Vu le film La Roue de Maurice Delbez et André Haguet (1957) avec Jean Servais Pierre Mondy Catherine Anouilh Claude Laydu François Guérin Julien Bertheau Georges Chamarat Yvette Etievant
En juin 1940, le mécanicien Pierre Pelletier recueille une fillette de 3 ans, Norma, dont la mère vient d'être tuée dans un bombardement. Il décide d'envoyer l'enfant en Bretagne où elle rejoindra son fils Roland. La guerre terminée, Pelletier fait venir à Lyon son fils et Norma enregistrée à l'état-civil comme sa fille. Celle-ci âgée de 18 ans en 1955, fréquente un jeune officier d'aviation suscitant l'hostilité, en réalité la jalousie de Pierre Pelletier. Celui-ci dont la vision est atteinte dans un accident est contraint de quitter la conduite des locomotives et à entrer dans un atelier d'entretien où son incapacité visuelle le relègue à un poste de manœuvre.
C'est un remake de La Rose du Rail d'Abel Gance sorti en 1923.
Trente-cinq ans après le chef-d’œuvre muet d’Abel Gance, André Haguet et Maurice Delbez osent un remake parlant de La Roue. Le pari est ambitieux mais, très vite, la comparaison joue en leur défaveur : on est loin de la puissance visionnaire et de l’intensité tragique de Gance. Là où le maître du muet déployait une fresque de sept heures aux élans poétiques et symboliques, Haguet et Delbez livrent un mélodrame ramassé, plus modeste, qui privilégie l’aspect quotidien et humain du monde ferroviaire.
L’histoire suit Pierre Pelletier, mécanicien de locomotive, incarné avec gravité par Jean Servais. Homme du rail passionné par son métier, il se heurte à un destin cruel : sa vue décline et l’oblige à abandonner la locomotive, son univers, son identité même. Ce renoncement est au cœur du film, dessinant un portrait de travailleur déchiré entre amour du métier et fatalité biologique. Pelletier recueille, dès les premières scènes, une fillette de trois ans, Norma, dont la mère vient de périr dans un bombardement. Cet acte généreux inscrit immédiatement le personnage dans une dimension sacrificielle. Norma grandira, sous le regard protecteur de son père adoptif, jusqu’à devenir une jeune femme courtisée, notamment par un officier d’aviation.
À ses côtés, Pierre Mondy incarne Jean Marcereau, ami et collègue de toujours. Leur duo fonctionne comme l’âme fraternelle du film : deux hommes soudés par la solidarité ouvrière, vulnérables face aux coups du destin mais invincibles dans leur attachement au rail. Mondy, futur Napoléon pour Abel Gance au cinéma, apporte ici un mélange de vigueur et de tendresse, rendant palpable l’esprit de camaraderie. Leur relation est l’une des plus belles réussites du film.
Catherine Anouilh joue Norma, figure centrale du drame familial. Sa présence symbolise l’avenir, la continuité, mais aussi le trouble du père qui, derrière son affection, cache une jalousie mal dissimulée vis-à-vis du soupirant de sa fille. Le fils de Pelletier, Roland (incarné par Claude Laydu), ajoute une note plus moderne : il retrouve Norma après des années, et sa complicité fraternelle s’entremêle de tensions implicites.
Le film frappe par sa tendresse envers le monde ferroviaire. Les gares, les ateliers, les locomotives à vapeur ne sont pas de simples décors : ils respirent, vibrent, emplis de bruit, de fumée, de gestes ouvriers. La caméra de Delbez, plus sensible que celle d’Haguet, sait capturer la beauté de ces extérieurs avec une sincérité qui rappelle parfois Renoir. Les plans de trains lancés à pleine vitesse, les regards de cheminots au travail, possèdent une vérité documentaire.
Mais si l’habillage visuel séduit, le récit, lui, s’essouffle. Condensé à l’extrême, il multiplie les ellipses au point de perdre en clarté. Le mélodrame familial se déploie sans intensité dramatique réelle : les jalousies, les conflits intérieurs, les rivalités amoureuses se succèdent mais ne trouvent jamais la force émotionnelle qui emporterait le spectateur. À force d’enchaîner clichés et artifices narratifs, le film s’alourdit. La tension dramatique, présente dans les premières scènes, se dilue dans des développements trop convenus. Le rythme en devient traînant, et l’ennui guette.
Ce qui sauve le film, c’est la sincérité de son regard sur les hommes du rail. Servais et Mondy incarnent des personnages profondément humains, tiraillés entre fierté professionnelle, fragilité intime et dignité sociale. Leurs échanges confèrent au récit une dimension fraternelle touchante, même si le drame familial autour de Norma paraît trop appuyé.
NOTE : 13.00
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : André Haguet et Maurice Delbez
- Scénario : Oscar-Paul Gilbert
- Photographie : Pierre Petit et Lucien Joulin
- Musique : Louiguy
- Montage : Leonide Azar et Suzanne Rondeau
- Décors : Lucien Aguettand
- Société de production : Florida Films
- Pays de production :
France
- Jean Servais : Pierre Pelletier
- Pierre Mondy : Jean Marcereau
- Catherine Anouilh : Norma / Madeleine Johnson
- Claude Laydu : Roland Pelletier
- François Guérin : Jacques Marchand
- Julien Bertheau : l'ingénieur Périer
- Georges Chamarat : Dr Ribaud, l'ophtalmologiste
- Carmen Duparc : Marie
- Yvette Étiévant : Marcelle Leroy
- Georges Jamin : le chef de poste
- Paul Mercey : Pujol
- Paul Péri : Blin
- Christiane Capri :
- Élyane Saint-Jean : serveuse blonde au bal
- Jean Degrave : Rabot
- Gabriel Gobin : Jules, le cheminot chti
En définitive, La Roue version 1957 ne peut rivaliser avec l’audace et la force tragique de Gance. Là où le maître du muet proposait une épopée sensorielle et émotionnelle, Haguet et Delbez livrent un mélodrame classique, sincère mais limité, qui s’enlise dans les clichés et perd en intensité. On retiendra néanmoins le portrait authentique du monde ferroviaire, l’élégance discrète de certaines images et la complicité attachante entre Jean Servais et Pierre Mondy. Mais le film, trop sage et trop convenu, finit par devenir un objet d’intérêt secondaire, davantage une curiosité qu’une œuvre marquante.

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