Vu le Jugement des Flêches de Samuel Fuller (1957) avec Rod Steiger Charles Bronson Brian Keith Frank de Kova Sarah Montiel Ralph Meeker Jay C.Flippen Olive Carey
Un soldat sudiste qui refuse la défaite de son camp part vivre dans une tribu indienne. Au bout de quelques années et bien qu'adopte par les Indiens, il se trouve déchire par la guerre qui oppose ces derniers aux Blancs.
Bien avant Danse avec les Loups de Kevin Costner, qui marquera les années 1990 par son empathie revendiquée envers les peuples amérindiens, Samuel Fuller livrait avec Le Jugement des Flèches une œuvre autrement plus âpre, dérangeante, et, à bien des égards, plus moderne dans sa manière de refuser tout manichéisme. Le film raconte le parcours de John O’Meara, un Sudiste incarné par Rod Steiger, qui refuse la défaite de son camp après Appomattox et décide de tourner le dos aux vainqueurs en se ralliant aux Sioux. Sa démarche n’est pas idéalisée comme une quête spirituelle, mais présentée comme le prolongement d’un ressentiment, d’un refus de résignation. O’Meara n’est pas le “héros” dans le sens classique : il est d’abord un homme de blessures, qui cherche dans l’adoption par un autre peuple une forme de revanche et de continuité guerrière.
Fuller, en artiste libre, se garde bien de plaquer des catégories simplistes : ni l’Américain ni l’Indien n’incarnent ici le bien absolu ou le mal définitif. Les deux camps ont leurs figures extrêmes, leurs failles et leurs contradictions. Côté Sioux, le redoutable Crazy Wolf (joué par H.M Wynant), animé par une haine irréductible, incarne cette violence destructrice qui dépasse l’honneur du combat. Du côté américain, le sergent Driscoll (Ralph Meeker) n’est pas moins pervers dans son obstination belliqueuse. Entre ces deux “brebis galeuses” se dessine le véritable propos de Fuller : il n’existe pas de vérité pure, seulement des rapports de force, des choix humains, des blessures intimes.
L’originalité du récit repose aussi sur cette “adoption” symbolique : O’Meara, à travers le “jugement des flèches”, ce rituel sioux où la vie d’un prisonnier dépend du hasard du tir, devient l’un des leurs. Marié à Yellow Moccasin (Sara Montiel), il fonde une famille et se crée une nouvelle appartenance, qui reste cependant fragile car bâtie sur le refus du passé plus que sur un véritable désir d’avenir. Fuller filme cette tension avec un sens du cadre remarquable : paysages épurés, visages marqués, gestes simples qui en disent plus long que des discours.
Là où Costner, dans Danse avec les Loups, choisira de magnifier les Sioux et de faire du soldat blanc un converti sincère, Fuller garde la complexité d’un dilemme : O’Meara n’est jamais un Indien “pur”, il reste un homme pris entre deux mondes, incapable de se délester totalement de son héritage sudiste. C’est cette ambiguïté qui rend le film si puissant : Fuller refuse d’être le porte-parole d’une idéologie, il laisse le spectateur face à ses propres jugements.
Le casting sert parfaitement cette vision. Rod Steiger, dans un rôle taillé pour son intensité, donne au personnage toute la rage et la douleur d’un homme hanté. Sara Montiel apporte une grâce discrète et une dignité silencieuse à Yellow Moccasin, tandis que Brian Keith compose un militaire brutal mais crédible. On retrouve aussi Jay C. Flippen, Charles Horvath, et une galerie de seconds rôles solides qui renforcent le réalisme sans jamais tomber dans la caricature.
Le titre lui-même, Run of the Arrow (Le Jugement des Flèches), résume l’idée centrale : vaut-il mieux faire confiance au hasard, au rituel, aux flèches, qu’au jugement des hommes marqués par leurs passions, leurs rancunes et leurs ambitions ? Fuller semble répondre que le destin, ou la loi de la guerre, se moque de la justice humaine. C’est un film sur l’impossibilité de réconciliation tant que les plaies ne sont pas pansées.
En somme, Le Jugement des Flèches est un western atypique, tendu, qui dépasse les conventions de son époque. Il se tient à équidistance du mythe et de la critique, préférant interroger la complexité morale plutôt que de fournir des réponses toutes faites. Ce qui fait sa grandeur, c’est cette liberté de ton : Fuller, en refusant d’ériger un camp en héros et l’autre en bourreau, dénonce à sa manière les mirages de la guerre. Si Costner offre une fresque lyrique, Fuller livre une œuvre coupante comme une lame, où l’humanité se débat sans jamais se figer dans une légende.
NOTE : 12.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Samuel Fuller
- Assistant de réalisation : Ben Chapman
- Scénario : Samuel Fuller
- Photographie : Joseph F. Biroc
- Effets spéciaux : Norman Breedlove
- Son : Audrey Granville, Terry Kellum, Bert Schoenfeld, Virgil Smith
- Montage : Gene Fowler Jr.
- Direction artistique : Albert S. D'Agostino, Jack Okey
- Décors : Bertram C. Granger
- Maquillage : Larry Germain, Harry Maret
- Musique : Victor Young, Max Steiner
- Lyrics : Purple Hills avec Milton Berle et Buddy Arnold
- Orchestration : Sidney Cutner
- Production : Samuel Fuller
- Directeur de production : Gene Bryant
- Sociétés de production : RKO Pictures puis Universal Pictures
- Pays d'origine : États-Unis
- Société de distribution : Universal Pictures
- Rod Steiger (V.F : André Valmy) : John O'Meara
- Sara Montiel (V.O : Angie Dickinson / V.F : Colette Fleury) : Yellow Moccasin/Gazelle au pied léger
- Ralph Meeker (V.F : Pierre Gay) : Lieutenant Driscoll
- Charles Bronson (V.F : Bernard Noël) : Blue Buffalo/Bison Bleu
- Jay C. Flippen (V.F : Serge Nadaud) : Walking Coyote/Vaillant coyote
- H. M. Wynant (V.F : Roger Rudel) : Crazy Wolf/Loup furieux
- Brian Keith (V.F : Jean-François Laley) : Capitaine Clark
- Neyle Morrow (V.F : Jacques Thebault) : Lieutenant Stockwell
- Frank DeKova (V.F : Jacques Berthier) : Red Cloud/Nuage Rouge
- Olive Carey (V.F : Lita Recio) : Madame O'Meara
- Frank Warner (V.F : Jean Violette) : le chanteur et joueur de banjo
- Tim McCoy (V.F : Raymond Loyer) : Général Allen
- Carleton Young (V.F : Gérard Férat) :le chirurgien
- Roscoe Ates : un homme à l'embarcadère
- Emile Avery : le général Ulysses S. Grant
- Frank Baker : le général Robert Lee
- Chuck Hayward : le brigadier-chef avec une selle
- Tex Holden : l'homme à la jambe de bois
- Billy Miller : Silent Tongue/Langue silencieuse
- Frank O'Connor : un homme sur le chantier
- Don Orlando : Vinci
- Stuart Randall : Colonel Taylor
- Chuck Roberson : le sergent qui s'enlise dans les sables mouvants (cascadeur)
- George Ross : l'archer (cascadeur)
- Ray Stevens : un Indien dans un canoë
- Bill White Jr. : le sergent Moore
- Kermit Maynard : le cavalier tenant le cheval du général Lee

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