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lundi 18 août 2025

11.80 - MON AVIS SUR LE FILM L'ETRANGE MONSIEUR STEVE DE RAYMOND BAILLY (1957)


 Vu le Film L’Etrange Monsieur Steve de Raymond Bailly (1957) avec Jeanne Moreau Philippe Lemaire Jacques Varennes Armand Mestral Lino Ventura Anouk Ferjac Allain Dhurtall Robert Rollis 

Georges Villard, petit employé de banque sans envergure, se laisse séduire par un certain M. Steve ; celui-ci lui rend de menus services, lui fait goûter des plaisirs dispendieux, lui présente sa femme, Florence, dont il tombe amoureux ; 

Il y a dans ce polar français une étrangeté qui justifie pleinement son titre. L’Étrange Monsieur Steve, réalisé par Raymond Bailly, reste un film rare et assez méconnu du grand public, mais qui mérite qu’on s’y arrête tant il illustre une facette du cinéma policier français des années 50 : des intrigues simples, presque sèches, mais animées par une distribution exceptionnelle. 

Le rôle principal ne revient pas à l’escroc Steve, mais bien à Philippe Lemaire, encore jeune acteur qui se révèle ici étonnamment juste. Il incarne Georges, un employé de banque ordinaire, un homme droit et sérieux, mais aussi vulnérable. Ce personnage de "monsieur tout le monde" fascine Steve, l’escroc manipulateur qui a besoin d’un pion docile pour exécuter ses plans. Georges est séduit malgré lui, happé par une mécanique criminelle où l’argent et la séduction prennent vite le dessus sur ses principes. Lemaire, qu’on a parfois tendance à réduire à ses rôles plus secondaires, trouve ici un rôle qui le valorise : il exprime la naïveté, l’hésitation, puis la peur avec une authenticité qui donne chair au récit. 

Steve, joué par Armand Mestral, est l’escroc charismatique, cynique et dominateur. C’est lui le grand marionnettiste, celui qui voit dans Georges la parfaite recrue pour son coup : un cambriolage de banque soigneusement préparé. Son intelligence froide, alliée à une absence totale de morale, en font un personnage inquiétant, presque fascinant par son aplomb. Il utilise les failles psychologiques de Georges, son ennui, son besoin de reconnaissance, pour le transformer en complice. 

Mais la vraie carte maîtresse de Steve, c’est Florence, sa femme, interprétée par une Jeanne Moreau encore en début de carrière mais déjà magnétique. Elle incarne à la perfection cette femme fatale ambiguë, partagée entre loyauté envers son mari criminel et attirance pour Georges, le jeune employé candide qu’elle trouble et manipule à la fois. Moreau est lumineuse, sensuelle, et joue déjà de ce mélange de froideur et de passion qui fera sa marque dans le cinéma français. Florence, par ses regards et ses silences, devient le pivot du drame : Georges est-il amoureux d’elle, ou victime d’un piège savamment tendu ? Est-elle sincère ou simple instrument des manigances de Steve ? Le film, volontairement, ne tranche pas trop vite. 

Et puis, il y a Lino Ventura, encore au début de sa carrière cinématographique. Second rôle ici, mais quelle présence ! Il incarne un des "gros bras" de Steve, un homme de main brutal, qui n’a pas besoin de longs dialogues pour imposer la menace. Son physique, sa voix, son autorité naturelle annoncent déjà le grand Ventura des polars des années 60 et 70. Même en arrière-plan, il écrase littéralement certaines scènes par son intensité. 

Le film repose donc sur un quatuor : Lemaire le faible, Mestral le manipulateur, Moreau la tentatrice, Ventura la force brute. Le scénario les enferme dans une spirale criminelle qui tourne autour du projet de braquage de la banque où Georges travaille. Le jeune employé, happé par le charme vénéneux de Florence et par l’ascendant de Steve, se retrouve au cœur d’un dilemme : choisir la sécurité de sa vie rangée ou basculer dans l’aventure criminelle. Mais ici, comme tu le soulignes, aucune morale ne viendra le sauver. Le film ne cherche pas à donner une leçon, mais à montrer la fragilité des consciences face à la tentation de l’argent et du désir. 

Raymond Bailly, dont c’est l’unique film comme réalisateur, met en scène cette histoire avec sobriété. On est loin de l’exubérance des films noirs américains : pas d’effets tape-à-l’œil, mais une atmosphère tendue, parfois claustrophobe, où chaque geste semble pesé. La mise en scène sert surtout les acteurs : cadrages serrés sur les visages, dialogues frontaux, ambiance réaliste. C’est le jeu des comédiens qui fait la force du film, et c’est sans doute pour cela qu’il garde encore aujourd’hui une puissance, malgré son statut de film oublié. 

Ce qui frappe aussi, c’est l’absence d’issue heureuse. Dans beaucoup de polars français de l’époque, il y avait encore une sorte de morale implicite : le criminel finit puni, l’innocent lavé de ses fautes. Ici, non. Le récit s’achève dans une zone grise où l’argent, le crime et le désir l’emportent sur toute idée de justice. C’est ce cynisme qui rapproche le film des grands films noirs américains, et qui le rend encore moderne. 

L’Étrange Monsieur Steve est un petit polar, oui, mais qui vaut largement le détour. Pour Philippe Lemaire, excellent en homme piégé. Pour Jeanne Moreau, déjà fascinante. Pour Ventura, qui impose son ombre même en second rôle. Et pour ce parfum d’amoralité qui donne au film une force inattendue. Pas un chef-d’œuvre du genre, mais un jalon intéressant du cinéma policier français, un film qui confirme que parfois les "seconds couteaux" – Lemaire, Ventura, Moreau avant leur pleine gloire – volent la vedette aux stars consacrées. 

 NOTE : 11.80

FCIHE TECHNIQUE


DISTRIBUTION

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