Vu le film Sorry Baby de Eva Victor (2025) avec Eva Victor Naomie Ackie Lucas Hedges Kelly McCormack Louis Cancelmi John Carrol Lynch E.R Fightmaster Hetienne Park
Quelque chose est arrivé́ à Agnès. Tandis que le monde avance sans elle, son amitié́ avec Lydie demeure un refuge précieux. Entre rires et silences, leur lien indéfectible lui permet d'entrevoir ce qui vient après.
Sorry Baby, premier long métrage d’Eva Victor, est un film rare, de ceux qui choisissent la délicatesse là où d’autres iraient dans l’explicite. Réalisatrice et actrice principale, Victor ose un pari audacieux : parler d’un sujet grave, jamais nommé frontalement, en privilégiant les silences, les gestes, et surtout le lien humain. C’est un film qui émeut par sa simplicité et son absence de démonstration.
Nous suivons Agnes (Eva Victor), une jeune femme marquée par un traumatisme que le spectateur devine plus qu’il ne l’entend. Le film ne cherche pas à en faire un récit judiciaire ou militant : il s’intéresse avant tout au cheminement intérieur de cette héroïne, à ses oscillations entre avancées et rechutes, à ses tentatives pour réapprendre à respirer, à parler, à vivre. Ce parcours est rendu à travers une structure fragmentaire qui pourrait sembler artificielle, mais qui, ici, épouse au contraire la logique intime d’Agnes : certains souvenirs surgissent, d’autres se taisent, certains moments s’ouvrent à la lumière, d’autres replongent dans l’ombre.
L’un des choix les plus justes du film est de faire de l’amitié la principale thérapie. Une amie (ou plusieurs, par petites touches) devient une présence silencieuse, un soutien quotidien, une épaule qui ne pose pas de questions mais reste là, implacablement fidèle. Dans cette relation, Victor trouve l’espace pour glisser des instants d’humour et de tendresse, comme autant de bouffées d’oxygène au milieu de l’oppression des souvenirs.
Ce qui aurait pu devenir un film pesant, plombé par la gravité du sujet, se révèle touchant, subtil et parfois drôle. L’humour n’annule jamais la douleur, mais il lui donne un contrepoint, une respiration nécessaire. L’écriture, d’une finesse rare, témoigne d’une sensibilité à fleur de peau : les dialogues sont épurés, les regards et les silences parlent d’eux-mêmes, et chaque plan semble pesé, pensé, pour ne pas tomber dans le pathos.
La réalisation épouse le point de vue d’Agnes : caméra discrète, plans parfois fixes, parfois mouvants, comme si l’objectif respirait au rythme de son personnage. Les séquences de rue, les conversations anodines, les éclats de rire inattendus deviennent autant de preuves que la vie continue — mais pas à n’importe quel prix.
Eva Victor signe ici une lettre d’excuses à toutes celles qui ont été oubliées derrière leurs agresseurs, un geste cinématographique qui parle autant de mémoire que de réparation. Le film insiste sur la nécessité de soutenir chaque témoignage, d’écouter sans juger, et sur l’importance de réhumaniser les victimes.
À une époque où la parole commence à peine à se libérer, Sorry Baby trouve une place essentielle : il ne force pas le discours, il ne montre pas l’irreprésentable, mais il donne au spectateur la sensation de marcher un instant aux côtés d’Agnes. Et c’est dans cette marche, parfois hésitante, que réside la force du film.
Porté par un jeu d’actrice d’une grande justesse, Eva Victor s’impose immédiatement comme une cinéaste à suivre. Sa capacité à conjuguer graviter et légèreté, à filmer la douleur sans voyeurisme et l’humour sans légèreté coupable, témoigne d’une maturité impressionnante pour un premier film.
Sorry Baby est de ces œuvres qu’on n’oublie pas facilement : non pas pour ce qu’elles montrent, mais pour ce qu’elles font ressentir. Touchant, intelligent, vibrant d’humanité, c’est sans doute l’un des films à ne pas manquer cette année.
NOTE : 13.90
FICHE TECHNIQUE
- Réalisation : Eva Victor
- Scénario : Eva Victor
- Photographie : Mia Cioffi Henry
- Montage : Randi Atkins, Alex O'Flinn
- Musique : Lia Ouyang Rusli
- Costumes : Emily Costantino
- Production : Adele Romanski, Mark Ceryak, Barry Jenkins
- Sociétés de production :
- Société de distribution : Wild Bunch (France)[
- Eva Victor : Agnes
- Naomi Ackie : Lydie
- Louis Cancelmi : Decker
- Kelly McCormack : Natasha
- Lucas Hedges : Gavin
- John Carroll Lynch : Pete
- Alison Wachtler : Clerk
- Hettienne Park : Eleanor Winston
- Celeste Oliva : Sophie

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire