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mardi 12 août 2025

14.10 - MON AVIS SUR LE FILM QUE L.A BETE MEURE DE ROMAN VINOLY BARRETO (1952)

  


Vu le film Que la Bête Meure de Román Viñoly Barreto (La bestia debe morir) (1952) avec Narciso Ibáñez Menta Laura Hidalgo Guillermo Battaglia Josefa Goldar Humberto Balado Nathan Pinzon Beba Bidart 

 

 

Afin de retrouver le chauffard qui a tué son fils, le père de la victime se sert de son pseudonyme d'écrivain de romans policiers. Après avoir séduit la belle-sœur du meurtrier qui est actrice de cinéma, il réussit à être invité chez lui et déroule son implacable vengeance. 

 

Que la Bête Meure de Román Viñoly Barreto, sorti en 1952 sous le titre original La bestia debe morir, est la première transposition cinématographique du roman de Cecil Day-Lewis (alias Nicholas Blake). Dès l’ouverture, le film plante un climat nettement plus sombre que ce que suggère son titre français. L’ambiance se rapproche du film noir et d’un fantastique discret, propre aux fictions d’après-guerre. Viñoly Barreto use de contrastes d’éclairage et d’un lyrisme dramatique qui rendent l’ensemble inquiétant et presque onirique. 

L’histoire reste simple mais lourde : un écrivain perd son fils dans un accident et décide de se venger. Le récit transforme la douleur paternelle en une mécanique de traque et de séduction calculée. Plutôt que d’une progression linéaire, le film privilégie la mémoire, le flashback et les retours en arrière. En tête d’affiche, Narciso Ibáñez Menta et Laura Hidalgo donnent au couple central une intensité tragique — ils étaient liés dans la vie réelle, ce qui alimente la crédibilité de leur duo. Narciso imprime à son personnage une obsession contenue, prête à basculer dans la violence froide. Laura Hidalgo, quant à elle, conjugue beauté classique et ambiguïté morale, et brille dans les gros plans. 

La mise en scène ménage des plans serrés qui jouent sur la culpabilité et le regard. Le film commence après le drame et déroule la vengeance en flashbacks, différence notable avec l’adaptation française ultérieure. Cette construction narrative rend la montée vers l’acte final plus psychologique que spectaculaire. À la différence de Chabrol, Viñoly Barreto suggère davantage de forces inconscientes que de machinations visibles. Le réalisateur ne se contente pas du « qui » mais interroge surtout le « pourquoi » et le « comment » de la passion vengeresse. 

Visuellement, le film emprunte au mélodrame et à l’expressionnisme : décors sombres, angles inclinés, atmosphère oppressante. La bande sonore, discrète mais efficace, renforce la tension intime plutôt que l’action extérieure. Certains plans donnent l’impression d’un fantastique atténué — pas de monstres, mais des silhouettes et des ombres qui pèsent. Le noir et blanc est ici utilisé comme une langue, codifiant culpabilité et répression sociale. La critique sociale n’est jamais didactique : elle s’immisce par les attitudes, les repas, les silences et les décorums bourgeois. 

Viñoly Barreto vise la haute société argentine et en dévoile les hypocrisies décourageantes. Par moments, le film frôle le cinéma fantastique des années 50, non par effets, mais par une tonalité étrange. Cette étrangeté rend la vengeance plus ancienne, presque mythique, que strictement réaliste. Sur la longueur, le film peut paraître parfois étiré ; certaines scènes psychologiques auraient gagné en concision. Mais cette longueur permet aussi de ressentir la lenteur corrosive d’une vengeance qui ronge. 

Le jeu d’acteur est globalement stylisé, fidèle aux codes du cinéma latino-américain de l’époque. Les seconds rôles ajoutent de la densité et un contrepoint social utile au drame principal. Techniquement, la photo d’Alberto Etchebehere se distingue par sa précision et ses cadres prenants. Le montage privilégie les ruptures de temporalité pour maintenir l’obsession au centre du récit. L’adaptation de Menta au scénario montre une transmission intime du matériau romanesque vers l’écran. 

Au-delà de la vengeance, le film interroge la paternité, l’éducation et la formation du mal chez l’autre. Le détail de la mère comme soutien indéfectible souligne le rôle des liens familiaux dans la naissance de la folie vengeresse. Ces thèmes confèrent à l’ensemble une gravité morale qui dépasse le simple ressort du thriller. Comparé à Chabrol, Viñoly Barreto est moins clinique mais plus lyrique dans son pessimisme. Là où Chabrol tranche, Viñoly Barreto fouille : deux lectures du même mythe moderne. 

Pour le spectateur contemporain, le film a valeur de curiosité historique et de petit chef-d’œuvre minaudé. Il est précieux pour qui s’intéresse aux filiations entre polar, mélodrame et fantastique des années 50. On pourra lui reprocher un certain académisme et quelques longueurs, mais aussi lui reconnaître une forte personnalité. Le charme ancien du film tient autant à ses interprètes qu’à son atmosphère trouble et à son audace formelle. 

La bestia debe morir est une version plus noire, hantée et presque onirique du mythe de la vengeance. C’est un film qui préfère l’exploration psychologique à l’enquête policière serrée. À regarder pour la performance de Narciso Ibáñez Menta, la beauté ambiguë de Laura Hidalgo, et cette ambiance si particulière. Pour les amateurs de Chabrol, c’est un complément éclairant qui montre d’autres possibles de la même fable. Pour les néophytes, c’est une porte d’entrée vers un cinéma argentin riche et souvent méconnu. Verdict : noir, lent, parfois trop lyrique, mais profondément troublant et souvent mémorable. 

NOTE : 14.10

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