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dimanche 10 août 2025

12.40 - MON AVIS SUR LE FILM MAMAN A 100 ANS DE CARLOS SAURA (1979)


 Vu le film Maman à 100 ans de Carlos Saura (1979) avec Géraldine Chaplin Amparo Munoz Fernando Ferran Gomez Norman Briski Rafaela Aparicio Charo Soriano José Vivo 

Anna est vivante et mariée à Antonio. Les deux viennent en visite dans le manoir où Anna fut nounou quelques années auparavant, afin de fêter les cent ans de la matriarche de la famille. Au cours de la réunion, elle découvre que José est mort depuis trois ans, que Juan a quitté sa femme et que Fernando, qui vit toujours avec sa mère, a une nouvelle lubie : il tente sans relâche de faire voler en vain son deltaplane. Restent les trois filles qui ont bien grandi. Au cours de la journée, Juan arrive pour fêter l'anniversaire avec une idée en tête : tuer, avec l'aide de Fernando et Luchy, la grand-mère, afin de toucher l'héritage. 

Maman a 100 ans (Mamá cumple cien años, 1979) marque un moment clé dans la carrière de Carlos Saura, réalisateur espagnol qui, avant qu’Almodóvar n’aimante l’attention internationale, sut capter avec un mélange de réalisme acéré et de symbolisme grinçant les fractures morales et politiques de son pays. Tourné à un moment où l’Espagne émergeait de la dictature franquiste, ce film est une comédie acide qui se drape dans la légèreté apparente pour mieux révéler les tensions profondes d’une bourgeoisie en décomposition. 

Le récit s’articule autour d’un événement : la matriarche d’une grande maison de campagne fête ses cent ans. Ce pourrait être l’occasion d’un hommage tendre, d’une réunion familiale emplie de souvenirs et de chaleur. Mais chez Saura, derrière les nappes blanches et les sourires de circonstance, l’arrière-cuisine est beaucoup moins reluisante. Les enfants de « Mama » — héritiers impatients et calculateurs — discutent ouvertement de la façon de se débarrasser d’elle pour régler, au plus vite, une question d’héritage. Les petits-enfants ne valent guère mieux : deux jeunes femmes, détachées de toute morale, observent et participent à cette mascarade familiale avec une indifférence cruelle. 

Geraldine Chaplin, compagne et muse de Saura à cette époque, reprend le rôle qu’elle tenait dans Anna et les loups (1973), dont Maman a 100 ans est une suite officieuse. On retrouve le même lieu, une grande maison isolée chargée de non-dits, et plusieurs personnages déjà croisés six ans plus tôt. Dans Anna et les loups, la tension était sourde, presque mythologique, autour d’une étrangère (Anna) observant les travers d’une famille étouffée par la morale franquiste. Ici, le contexte a changé : la dictature est finie, mais l’hypocrisie, elle, reste intacte. L’avidité, le cynisme et la décadence morale semblent même s’être aggravés. 

Le film fonctionne comme une farce cynique, dans la veine de Festen ou de Gilbert Grape, où un événement familial sert de catalyseur pour révéler tout ce qui pourrit sous la surface. La mise en scène, d’une fluidité impressionnante, épouse un scénario minimaliste sans jamais perdre de rythme. Saura joue sur la juxtaposition de dialogues mordants, de situations absurdes et de silences lourds, construisant un ballet cruel autour de la vieille dame, véritable centre de gravité du récit. 

Geraldine Chaplin rayonne par son mélange de distance ironique et d’humanité fragile. À ses côtés, Amparo Muñoz — fraîchement auréolée de ses titres de Miss Espagne 1974 et Miss Univers 1975 — incarne avec élégance et insolence une jeunesse aussi séduisante que dénuée de scrupules. 

Si Anna et les loups reste sans doute supérieur en densité symbolique et en tension dramatique, Maman a 100 ans a pour lui un ton plus ouvertement satirique et une ironie plus lisible, ce qui le rend peut-être plus accessible. Mais l’amertume est bien là : la famille n’a pas gagné en vertu avec la chute du franquisme, elle s’est simplement adaptée, préservant ses privilèges et ses vices. 

Ce film, que l’on peut voir comme un miroir ironique de l’Espagne postfranquiste, frappe par sa capacité à faire coexister la comédie et la désillusion. Et pour quiconque a une grand-mère ou une mère ayant atteint un âge aussi vénérable, il est difficile de ne pas y projeter une émotion personnelle. Vous évoquez la vôtre, qui aurait eu 100 ans l’an dernier : c’est sans doute là que Saura touche juste, en montrant qu’une figure maternelle, réelle ou fictive, peut cristalliser des sentiments mêlés d’admiration, de tendresse… et parfois d’inquiétude sur ce qui l’entoure. 

La « Mama » centenaire est incarnée par Rafaela Aparicio, figure incontournable du cinéma espagnol, qui prête à la matriarche un mélange savoureux de fragilité et de malice, rendant d’autant plus mordante la cupidité de son entourage. 

NOTE : 12.40

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