VF : Jean Toulout) : sir Wilfrid Robarts
- Tyrone Power (VF : Roger Rudel) : Leonard Vole
- Marlene Dietrich (VF : Lita Recio) : Christine Vole Helm
- Elsa Lanchester (VF : Camille Fournier) : miss Plimsoll
- John Williams (VF : Roger Tréville) : Brogan-Moore
- Henry Daniell (VF : Jean Martinelli) : Mayhew
- Ian Wolfe : Carter
- Una O'Connor (VF : Gabrielle Fontan) : Janet McKenzie
- Torin Thatcher : monsieur Myers
- Francis Compton (VF : Pierre Morin) : Le juge
- Norma Varden : madame French
- Philip Tonge : l'inspecteur Hearne
- Ruta Lee (VF : Marie Dubois) : Diana
- Molly Roden : miss Mottuah

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