Vu le Film Je le Jure de Samuel Theis (2024) avec Marina Fois Julien Ernwein Marie Masala Louise Bourgoin Souleymane Cissé Sophie Guillemin Micha Lescot Hedi Zada Emmanuel Salinger Saadia Bentaib Rachid Yous Serge Bozon Claire Burger
Un quadragénaire, qui vit une période délicate dans sa vie professionnelle et sentimentale, est convoqué pour participer à la cour d'assises de la Moselle. Avec huit autres jurés et trois magistrats, il devra statuer sur le sort d'un jeune homme accusé de l'incendie d'un local à la suite duquel un pompier a trouvé la mort.
Avec Je le Jure, Samuel Theis revient à la mise en scène après Party Girl, mais cette fois-ci sur un terrain radicalement différent : celui du procès judiciaire en Cour d’assises. Le film pourrait rappeler à première vue Anatomie d’une chute, et ce n’est pas anodin puisque Theis y a travaillé comme comédien auprès de Justine Triet. Mais là où Triet explorait la frontière floue entre intime et culpabilité, Theis resserre son récit sur l’expérience du procès en appel, vécue de l’intérieur, par le prisme des jurés.
L’histoire s’ouvre sur la convocation des citoyens-jurés. Parmi eux, un personnage principal, figure modeste et sans éclat apparent, devient notre relais dans cette immersion. Très vite, la mécanique judiciaire prend place : présentation de l’accusé, rappel des faits, ouverture des débats. L’homme jugé a déjà été condamné en première instance, mais conteste le verdict. Il se révèle agressif, souvent confus, incapable de convaincre. Son attitude brouillonne déstabilise autant les jurés que les spectateurs, qui peinent à se forger une certitude.
Face à lui, Marina Foïs campe une présidente de cour d’assises remarquable. Sobre, ferme, sans jamais tomber dans le surjeu, elle incarne cette autorité calme capable de tenir les débats et de canaliser les tensions. Dans ses regards, ses silences, on lit autant l’exigence de justice que l’humanité d’une femme consciente du poids de sa fonction. C’est elle qui donne au film son équilibre, sa gravité et sa rigueur.
Autour d’elle, le casting des jurés fonctionne comme un kaléidoscope. Chacun arrive avec son histoire, ses convictions, ses failles. Certains se révèlent rapidement inflexibles, d’autres hésitent, d’autres encore semblent chercher dans ce procès une manière de se reconstruire eux-mêmes. Samuel Theis a l’intelligence de les filmer non pas seulement comme des rouages d’un système, mais comme des hommes et des femmes qui vivent, qui rentrent chez eux, qui doutent, qui parfois trouvent dans cette expérience judiciaire une forme de place sociale.
Le récit progresse au rythme du procès. Plaidoiries, témoignages, confrontations, tout y est. Mais Theis prend soin de montrer aussi les à-côtés : un juré qui retrouve confiance en lui, un autre qui vacille face à la violence des faits, une jurée qui finit par se sentir moins seule grâce à l’expérience collective. Le procès devient le révélateur d’existences modestes, et c’est là que le film dépasse le simple cadre du thriller judiciaire.
La mise en scène privilégie la sobriété : caméra attentive, plans resserrés, montage rigoureux. On sent l’envie d’immerger le spectateur dans la temporalité particulière de l’assise : longueurs, répétitions, tensions qui éclatent soudain. Contrairement à certaines productions américaines qui misent sur l’artifice dramatique, Je le Jure cultive une justesse presque documentaire, mais toujours incarnée.
La comparaison avec Anatomie d’une chute est tentante, mais trompeuse : là où Triet plaçait l’ambiguïté au centre, Theis choisit la frontalité du dispositif judiciaire. L’incertitude ne vient pas tant de la culpabilité de l’accusé que de la manière dont chacun, juré ou spectateur, se positionne face à lui. Le doute, ici, devient un exercice intime, partagé, parfois douloureux.
Si le film peut sembler long, il ne cède pourtant jamais à la complaisance. Chaque scène trouve sa place dans l’arc narratif, chaque personnage apporte une nuance. Le pari de Theis est de montrer un procès tel qu’il est, sans grandiloquence ni simplification, avec ses lenteurs et ses fulgurances.
Je le Jure est une réussite. Il ne possède pas le souffle lyrique d’Anatomie d’une chute, mais il construit un espace singulier, où l’intime rejoint le collectif. C’est un film de procès, certes, mais surtout un film sur la place de chacun dans la société, sur ce que signifie juger, et être jugé. Avec Marina Foïs au sommet et un collectif d’acteurs juste, Samuel Theis signe son film le plus abouti, une œuvre qui interpelle par sa sincérité et son exigence.
NOTE : 13.90
FICHE TECHNIQUE
- Julien Ernwein : Fabio Nucci, juré
- Marie Masala : Marie, la compagne de Fabio
- Marina Foïs : la présidente de la cour d'assises
- Louise Bourgoin : Julia Schuman, jurée et médecin
- Souleymane Cissé : Jean-Charles Fadi
- Sophie Guillemin : l'avocate générale
- Hedi Zada : Maître Bencherif, l'avocat de la défense
- Micha Lescot : Paul, juré et enseignant
- Emmanuel Salinger : Arnaud Barberot, juré
- Saadia Bentaïeb : Leila Richoux, jurée
- Antonia Buresi : Isabelle Falon, jurée
- Eva Huault : Eva Michaud, jurée
- Claude Aufaure : Claude, juré
- Rachid Yous : Sofiane, juré
- Abibatou Koné : Madame Touré, mère de Jean-Charles Fadi
- Stéphane Lagarde : Lorenzo
- Serge Bozon : l'expert psychiatre
- Claire Burger : l'experte médico-psychiatrique
- Angélique Litzenburger : Angélique, la mère de Fabio

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