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dimanche 17 août 2025

17.50 - MON AVIS SUR LE FILM 12 HOMMES EN COLERE DE SIDNEY LUMET (1957)


 Vu le Film 12 Hommes en Colère de Sydney Lumet (1957) avec Henry Fonda Martin Balsam John Fiedler Lee J.Cobb E.G Marshall Jack Klugman Ed Begley Ed Binns Jack Warden Joseph Sweeney George Voskovec Robert Webber Rudy Bond 

Le film explore de nombreuses techniques de recherche de consensus et montre les difficultés rencontrées dans un processus de décision parmi un groupe d'hommes, dont l'éventail des personnalités ajoute à l'intensité et au conflit pour juger l'affaire. Il explore également le pouvoir que possède une personne seule à provoquer un changement d'avis chez d'autres individus. Au cours du film, les membres du jury sont identifiés par un numéro ; aucun nom n'est révélé, jusqu'à un échange de dialogue tout à la fin du film entre les jurés no 8 et no 9, respectivement M. Davis et M. McCardle. 

12 Hommes en colère de Sidney Lumet (1957) est sans doute l’un des plus grands huis clos du cinéma. Derrière un dispositif minimaliste — douze jurés enfermés dans une salle étouffante pour décider du sort d’un adolescent accusé de parricide —, Lumet déploie une fresque qui dépasse de loin le cadre judiciaire. Le film n’est pas seulement un drame de procès : il devient le miroir d’une société américaine marquée par ses préjugés, ses fractures sociales, ses contradictions morales. 

Le point de départ est simple : un jeune garçon, d’origine immigrée et issu des bas-fonds, est accusé d’avoir tué son père. Les preuves semblent accablantes et la peine capitale attend l’accusé. Lors du premier vote, onze jurés votent « coupable », un seul s’y oppose : le juré n°8, incarné par Henry Fonda, d’une dignité sobre et d’une lucidité désarmante. Non pas qu’il soit convaincu de l’innocence du jeune homme, mais parce qu’il estime que la vie d’un adolescent mérite d’être examinée avec attention. Cette seule voix discordante enclenche un processus de remise en question collective, où chaque certitude va être attaquée, chaque preuve réévaluée, et où les failles intimes de chacun se révèlent. 

Chacun des jurés incarne une facette de l’Amérique des années 50. Le juré n°3 (Lee J. Cobb), autoritaire, colérique, porte en lui la rancœur d’un père rejeté par son fils, ce qui l’aveugle et le pousse vers la condamnation. Le juré n°10 (Ed Begley), raciste et méprisant, déverse sa haine des « classes inférieures » dans un monologue glaçant qui finit par isoler son auteur dans un silence accablant. Le juré n°7 (Jack Warden) ne pense qu’au match de baseball qu’il va manquer, symbole du citoyen indifférent, pressé d’expédier la justice. À l’opposé, le juré n°9 (Joseph Sweeney), vieil homme observateur, ou encore le juré n°11 (George Voskovec), immigré attacher aux valeurs démocratiques américaines, apportent leur sensibilité et leur lucidité. Chacun de ces douze hommes devient un personnage à part entière, un fragment de la société américaine, avec ses blessures et ses contradictions. 

Le huis clos fonctionne d’autant mieux que Lumet joue sur la chaleur étouffante de la pièce, la sueur qui perle, les chemises froissées, le manque d’air, qui deviennent les reflets visuels de la tension croissante. Sa mise en scène est d’une précision chirurgicale : au fil des débats, la caméra descend progressivement vers des angles plus bas, resserrant les visages, accentuant le sentiment d’enfermement et l’intensité dramatique. Cette subtilité technique accompagne l’évolution des débats : d’abord une foule anonyme, puis une confrontation d’individus, enfin une poignée d’hommes livrés à leurs propres consciences. 

À travers cette confrontation, Lumet ne se contente pas d’analyser un cas judiciaire. Il nous parle de justice, de démocratie, et surtout de la peine de mort. En 1957, la France n’avait pas encore aboli la guillotine, et aux États-Unis, la peine capitale était une évidence dans de nombreux États. Le film pose une question vertigineuse : peut-on condamner un jeune homme à mort sur la base de certitudes fragiles, de témoignages incertains et de préjugés raciaux ? Peut-être était-il coupable, mais là n’est pas l’essentiel : ce qui compte, c’est qu’aucun doute raisonnable ne doit être balayé quand il s’agit d’ôter une vie. 

Il faut aussi souligner que ce jury, composé de douze hommes blancs, reflète une autre réalité sociale : l’exclusion des minorités des instances de décision. Comme si le procès était faussé dès l’établissement de la liste des jurés. Lumet filme cette homogénéité avec un paradoxe puissant : c’est au sein même de ce groupe apparemment uniforme que naissent des divergences, des fissures, des réflexions. Ainsi, l’Amérique des années 50 se révèle dans toute sa complexité : racisme latent, autoritarisme patriarcal, mais aussi idéal démocratique et courage individuel. 

Henry Fonda, à la fois acteur et producteur, est magistral. Il incarne la raison, l’humanité et l’élégance morale. Mais le film n’est pas celui d’un seul homme : il repose sur l’alchimie de l’ensemble du casting, sur les affrontements entre Fonda et Cobb, sur la lâcheté de Warden, sur la dignité de Sweeney. Lumet réussit ce tour de force : transformer une pièce de théâtre apparemment figée en un drame d’une intensité cinématographique rare. 

À mes yeux, 12 Hommes en colère est bien plus qu’un chef-d’œuvre de mise en scène. C’est une œuvre intemporelle qui continue de résonner aujourd’hui. Elle rappelle que la justice ne peut pas être un réflexe ou une vengeance, mais un processus collectif exigeant, où la raison doit l’emporter sur la peur, la haine ou l’indifférence. Lumet nous met face à nos propres préjugés, et nous demande : qu’aurions-nous voté ? Aurions-nous eu le courage de dire « non coupable » quand tous disaient l’inverse ? 

En fin de compte, ce film est à la fois le procès d’un jeune homme, le procès de la peine de mort, et celui d’une société qui se juge elle-même. Dans cette petite pièce suffocante, Lumet parvient à embrasser toute l’Amérique. Et c’est pour cela qu’aujourd’hui encore, 12 Hommes en colère reste, selon moi, le plus imposant des huis clos du cinéma. 

NOTE : 17.50

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