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vendredi 29 août 2025

12.40 - MON AVIS SUR LE FILM ELIO DE MADELINE SHARAFIAN DOMEE SHI ET ADRIAN MOLINA (2025)


Vu le film d’Animation La Vie en Gros de Kristina Dufkova (2024) avec les voix de Samantha Hahn 

Ben, 12 ans, entre tout juste dans la puberté et soudain son poids devient un problème, pour lui et pour tout le monde. Les autres enfants le harcèlent, ses parents divorcés ne savent pas quoi faire. Même l'infirmière scolaire s'inquiète pour lui. Ainsi malgré son amour pour la nourriture et son talent naissant en cuisine, Ben décide de prendre des mesures drastiques. Il commence un régime. 

La Vie en gros est un film d’animation en stop-motion qui s’empare d’un sujet rarement traité frontalement dans le cinéma d’animation : la grossophobie, et plus précisément celle que subissent les enfants dès l’école. La réalisatrice tchèque Kristina Dufková, qui adapte ici le roman de Mikäel Ollivier, signe une œuvre singulière qui, à défaut d’être esthétiquement séduisante, possède une sincérité et une pertinence remarquables. 

L’histoire suit Ben, un adolescent rond, sensible et intelligent, qui se heurte chaque jour aux moqueries de ses camarades et au regard blessant du monde extérieur. Dans son collège, il devient la cible idéale : surnoms cruels, isolement, remarques blessantes. Ce quotidien difficile se répercute à la maison, où ses parents oscillent entre maladresse et inquiétude. La grande force du film est de montrer que la grossophobie ne s’arrête pas aux portes de l’école : elle s’installe dans la tête de ceux qui la subissent, elle modèle leur rapport au corps, à la confiance, à l’amour. 

Autour de Ben gravitent plusieurs personnages essentiels. Il y a Claire, sa meilleure amie, qui refuse de se moquer et tente de l’encourager à s’accepter. Il y a aussi les parents, aimants mais maladroits, qui incarnent une autre facette de la pression sociale : celle des adultes, parfois prisonniers des normes et incapables de trouver les bons mots. Enfin, il y a les figures des bourreaux scolaires, qui apparaissent comme des silhouettes agressives, presque grotesques, et qui traduisent l’omniprésence de l’humiliation. 

L’animation en stop-motion donne à l’ensemble une patine artisanale, faite de textures rugueuses et de visages simplifiés. Ce choix, courageux, pourra en rebuter certains spectateurs : les personnages paraissent raides, parfois peu expressifs, et le graphisme manque de beauté classique. On décroche parfois devant cette esthétique brute, presque ingrate. Mais paradoxalement, ce dépouillement visuel renforce le propos : la douleur de Ben n’est pas enjolivée, elle est montrée telle qu’elle est, sans fioritures. 

La mise en scène joue habilement sur les contrastes. Certaines séquences plongent dans une atmosphère sombre, où l’ombre et l’oppression traduisent la honte et la solitude. D’autres, au contraire, ouvrent sur des moments de grâce poétique, où Ben s’évade dans son imaginaire, rêve d’apesanteur, de liberté et d’acceptation. Ces passages poétiques sont de véritables respirations, comme si le film disait que même au cœur du rejet, l’enfant garde une capacité d’émerveillement. 

Le récit progresse sans chercher à embellir : Ben encaisse, Ben doute, Ben se replie. Mais peu à peu, grâce à l’amitié de Claire, au soutien fragile mais réel de sa famille, et surtout grâce à sa propre force intérieure, il entame un chemin d’acceptation. Le film ne tombe jamais dans la facilité : il ne propose pas de “solution miracle”, il ne transforme pas son héros en athlète ou en idole. Il montre simplement qu’on peut apprendre à se regarder autrement, et à refuser de se définir uniquement par le prisme des autres. 

C’est là que La Vie en gros touche juste : il s’adresse aux enfants victimes de harcèlement, mais aussi aux adultes, en rappelant combien les stigmates laissés par ces humiliations continuent à peser dans la vie d’adulte. On comprend très bien que le film cherche à briser ce cercle vicieux, à dire que la grossophobie n’est pas une “fatalité sociale”, mais une violence qu’il faut nommer et combattre. 

Mon ressenti est partagé. Sur le fond, le film est indispensable : il ose, il interpelle, il éduque sans lourdeur. Mais sur la forme, il souffre. Les choix visuels rebuteront beaucoup de spectateurs, moi compris : les visages figés, la raideur du stop-motion, la palette terne donnent un aspect parfois repoussant. Cela crée une distance là où on voudrait être happé. À certains moments, j’ai décroché, précisément parce que l’image ne portait pas assez l’émotion. 

Mais malgré ce défaut majeur, je salue le courage et la nécessité de ce projet. Dans un monde saturé de récits policés et de divertissements inoffensifs, un film comme La Vie en gros ose mettre le doigt sur une blessure universelle : celle du rejet. Le fait qu’il ait été récompensé à Annecy et nommé aux European Film Awards montre qu’il a su convaincre par son authenticité et son importance sociale, même si sa réalisation divise. 

La Vie en gros est une œuvre imparfaite mais essentielle. On peut reprocher son esthétique rebutante, mais on ne peut pas ignorer son message. C’est un film qui secoue, qui dérange parfois par sa rudesse, mais qui offre une voix à ceux qui, trop souvent, n’en ont pas. Un film à montrer aux jeunes, aux parents, aux enseignants : non pas pour son animation, mais pour sa vérité. 

NOTE : 12.40

FICHE TECHNIQUE

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