Vu le Film 3H10 pour Yuma de Delmer Daves (1957) avec Van Heflin Glenn Ford Leora Dana Felicia Farr Robert Ernhadt Richard Jaeckel Henry Jones Ford Rainey
Dan Evans est fermier. La terre est ingrate, avare et la sécheresse une inlassable ennemie. Un matin, accompagné de ses deux jeunes fils, il surprend une attaque de diligence, menée par la bande du brigand Ben Wade. Celui-ci abat le convoyeur qui avait sorti son arme. Lui-même désarmé et seul contre tous, Dan entend préserver ses garçons. Il n'intervient donc pas et laisse même les voleurs s'emparer de ses propres chevaux.
Dans la grande tradition du western américain, 3h10 pour Yuma (1957) de Delmer Daves s’impose comme un film qui transcende les limites du genre. Inspiré d’une nouvelle d’Elmore Leonard, il raconte une histoire simple mais tendue : dans un petit patelin de l’Arizona, un fermier modeste, Dan Evans (Van Heflin), accepte, moyennant 200 dollars, d’escorter jusqu’au train de 3h10 pour Yuma un dangereux bandit capturé, Ben Wade (Glenn Ford). Le voyage n’est pas long en distance, mais il se transforme en épreuve psychologique et morale. Entre la menace de la bande de hors-la-loi qui rôde à l’extérieur et les tourments intérieurs des deux hommes, le film se déploie comme un huis clos haletant, avec un crescendo de tension jusqu’au dernier plan.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la beauté du noir et blanc. Delmer Daves filme les grands espaces de l’Ouest dans des plans amples, mais réduit ensuite le décor à l’étroitesse d’une chambre d’hôtel, où le face-à-face entre le fermier et le bandit prend une intensité théâtrale. On passe ainsi d’un western d’action à une véritable pièce de caractère. La force du film tient dans ce rétrécissement : là où beaucoup de westerns élargissent l’horizon, 3h10 pour Yuma resserre l’étau, jusqu’à ne laisser que deux hommes et une pendule qui avance inexorablement.
Van Heflin incarne à merveille ce fermier digne mais acculé. Evans n’est pas un héros par nature : il est pauvre, il voit sa terre se dessécher, il peine à nourrir sa famille. Lorsqu’il accepte de convoyer Ben Wade, ce n’est pas pour la gloire ni pour une quelconque quête de justice, mais simplement pour gagner l’argent qui lui permettra de sauver son exploitation. Ce réalisme social donne au film une dimension humaine rare dans le western classique. Heflin, avec son jeu sobre et terrien, transmet parfaitement cette obstination presque résignée.
Face à lui, Glenn Ford incarne un Ben Wade fascinant. L’acteur, d’ordinaire associé à des rôles plus droits, campe ici un bandit cynique, manipulateur, séducteur, mais jamais monolithique. Dès les premières scènes, Wade se révèle capable d’une violence froide – il abat un de ses hommes et un conducteur de diligence sans remords – mais aussi d’un charme troublant. La scène où il séduit Emmy (Felicia Farr), la serveuse, est d’une douceur inattendue, presque suspendue dans le temps, comme un rêve éphémère dans un univers brutal. Cette parenthèse romantique, au cœur d’un récit tendu, donne à Wade une dimension humaine : on comprend que derrière la façade du criminel se cache un homme en quête, lui aussi, d’une forme de tendresse.
Le talent de Daves, humaniste dans l’âme, est de ne jamais réduire Wade au rôle du méchant. Il montre qu’un bandit, même meurtrier, peut avoir des zones de lumière. Cette ambiguïté nourrit tout le suspense du film : Ben Wade finira-t-il par s’évader, manipulera-t-il Evans jusqu’au bout, ou au contraire se laissera-t-il emporter par une forme de respect envers ce fermier opiniâtre ? C’est précisément cette dualité qui rend l’attente du train si captivante. Le spectateur doute sans cesse, partagé entre la menace des complices de Wade, prêts à tout pour le délivrer, et le duel psychologique qui se joue dans la chambre d’hôtel.
