Vu le Film Rendez vous avec la Peur de Jacques Tourneur (1957) avec Dana Andrews Peggy Cummins Niall MacGinnis Maurice Denham Athene Seyler Liam Redmond Rosamund Greenwood
Le professeur Harrington, qui dénonçait les activités démonologiques du docteur Julian Karswell, a trouvé la mort dans un étrange accident de voiture. Son collègue, le savant américain John Holden, venu à Londres participer à un congrès de parapsychologie, enquête sur sa disparition...
Rendez-vous avec la peur, voilà un titre qui tient ses promesses. Et pourtant, en apparence, ce n’est qu’une « série B », comme tant d'autres qui ont envahi les salles de quartier dans les années 50, et qu’on allait savourer entre deux réclames de chocolat chaud et un esquimau glacé à l’entracte. Mais ce film, signé Jacques Tourneur, n’a rien d’anodin. Il a ce goût étrange de l’angoisse bien diffusée, du fantastique qui gratte la surface du réel, et d’un cauchemar trop plausible pour qu’on s’en moque.
Un peu comme un excellent épisode de La Quatrième Dimension, Night of the Demon joue sur les limites. Le fantastique y frôle la folie, les hallucinations s’enchevêtrent aux malédictions, et la question du réel ne cesse de hanter le spectateur. On ne sait plus si l’on doit croire ou douter, trembler ou sourire. Et ce doute, Tourneur en fait sa matière première. Il a ce génie de l’ambiguïté, ce talent rare pour faire naître l’angoisse d’un simple froissement de rideau, d’un souffle de vent, ou d’un plan fixe sur une silhouette dans l’ombre.
Je dois dire que le film porte bien son nom. Je ne suis pas un grand peureux, mais là, l’ambiance m’a réellement oppressé. On sent la peur progresser à bas bruit, comme une malédiction rampante. C’est une terreur diffuse, presque invisible, et c’est peut-être ça qui fait son efficacité. Alors oui, on pourra rire — ou du moins sourire — devant les effets spéciaux, notamment l’apparition du démon, imposée stupidement par les producteurs, ces idiots, qui ne faisaient pas confiance à la suggestion, au pouvoir de l’invisible. Mais même cette représentation physique maladroite n’arrive pas à gâcher l’ambiance, car Tourneur a déjà gagné la partie : la peur est en nous.
Ce n’est pas un hasard si l’on sent l’influence de ce film chez des maîtres comme John Carpenter ou Sam Raimi. Carpenter a repris le thème du mal invisible dans Prince of Darkness, et Raimi a carrément rendu hommage au film dans Drag Me to Hell. Car Rendez-vous avec la peur n’est pas un simple récit de malédiction : c’est un engrenage infernal, un cauchemar à horloge où chaque tic-tac rapproche du gouffre. Le protagoniste, joué par Dana Andrews, un scientifique rationnel qui se retrouve confronté à une force occulte, est entraîné malgré lui dans une spirale de peur qu’il ne maîtrise plus. Et c’est justement ce conflit entre foi et raison, croyance et scepticisme, qui rend le film passionnant. Il n’y a pas de certitudes, seulement des pressentiments, des signes, des frissons.
Tourneur, déjà maître absolu de la suggestion dans La Féline ou L’Homme-léopard, démontre ici une maîtrise totale de la mise en scène. Pas une scène qui dérape, pas un plan qui se perd. Tout est tenu, tendu, suspendu. Aucun problème de rythme, aucun affaissement. Même les petites facilités scénaristiques servent un but précis : renforcer l’étrangeté, accroître le malaise. Ce qui pourrait n’être qu’un banal récit de superstition devient une plongée dans l’angoisse universelle.
Tourneur possède cette capacité innée à captiver et à instaurer un suspense qui ne relâche jamais. Il ne nous laisse aucun répit. Sa réalisation est minutieuse, quasi chirurgicale, chaque détail réveillant nos craintes les plus archaïques. Et il a l’intelligence de ne jamais tout livrer. Ce qui fait la grandeur du film, c’est aussi ce qui ne s’y montre pas. Ce qui reste dans l’ombre. Ce qui nous ronge après le générique.
On pourrait croire à un modeste film de studio. Mais c’est un chef-d'œuvre du genre. Oui, n’est-ce pas Monsieur Scorsese, qui le classe parmi ses films d’horreur préférés. Il faut voir ou revoir Rendez-vous avec la peur non comme une relique, mais comme une leçon de cinéma. Un modèle d’économie, de tension, d’atmosphère. Le genre de film qu’on n’oublie pas une fois la lumière rallumée. Et dont l’écho, discret mais tenace, vous suit comme une ombre qui vous chuchote… que le démon n’est jamais très loin.
NOTE : 14.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Jacques Tourneur
- Scénario : Charles Bennett, Hal E. Chester, tiré de la nouvelle Casting the Runes de Montague Rhodes James
- Direction artistique : Ken Adam
- Photographie : Ted Scaife
- Son : Arthur Bradburn
- Montage : Michael S. Gordon
- Musique : Clifton Parker
- Direction musicale : Muir Mathieson
- Production : Frank Bevis
- Production exécutive : Hal E. Chester
- Sociétés de production : Sabre Film Productions, Columbia Pictures Corporation
- Société de distribution : Columbia Pictures Corporation
- Dana Andrews : Docteur John Holden
- Peggy Cummins : Joanna Harrington
- Niall MacGinnis : Docteur Julian Karswell
- Maurice Denham : Professeur Henry Harrington
- Athene Seyler : Madame Karswell
- Liam Redmond : Professeur Mark O'Brien
- Reginald Beckwith : Monsieur Meek
- Ewan Roberts : Lloyd Williamson
- Peter Elliott : Professeur K.T. Kumar
- Rosamund Greenwood : Madame Maggie Meek
- Brian Wilde : Rand Hobart
- Richard Leech : Inspecteur Mottrarn
- Lloyd Lamble : Inspecteur Simmons
- Peter Hobbes : Superintendant
- Charles Lloyd-Pack : Chimiste
- John Salew : Bibliothécaire
- Janet Barrow : Madame Hobart
- Percy Herbert : Fermier
- Lynn Tracy : Hôtesse de l'air

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