La mise en scène est d’une précision remarquable. Chaque regard, chaque silence, chaque réplique mesurée fait monter la tension. Le temps devient presque un personnage à part entière, matérialisé par la pendule qui rapproche inexorablement l’heure du train. L’hôtel devient une prison à ciel ouvert, où le fermier est autant prisonnier de son sens du devoir que le bandit de ses menottes.
Le final, intense et magistral, reste l’un des plus beaux du western classique. Sans le révéler dans tous ses détails, il scelle la confrontation entre deux hommes que tout oppose mais que le destin rapproche. On y lit à la fois la rigueur morale d’Evans et l’étrange panache de Wade. Cette conclusion, poignante et ambivalente, illustre bien le regard de Daves : un cinéaste qui croit à la dignité humaine jusque dans les situations les plus désespérées.
3h10 pour Yuma est bien plus qu’un simple western de série. C’est un huis clos tendu, un drame moral, une méditation sur l’honneur et la compromission. Glenn Ford y trouve l’un de ses rôles les plus surprenants, Van Heflin impose une droiture bouleversante, et Felicia Farr apporte une grâce délicate dans une scène inoubliable. L’écriture serrée, la photographie contrastée et la mise en scène d’une sobriété implacable font de ce film un classique qui n’a pas pris une ride.
À mes yeux, c’est sans doute le plus grand film de Delmer Daves, précisément parce qu’il condense son humanisme dans une intrigue minimaliste mais universelle. Avis aux amateurs : voilà un western qui, sous ses apparences de petit drame local, atteint la grandeur des tragédies intemporelles.
« J’ai le sentiment que ce film, derrière ses fusillades et ses chevaux, parle avant tout d’une rencontre improbable entre deux solitudes. C’est peut-être pour cela qu’il reste si moderne.
NOTE : 15.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : James Mangold
- Scénario : Halsted Welles, Michael Brandt et Derek Haas (en), d’après la nouvelle d'Elmore Leonard
- Direction artistique : Greg Berry
- Décors : Jay Hart
- Costumes : Arianne Phillips
- Photographie : Phedon Papamichael
- Montage : Michael McCusker
- Musique : Marco Beltrami
- Production : Cathy Konrad
- Sociétés de production : Lionsgate, Tree Line Films et Relativity Media
- Sociétés de distribution : Lionsgate (États-Unis), TFM Distribution (France)
- Budget : 55 millions $
- Russell Crowe (V. F. : Marc Alfos ; V. Q. : Pierre Auger) : Ben Wade
- Christian Bale (V. F. : Jean-Michel Fête ; V. Q. : Antoine Durand) : Dan Evans
- Ben Foster (V. F. : Antoine Basler ; V. Q. : Jean-François Beaupré) : Charlie Prince
- Logan Lerman (V. Q. : Nicholas Savard L'Herbier) : William Evans
- Peter Fonda (V. F. : Gilbert Beugniot ; V. Q. : Guy Nadon) : Byron McElroy
- Dallas Roberts (V. F. : Luc-Antoine Diquéro ; V. Q. : Patrick Chouinard) : Grayson Butterfield
- Forrest Fyre (V. Q. : Jean-Luc Montminy) : M. Boles
- Alan Tudyk (V. Q. : Daniel Lesourd) : le docteur Potter
- Vinessa Shaw (V. Q. : Marie-Josée Normand) : Emma « Emmy » Nelson
- Lennie Loftin : Glen Hollander
- Kevin Durand (V. F. : Loïc Houdré ; V. Q. : François L'Écuyer) : Tucker
- Luce Rains (V. Q. : Stéphane Rivard) : le marshal Weathers
- Gretchen Mol (V. Q. : Violette Chauveau) : Alice Evans
- Luke Wilson (V. Q. : Renaud Paradis) : Zeke

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